Les « Passeurs d’humanité » sont aussi des « Lanceurs d’alerte »

Par Malik Salemkour, président de la LDH

 

Ce 20 novembre, au « Génie d’Alex » au pied du pont Alexandre III à Paris, une assistance nombreuse, fervente, concentrée et finalement joyeuse a créé l’Association des ami-e-s de la Roya.

Tout l’inverse de l’atmosphère militaire et policière qui, depuis juillet dernier, entoure la communication gouvernementale en matière de politique migratoire.

Car, c’est en juillet dernier, que le Premier ministre présentait les orientations du futur projet de loi sur les migrations. Mettant ses pas dans ceux du président de la République, il a développé les principes de la « dissuasion migratoire ». Le ministre de l’Intérieur, avait quant à lui commencé à conduire le bulldozer en insultant gravement les associations présentes à Calais pour aider les migrant-e-s en difficulté, coincé-e-s par le double barrage Schengen + traité du Touquet.

Tous trois ont ainsi révélé qu’ils ne comprennent rien – ou qu’ils font comme si… – à la migration. Confondant les causes et les conséquences, ils ont cherché à justifier une politique dont ils ont osé prétendre qu’elle serait faite à part égale de fermeté et d’humanité.

Ce n’était que des éléments de langage. Accueillir ? Oui, mais pas trop pour ne pas risquer l’appel d’air. Accroître le nombre de places d’accueil ? Oui mais dans des centres fermés. Diminuer le temps de réponse à la demande ? Oui, mais pour expulser plus vite. Adapter la convention de Dublin ? Oui, mais dans un sens encore plus restrictif. Instruire sérieusement les demandes d’accueil ? Oui, mais pour faire la différence entre les bon-ne-s réfugié-e-s et les mauvais-es migrant-e-s. Cette politique est tellement outrancière que la question de son utilité est posée. Il apparaît que le fond tient dans la peur panique de ce gouvernement de ne pas être considéré comme légitime. Il choisit alors le seul thème qui lui semble à court terme assurer sa crédibilité, la sécurité. Et il prend la responsabilité de piétiner l’état de droit et les conventions internationales qui protègent les droits des personnes.

En revanche, au rebours de son explication, la rationalité de la politique choisie est inexistante. Le gouvernement a beau parler de la « crise des réfugié-e-s » ou de la « crise des migrant-e-s », il ne peut cacher l’indigence de ces syntagmes. Car ce qui est la cause de la crise, c’est l’instabilité du monde, c’est la multiplication des conflits, la prise de pouvoir par des dictatures épouvantables, c’est la misère, la faim et les inégalités, c’est la répression et les discriminations, c’est enfin les catastrophes dites climatiques. Les migrations sont donc inévitables et si les seules réponses sont répressives, il faudra toujours plus de murs, toujours plus de police, toujours plus de centres d’enfermement pour empêcher les migrant-e-s de chercher un endroit pour tenter de vivre et de se (re)construire. Parce que de toute façon, elles et ils viendront.

Et de tous ces êtres humains, qu’est-ce qu’on va en faire ? Pour le gouvernement, il s’agit de les virer ou de les invisibiliser. Pour toutes celles et pour tous ceux qui, au contraire, mettent en avant leur commune humanité avec ces voyageurs à la recherche d’un havre qui se trouve être près de chez eux, la priorité est de les accueillir, de fournir le coup de pouce solidaire qui change tout. Partout en France, comme à Calais et dans la vallée de La Roya comme dans le Briançonnais, des personnes se sont donné comme impératif catégorique de répondre à cette exigence. Pour pouvoir, comme ils et elles le disent se regarder dans le miroir. Pour pouvoir faire face dignement à leurs enfants. Et c’est contre ces gens-là que le gouvernement fait donner la force publique.

En ce mois de novembre, les condamnations contre les militant-e-s solidaires se multiplient, en correspondance avec la progression du nombre de gens qui, ici ou là, ne mégotent pas leur solidarité envers les plus démuni-e-s. Les peines deviennent effectives. Et pendant ce temps-là, le ou les préfets responsables, comme à la Roya, sont condamnés par la justice administrative mais pas pénalisés et restent en place. Ils devraient protéger et appliquer la loi et ils la bafouent. Les délinquant-e-s solidaires respectent la loi qui dit qu’on ne peut laisser une personne dans le besoin sans aide et assistance et ils-elles sont condamné-e-s et pénalisé-e-s. En ce sens, ces « Passeurs d’humanité » que défend la toute nouvelle association qui s’est créée lundi soir sont tout autant des « lanceurs d’alerte » sur l’état inquiétant de la démocratie dans notre pays. Qu’elles et ils soient remercié-e-s de l’avoir révélé et de nous inciter à agir.

 

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