Projet de loi « pour la confiance en l’institution judiciaire » : Nos observations et recommandations concernant la détention et l’exécution des peines privatives de liberté

Note commune, dont la LDH est signataire

Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, membres de la Commission des lois,

En septembre, vous serez amenés à discuter en Commission des Lois le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, dont plusieurs dispositions concernent la détention et l’exécution des peines privatives de liberté.

Nos organisations ne peuvent que regretter le choix du passage de ce projet de loi en procédure accélérée, qui n’aura pas permis de véritable concertation ni avec la société civile, ni avec les professionnels, négligeant ainsi la richesse des débats que les sujets abordés auraient pu susciter. C’est pourquoi nous vous adressons, par le biais de cette note, nos observations et recommandations.

 

1. Sur la détention provisoire (article 5)

Si nos organisations saluent la volonté du législateur de limiter la durée de la détention provisoire en matière correctionnelle, nous déplorons la faiblesse des mesures envisagées qui, trop peu contraignantes, ne pourront avoir d’impact significatif. Les obligations faites au juge, au bout de huit mois de détention provisoire, de recourir à une enquête de faisabilité relative à l’assignation à résidence sous surveillance électronique d’une part, et de justifier d’une « impossibilité liée à la personnalité ou à la situation matérielle » s’il refuse de mettre fin à la détention d’autre part, ne concernent que les personnes encourant des peines de moins de cinq ans de prison ; au 1er janvier 2021, elles étaient une vingtaine. Elles sont en outre uniquement incitatives, tout comme l’obligation de motiver le caractère insuffisant des mesures alternatives pour pouvoir prolonger la détention.

Surtout, nos organisations regrettent l’occasion manquée de prendre le problème à la source : la nécessité d’une réforme de la détention provisoire en faveur de l’effectivité de la règle selon laquelle la liberté doit rester le principe et, à défaut, la priorité être donnée au contrôle judiciaire, a maintes fois été pointée du doigt, notamment dans le rapport Cotte-Minkowski remis au garde des sceaux en janvier 2018(1). Une telle réforme passerait par la diminution des critères permettant de recourir à la détention provisoire, l’élévation du seuil d’emprisonnement encouru autorisant le prononcé de la détention provisoire, la limitation de la durée de la détention provisoire, un moindre recours à la comparution immédiate, ainsi qu’un renforcement des moyens des services pénitentiaires d’insertion et de probation et du milieu associatif afin de renforcer les facteurs d’octroi de mesures alternatives à la détention provisoire.

Il convient également de rappeler que le recours à la surveillance électronique ne doit pas être banalisé, celle-ci restant une mesure privative de liberté. Officiellement présentée comme une alternative à la détention provisoire, elle vient souvent s’ajouter dans les faits au mille-feuilles pénal sans s’y substituer, consacrant dès lors un déploiement du contrôle hors des murs de la prison. Le législateur doit ainsi exiger des magistrats qu’ils explicitent les motifs qui les conduiraient à privilégier le recours à la surveillance électronique au détriment du contrôle judiciaire tel que prévu à l’article 138 du Code de procédure pénale.

 

2. Sur la libération sous contrainte (article 9 alinéas 11 à 19)

Nos organisations saluent l’intention formulée de développer le placement à l’extérieur à l’occasion de la généralisation de la procédure de libération sous contrainte pour les personnes condamnées exécutant une ou plusieurs peines privatives de liberté d’une durée totale inférieure ou égale à deux ans, et dont le reliquat de peine à exécuter est inférieur ou égal à trois mois.

Cependant, outre notre vigilance à suivre la mise en application de cette mesure au vu notamment de l’absence de précision quant aux moyens qui y seraient dédiés et de la faiblesse des moyens aujourd’hui mis en œuvre pour proposer des mesures de placement à l’extérieur, nous déplorons vivement que certaines catégories de personnes soient exclues du champ d’application de plein droit de la libération sous contrainte.

C’est en particulier le cas des personnes dont l’absence d’hébergement entraînerait l’impossibilité matérielle de recourir à la libération sous contrainte. Juridiquement d’abord, cela contrevient au principe d’égalité de traitement. Humainement ensuite, ces personnes présentent un besoin d’accompagnement dans leur sortie plus important encore. La libération sous contrainte de droit doit être accessible à tous, et en particulier aux personnes les plus précaires et isolées. Une mobilisation en amont des services d’insertion et de probation et du secteur associatif pour trouver des solutions d’hébergement aux personnes qui en sont dépourvues est dès lors véritablement indispensable. Outre le fait que ces personnes ne sauraient être écartées avant même la réalisation de recherches soutenues de solution d’hébergement, le risque encouru est que la sortie sèche de cette personne ne soit finalement que repoussée dans le temps.

C’est également le cas des auteurs de violences contre des personnes dépositaires de l’autorité publique, suite à un amendement adopté en séance publique à l’Assemblée nationale, au moment où des policiers manifestaient devant le bâtiment en présence de plusieurs membres du gouvernement.

 

3. Sur les réductions de peine (article 9 alinéas 21 à 48)

L’article 9 met fin au dispositif du crédit de réduction de peine. Nos organisations s’interrogent tout d’abord quant à l’urgence de réformer le système des réductions de peines dans le cadre du présent projet de loi, sans qui plus est l’inscrire dans une réforme plus globale relative à l’échelle des peines.

Nos organisations sont particulièrement préoccupées par les effets négatifs de ces nouvelles dispositions. Alors même que la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme à prendre des mesures urgentes pour résorber de manière définitive sa surpopulation carcérale, et que le Comité européen pour la prévention de la torture a pointé l’échec des politiques de lutte contre cette surpopulation dans son rapport du 24 juin sur sa récente visite en France, le législateur propose un dispositif qui aura nécessairement pour conséquence l’augmentation du nombre de personnes détenues. L’allongement des peines sera inévitable, en particulier pour les
personnes condamnées à de longues peines, et les sorties sèches plus nombreuses en particulier pour les personnes condamnées à de courtes peines. Dans un entretien accordé à Sud-Ouest au début du mois de mai, Isabelle Gorce, ancienne directrice de l’administration pénitentiaire, souligne ainsi que « [l]e système des crédits instauré en 2004 a le mérite de la visibilité sur les dates de sortie » et donc « l’avantage de permettre de mieux préparer les sorties »(2).

Par ailleurs, les conditions cumulatives de bonne conduite et d’efforts sérieux de réinsertion exigées pour l’octroi des réductions de peine font fi de la réalité carcérale et de l’absence généralisée d’activités proposées par l’administration pénitentiaire aux personnes détenues dans de nombreuses prisons, en particulier en maison d’arrêt. L’exigence pour les personnes détenues de montrer des efforts sérieux de réinsertion, dans une situation de pénurie des activités proposées aux fins de réinsertion, semble ainsi teintée d’ironie.

Nous déplorons encore la place conférée au régime disciplinaire au travers des critères de bonne conduite. La volonté de renforcer l’individualisation, pertinente sur le papier, emporte dans les faits le risque d’une mainmise de la détention sur les parcours de peine. Les réductions de peine devraient pourtant renvoyer à la notion de réinsertion et non à la gestion interne et à l’arbitraire de l’administration pénitentiaire. A minima, le texte devrait prévoir les garanties essentielles relatives au contradictoire dans le cadre des commissions de l’application des peines, dans lesquelles l’avenir des personnes détenues est en jeu. Cette réforme engendrera en outre une multiplication du nombre de dossiers à examiner, rendant très difficile la tenue de ces commissions dans des délais raisonnables, en particulier dans les établissements surpeuplés. Nos organisations ne peuvent enfin qu’exprimer leur profond désaccord avec les dispositions du projet de loi qui durcissent les conditions d’octroi des réductions de peine pour les auteurs de certaines catégories d’infraction : ils ne pourront prétendre qu’aux deux-tiers voire à la moitié du quota prévu dans le cadre du nouveau régime. Si les peines encourues peuvent être plus sévères pour certains types de délits, l’accès aux remises de peine, parce qu’il doit être tourné vers la réinsertion, doit être égal pour tous.

 

4. Sur le travail pénitentiaire (articles 11 à 15)

Nos organisations saluent le fait que le législateur s’empare de la question du travail en prison et qu’il consacre des avancées positives, en particulier en termes de droits sociaux. Elles regrettent cependant les multiples renvois à de futurs décrets et ordonnances qui privent de visibilité sur le véritable contenu et l’effectivité des mesures prévues, et l’occasion manquée d’aller plus loin. Certaines avancées, comme celle relative aux droits sociaux, sont en effet inabouties : nos organisations notent avec déception l’absence d’indemnisation en cas d’arrêt maladie et le non-accès au chômage partiel.

Plus encore, la possible suspension du contrat d’emploi pénitentiaire en cas de baisse temporaire de l’activité, alliée à l’absence de fixation d’une durée minimale du travail effectif, entérinent la flexibilité du travail en prison sans prévoir les protections qui doivent venir compenser cette précarité. Il est pourtant essentiel que, comme à l’extérieur, les travailleurs détenus bénéficient d’une garantie et d’une prévisibilité sur leur salaire. Cette flexibilité est encore renforcée par le pouvoir nouveau qui est confié aux concessionnaires en matière d’affectation et de désaffectation puisqu’ils pourraient désormais sélectionner les travailleurs sans nécessité de justification, et mettre fin au contrat d’emploi pénitentiaire. Cela emporte le risque que l’accès au travail en concession, déjà fortement à la marge, soit réservé à une certaine catégorie de personnes détenues, en capacité de faire preuve d’une efficacité et d’un comportement conformes à des attentes préétablies, une situation bien éloignée de la volonté affichée de (ré-)insertion.

Par ailleurs, l’emprise du disciplinaire et du sécuritaire sur l’accès et le maintien au travail, qui constituent dans le présent projet de loi un motif pour l’administration pénitentiaire de suspendre temporairement ou de mettre un terme à l’activité de travail, est à contre-courant de la dynamique de déconnexion du travail de la peine engagée depuis les années 1980, et que nos organisations ne pouvaient que saluer.

Certains sujets centraux, comme la rémunération et l’expression collective dans le cadre du travail en détention, sont quant à eux passés sous silence. Le travail législatif autour de cette question constituait pourtant l’occasion de réformer le dispositif actuel qui, loin d’être inclusif, aggrave les fractures entre la prison et la société.

Nos organisations rappellent également qu’au-delà du cadre juridique, c’est l’ensemble de l’organisation du travail en détention qui doit être revu pour en faire l’outil de (ré)insertion réaffirmé par le projet de loi. L’administration est tenue dans cette perspective par une obligation de moyens afin de proposer une offre de travail qualitative et non seulement quantitative, et pour permettre le déploiement effectif de certains dispositifs, comme les chantiers d’insertion par l’activité économique ou les établissements et services d’aide par le travail, afin qu’il ne s’agisse pas de quelques mesures d’affichage. Actuellement, les structures d’insertion par l’activité économique restent rares en détention et elles peinent à essaimer en raison du manque de moyens humains et financiers qui leur sont dédiés. Ces moyens apparaissent en effet bien marginaux : le budget 2021 prévoit 556 millions d’euros d’investissement immobilier pour la construction de nouvelles prisons, contre 91 millions pour les politiques de réinsertion dont 44,7 pour le travail en détention et 14,5 pour la formation professionnelle.

Nos organisations rappellent enfin que le travail n’est qu’un des facteurs de réinsertion mobilisables en détention. Il doit être accompagné d’un important dispositif de formation professionnelle, et s’articuler avec l’enseignement, les activités socio-culturelles, la prise en charge et l’accompagnement individuel. Ces dispositifs ne peuvent qu’ensemble constituer les éléments d’une préparation convenable à la sortie et restent malheureusement très largement insuffisants en détention et sous dotés budgétairement.

 

5. Sur l’expression collective

A l’opposé d’une promotion de l’expression collective en prison, le projet de loi adopte une philosophie sécuritaire en excluant du dispositif de libération sous contrainte de droit les personnes détenues ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire prononcée pour avoir tenté de participer à toute action collective de nature à compromettre la sécurité des établissements ou à en perturber l’ordre (article 9 alinéas 15 et 19), et en prévoyant une réduction de peine exceptionnelle pour les condamnés ayant permis d’éviter ou de mettre fin à toute action individuelle ou collective de nature à perturber gravement le maintien du bon ordre et la sécurité de l’établissement (article 9 alinéa 43).

Les droits collectifs ne sont pourtant pas antinomiques par essence avec le milieu et l’ordre pénitentiaires. La Cour européenne des droits de l’Homme a en ce sens déjà eu l’occasion d’affirmer que « le maintien du calme, de l’ordre et de la sécurité dans l’établissement » n’était pas un argument suffisant pour s’opposer à l’expression publique des personnes détenues (sauf raison impérieuse). Au contraire, la parole ou la revendication dans leurs formes pacifiques, négociées et démocratiques, sont des vecteurs d’apaisement.

S’il est évident que leur exercice appelle des aménagements, des droits collectifs doivent être reconnus dans leur principe et donner lieu à un encadrement et à des modalités d’exercice compatibles avec l’état de détention.

Une telle évolution apparaît particulièrement pertinente dans le cadre du présent projet de loi : si ce dernier accentue démesurément la responsabilisation des personnes détenues en termes notamment
de bonne conduite et d’efforts de réinsertion à fournir au cours de leur détention, il ne leur donne à ce jour aucune place dans la gestion quotidienne de la détention. En particulier, le droit de représentation collective attaché au statut de tout travailleur doit être consacré, même s’il est aménagé.

Paris, le 23 juillet 2021

 

(1) http://www.justice.gouv.fr/publication/chantiers_justice/Chantiers_justice_Livret_05.pdf

(2) https://www.sudouest.fr/justice/isabelle-gorce-ce-n-est-pas-la-prison-qui-fait-sens-c-est-ce-qu-on-y-fait-2314171.php


23 associations et organisations signataires : A3D (Association des avocats pour la défense des droits des détenus) ; ACAT-France (Action des Chrétiens pour l’abolition de la torture – France) ; ANAEC (Association nationale des assesseurs extérieurs en commission de discipline des établissements pénitentiaires) ; ANJAP (Association nationale des juges de l’application des peines) ; ANVP (Association nationale des visiteurs de prison) ; Auxilia ; Ban Public ; CASP ARAPEJ (Centre d’action sociale protestant – Association réflexion action prison et justice) ; CGT Insertion Probation ; Citoyens et justice ; CLIP (Club informatique pénitentiaire) ; Courrier de Bovet ; Emmaüs-France ; FARAPEJ (Fédération des associations réflexion action prison et justice) ; La Cimade ; LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Lire pour en sortir ; OIP-SF (Observatoire international des prisons – Section Française) ; Possible ; SAF (Syndicat des avocats de France) ; Secours Catholique / Caritas France ; SNPES PJJ (Syndicat national des personnels de l’éducation et du social – Protection judiciaire de la jeunesse) ; SM (Syndicat de la magistrature).

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