Le projet de loi actuel sur l’assignation à résidence n’offre pas de garanties suffisantes pour que justice soit rendue en cas de violations graves des droits humains

Lettre ouverte commune signée par la LDH

Nous avons pris connaissance du nouveau projet de loi sur l’assignation à résidence approuvé le 19 décembre 2023 par le Sénat uruguayen et qui doit être approuvé par la Chambre des députés lors de la session en cours.

En accord sur certains points avec les normes du droit international concernant l’emprisonnement des personnes vulnérables, le projet de loi nous semble présenter d’importantes ambiguïtés et insuffisances en ce qui concerne les auteurs de graves violations des droits humains et de crimes contre l’Humanité pendant la dictature uruguayenne.

– La décision d’assignation à résidence serait prise par le juge sans jamais consulter les victimes ou leurs avocats. Cette exclusion, dans le cas d’auteurs de très graves crimes contre l’humanité pendant la dictature, laisse la porte ouverte à une banalisation de ces crimes et à une sous-estimation de leur gravité.

– Le projet de loi autorise explicitement que les auteurs de crimes contre l’Humanité et d’autres crimes très graves puissent bénéficier d’une assignation à résidence à partir de 65 ans, sans que des objections formelles suffisantes empêchent des criminels contre l’Humanité qui n’ont jamais collaboré à la recherche de la vérité ou fait preuve de compassion pour leurs victimes de bénéficier d’une assignation à résidence du seul fait de leur âge.

– L’argument de la situation “bio-psycho-sociale” du détenu, outre son imprécision, prend une valeur particulière dans le cas des répresseurs emprisonnés qui bénéficient déjà de conditions de détention particulières très favorables par rapport aux autres détenus. Ces facilités doivent être prises en compte dans l’évaluation de la situation du détenu.

– En ce qui concerne en particulier les personnes âgées de plus de 65 ans, nous estimons que la modification de la règle n’est pas nécessaire car la libération pour des raisons de santé ou d’âge ou pour d’autres raisons d’incompatibilité avec l’emprisonnement est déjà possible en Uruguay et largement utilisée.

– Nous considérons que le risque que le projet de loi actuel permette à tous les répresseurs actuellement emprisonnés de bénéficier de cette nouvelle loi et que la tendance jurisprudentielle en ce sens évolue rapidement en leur faveur est très important. La conséquence grave serait une perte de la valeur symbolique de la peine et donc un déni de justice.

– En ce qui concerne le cas particulier des répresseurs accusés et condamnés pour les plus graves violations des droits humains et des crimes contre l’Humanité, la version actuelle du projet de loi nous semble incompatible avec le respect par l’Uruguay des règles du droit international en matière de droits humains.

Sur la base de ces considérations, nous demandons au président de la République, Luis Alberto Lacalle, et aux parlementaires uruguayens de ne pas soutenir l’actuel projet de loi sur l’assignation à résidence qui facilite l’assignation à résidence des responsables de graves violations des droits de humains et de crimes contre l’Humanité, en particulier la torture, l’homicide politique, la disparition forcée de personnes, la privation sévère de liberté et les agressions sexuelles contre des personnes privées de liberté.

Le 8 mai 2024

Signataires :

– Paulo Abrão, juriste. Professeur invité à l’Université Brown et au Washington College of Law (USA). Secrétaire exécutif de la Commission Interaméricaine des Droits Humains (CIDH) (2016-2020). Secrétaire Exécutif de l’Institut des Droits Humains du Mercosur (2015-2016). Secrétaire National de la Justice du Brésil (2011-2014). (Brésil)
– Patrick Baudouin, avocat au Barreau de Paris et à la Cour Pénale Internationale (La Haye). Président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) (France)
– Zakaria Benlahrech, avocat à la cour- Alger (Algérie)
– Magalie Besse, juriste. Directrice de l’Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie, IFJD (Institut Louis Joinet) (France)
– Marta Bo, juriste. Chercheure principale, TMC Asser Institute, La Haye (Pays-Bas)
– Naoufal Bouamri, avocat au Barreau de Tetouan (Maroc)
– Adnane Bouchaib, avocat à la Cour, agréé à la Cour Suprême, Alger (Algérie)
– William Bourdon, avocat au Barreau de Paris et à la Cour Pénale Internationale. Ancien secrétaire général de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) (France)
– Jo-Marie Burt, professeure associée, Schar School of Policy and Government, George Mason University. Senior Fellow, WOLA : Advocacy for Human Rights in the Americas (USA)
– Pablo De Greiff, senior Fellow et directeur, Prevention Project. Directeur, Transitional Justice Program, Center for Human Rights and Global Justice, School of Law, New York University. Rapporteur du Groupe d’Experts du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU sur la Prévention (2019-2020), Rapporteur Spécial de l’ONU pour la promotion de la vérité, la justice, la réparation et les garanties de non répétition (2012-2015) (Colombie)
– Mireille Fanon-Mendes France, présidente de la Fondation Frantz Fanon Internationale, Ancienne experte du groupe de travail sur les Afro-descendants au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, (France)
– Gabriela Fried Amilivia, professeure, Department of Sociology and Latin American Studies Program, College of Natural and Social Sciences, California State University Los Angeles (CSULA) (USA)
– Jean-Jacques Gandini, avocat honoraire au barreau de Montpellier. Ancien président du Syndicat des Avocats de France (France)
– Carlos G. Guerrero Orozco, avocat et défenseur des droits humains. Co-fondateur de Derechos Humanos y Litigio Estratégico Mexicano (DLM) (Mexique)
– Jean-Pierre Massias, professeur de Droit Public, Université de Pau. Président de l’Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie, IFJD (Institut Louis Joinet) (France)
– Juan Méndez, professeur à la Washington School of Law de l’American University et à l’International Center for Transitional Justice. Ex président de la Commission Interaméricaine des Droits Humains (CIDH) et ancien rapporteur de l’ONU contre la Torture (Argentine)
– Patricia Naftali, juriste. Chercheure-professeure, Centre de Droit Public et Social (ULB) et Haute école BruxellesBrabant (Belgique)
– Naomi Roht-Arriaza, distinguished Professor of Law (émérite) , University of California, Hastings Law (USA)
– Kim Reuflet, magistrate. Conseillère à la Cour d’Appel d’Angers. Présidente du Syndicat de la Magistrature (France)
– Niki Siampakou, juriste. Chercheure associée au TMC Asser Institute et à l’International Centre for Counter Terrorism , La Haye (Pays-Bas)
– Adriana Schnyder, juriste, chercheure en droit international et justice transitionnelle, Faculté de Droit, Université de Genève (Suisse)
– Jeanne Solal, juriste, chercheure en protection internationale des droits humains, Faculté de Science Politique et de Droit, Département des Sciences Juridiques, Université de Québec (UQAM), Montréal (Canada)
– Philippe Texier, magistrat. Ancien membre de la Cour de Cassation. Membre de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) et du Tribunal Permanent des Peuples (France)
– Sophie Thonon, avocate au Barreau de Paris. Présidente de France Amérique Latine (FAL) (France)

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