Les Laïcités dans le monde, de Jean Baubérot

Par Daniel Boîtier, coresponsable du groupe de travail « Laïcité » de la LDH

 

Le « Que sais-je » de Jean Baubérot, Les Laïcités dans le monde, a été régulièrement mis à jour depuis sa première publication, comme en témoigne la note bibliographique introduisant des ouvrages récents. Ce « Que sais-je ? » répond aux exigences de synthèse de la collection, mais ouvre aussi à des réflexions renvoyant à nos questions les plus actuelles.

L’attention à l’histoire de la laïcité comme à son actualité permet à ce livre une approche qui ne se réduit pas à l’espace français. Le titre de l’ouvrage indique que la laïcité n’est pas uniquement française, que des pratiques laïques étrangères, par exemple sud-américaines, ont inspiré les promoteurs de la loi de 1905. Ainsi, nous sont rappelées des expériences de laïcisation de l’École qui existèrent en Europe avant d’être instituées France. Il interroge aussi la manière de questionner la laïcité, la sécularisation et le rapport aux religions dans un espace mondialisé.

Les analyses historiques montrant les sources anglaises de la laïcité, et en particulier lockiennes (chapitre 2), relativisent le rôle de Voltaire dans la construction de la laïcité dans notre pays. Celles sur la « religion civile » rousseauiste manifestent l’arrière-plan philosophique du retour de cette religion civile chez certains intellectuels «républicains» d’aujourd’hui. Cette profondeur historique éclaire y compris les nécessaires distinctions que nous devons faire entre l’anticléricalisme voltairien, l’idée d’une sécularisation inéluctable de la société venue des Lumières et la laïcité voulue par la loi de 1905.

Ce «Que sais-je » ne recule pas devant des questions polémiques, ainsi du processus de la «laïcisation des mœurs», souvent décalé de celui de la séparation de l’État et des Églises : on lit par exemple, page 78, qu’en France « la laïcisation ne s’est guère montrée favorable aux femmes, accusées de soumission cléricale ». On se souvient que la loi autorisant la contraception qui « désinstalle » la norme catholique n’intervient qu’en 1967 et que l’IVG n’a été légalisée qu’en 1975.

Le lecteur attentif sera enfin intéressé par les propositions théoriques concernant ce que Jean Baubérot nomme les trois seuils de la laïcisation. Il envisage ces trois seuils moins de manière évolutionniste qu’en termes d’idéal type. Au premier seuil, bien que les institutions se fragmentent, le religieux reste un modèle moral et le pluralisme est réduit. Au deuxième seuil, la séparation des institutions privatise le religieux et l’École se substitue aux religions dans la production des valeurs communes. Au troisième seuil, la référence au religieux relève plus du recours que de l’obligation, les institutions issues du deuxième niveau (comme l’École ou l’Hôpital) se trouvent elles-mêmes contestées, et ce qui restait de sacralisation du pouvoir, y compris dans la laïcité, est objet de luttes « pour une laïcisation de la laïcité » (p. 6). On trouvera, y compris dans l’Islam, opposée à une orthodoxie de masse, une individualisation du croire. Le point 2 du dernier chapitre consacré à « Sécularisation et laïcisation, aujourd’hui » envisage cette « individualisation de la religion comme résultat du processus de laïcisation », qui s’étend à la planète entière, comme le confirment de manière paradoxale les travaux de Youssef Courbage et Emmanuel Todd sur la trajectoire sécularisante dans les cultures musulmanes (p. 118). Jean Baubérot dessine ainsi ce nouveau désenchantement du monde touchant y compris la laïcité. On retiendra cette formule (p. 115) : « Les institutions qui ont désenchanté et décléricalisé le religieux sont atteintes à leur tour par un processus analogue où la sécularisation est elle-même désenchantée, sécularisée. »

 

Les Laïcités dans le monde
Jean Baubérot
Coll. Que sais-je ?, PUF
9 euros

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