Lettre ouverte au président de la République pour l’interpeller sur la dégradation des conditions de vie des plus précaires

Lettre ouverte signée par les présidents des associations membres du comité exécutif d’Alerte, dont la LDH est membre

Monsieur le Président de la République,

Les associations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion réunies au sein du Collectif Alerte souhaitent vous saisir de leurs vives inquiétudes face à la dégradation du niveau de vie des personnes les plus précaires depuis deux ans.

En effet, en dépit de quelques dispositions positives comme, par exemple, la mise en place de la complémentaire santé solidaire ou la revalorisation de la prime d’activité, un grand nombre des mesures mises en œuvre, comme la baisse de 5 euros des APL mais également la désindexation des allocations logement et des prestations familiales, ont contribué à une diminution du pouvoir d’achat d’une grande majorité des personnes les plus pauvres. Si nous avons salué la revalorisation de la prime d’activité annoncée à l’automne 2018, elle ne bénéficie, par construction, qu’aux personnes occupant aujourd’hui un emploi. Or, même si nous nous félicitons de la baisse du taux de chômage constatée depuis plus d’un an, la France reste encore très loin du plein emploi. Par ailleurs, la réforme de l’assurance chômage présentée en juillet dernier nous alarme, dès lors que les économies annoncées proviendront, en grande partie, du durcissement des conditions d’accès à l’indemnisation, du renouvellement des droits et du calcul des indemnités versées et risquent ainsi de faire entrer davantage de personnes dans la pauvreté.

Ces inquiétudes ont été confirmées récemment par les études publiées par l’Institut des politiques publiques (IPP) et l’Insee. Outre l’estimation de l’Insee d’une hausse du taux de pauvreté de l’ordre de 0,6 point pour atteindre 14,7 % de la population en 2018 (+0,2 point si on neutralise la baisse des APL dans le parc HLM), l’étude de l’IPP confirme que les 9 % des ménages les plus modestes ont perdu du pouvoir d’achat en 2019 avec les effets cumulés des mesures de 2018 et 2019. Cette étude indique également que les 10 % des ménages les plus pauvres auront des gains de pouvoir d’achat quasiment nuls sur l’année 2020, au regard des annonces budgétaires actuelles.

Au total, les plus pauvres apparaissent aujourd’hui comme les grands perdants de l’action gouvernementale. Ce bilan ne cesse de nous interroger quand, en parallèle, le pouvoir d’achat des classes moyennes et des plus aisés augmente sensiblement, du fait notamment des politiques fiscales ou sociales du gouvernement. La pauvreté et les inégalités augmentent ainsi en même temps, minant la cohésion sociale de notre pays.

Or il nous semble que le bilan de votre quinquennat ne saurait être entaché par le décrochage des 10 % les plus pauvres des Français. Il est donc temps d’agir résolument pour l’amélioration de leurs conditions de vie.

Le futur revenu universel d’activité pourrait être une réforme bénéfique, à terme, si, d’une part, la volonté gouvernementale affichée de lutter contre le non recours afin de permettre à « ceux qui n’ont pas ou peu de revenus professionnels d’être adéquatement protégés » et d’ouvrir de nouveaux droits aux jeunes de moins de 25 ans est bien réelle et si, d’autre part, elle s’appuie sur une volonté d’améliorer le pouvoir d’achat des allocataires de minima sociaux.

C’est pourquoi, nous participons activement à la concertation qui a été ouverte sur le RUA. Pour autant, si les associations sont écoutées, force est de constater que pour le moment, leur point de vue n’est pas pris en compte. Par ailleurs, les conditions de la participation des premiers concernés ne sont pas remplies. « Nous avons besoin de leur regard, de leurs réactions », disiez-vous dans votre discours du 13 septembre 2018. Or aujourd’hui, le « choc de participation » que vous avez voulu n’est pas encore au rendez-vous.

Comme nous l’avons toujours exprimé, plusieurs conditions nous paraissent déterminantes pour que cette réforme marque une réelle avancée dans la lutte contre la pauvreté :
– La future prestation doit garantir que personne en France ne vive avec moins de 50 % du revenu médian (soit 867 euros par mois pour une personne seule, sans les aides au logement) ;
– Elle ne doit pas fusionner les APL, l’AAH et l’ASPA qui sont des allocations d’une autre nature ;
– Elle doit être ouverte dès 18 ans, sous conditions de ressources mais sans contrepartie et avec une obligation pour l’Etat de prévoir un accompagnement vers une formation ou un parcours vers l’emploi ;

Surtout, cette réforme ne saurait être financée par une forme de solidarité horizontale entre les bénéficiaires des différents minimas sociaux, au risque de faire des perdants parmi les ménages vivant sous le seuil de pauvreté.

Enfin, cette réforme ne sera effective qu’à l’horizon 2023. Or l’amélioration du niveau de vie des plus pauvres ne peut attendre.

Aussi le collectif ALERTE attend-il des réponses immédiates de la part du gouvernement, dans le cadre des lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2020 : revalorisation du RSA, et réindexation à hauteur de l’inflation des prestations sociales et familiales et des allocations logement ainsi que leur réévaluation.

Le collectif s’inquiète également du sort des jeunes précaires et demande l’élargissement du périmètre de la garantie jeunes.

Ces dispositions pourraient améliorer très rapidement le pouvoir d’achat des plus précaires et donner un signe que le gouvernement s’inquiète réellement de leur sort. Si la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté comporte de nombreuses mesures positives et structurelles, rappelons que ses effets s’inscriront dans un temps long qui ne peut être celui des 9 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, a fortiori de celles d’entre elles qui vivent à la rue, dans des campements ou des logements indignes.

Il est temps que le gouvernement enclenche ce tournant social tant attendu et prenne en considération les plus vulnérables, afin de « ne plus oublier personne », selon votre volonté exprimée le 13 septembre dernier.

Face à cette urgence sociale, nous restons à votre disposition pour travailler ensemble afin d’échanger et de construire ensemble des réponses adaptées qui placent la réalité de vie des personnes les plus vulnérables au cœur de la volonté de réforme.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le président de la République, l’assurance de notre haute considération.

Signataires : Christophe Devys, président du collectif Alerte, Alain Rochon, président de l’APF France handicap, Claire Hédon, présidente d’ATD Quart Monde, Hubert Trapet, président d’Emmaüs France, Louis Gallois, président de la Fédération des acteurs de la solidarité, Laurent Desmard, président de la Fondation Abbé Pierre, Alain Villez, président des Petits frères des pauvres, Véronique Fayet, présidente du Secours Catholique, Patrick Doutreligne, président de l’Uniopss

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Paris, le 7 novembre 2019

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