La nouvelle convocation de journalistes par la DGSI inquiète des organisations de défense des droits humains

Communiqué commun dont la LDH est signataire 

Trois journalistes de Radio France et de Disclose, qui avaient enquêté en 2018 sur des soupçons de trafic d’influence dans l’armée française, sont convoqués demain par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), au nom du secret de la défense nationale. Amnesty International France, la Fédération internationale pour les droits humains, la LDH (Ligue des droits de l’Homme), la Maison des Lanceurs d’Alerte et Sherpa s’inquiètent de l’effet d’intimidation de cette nouvelle convocation. Celle-ci concerne une fois de plus des journalistes s’intéressant aux affaires relatives à la défense ou aux ventes d’armes, sujets d’intérêt public mais qui font toutefois l’objet d’une grande opacité en France.

Benoît Collombat et Jacques Monin, journalistes de Radio France ainsi que Geoffrey Livolsi, journaliste et cofondateur de Disclose, seront entendus demain en audition libre par la DGSI dans le cadre d’une enquête ouverte pour « révélation ou divulgation d’information permettant l’identification d’un membre d’une unité des forces spéciales ». Cette convocation fait suite à la publication, en mars 2018, d’une enquête de la Cellule investigation de Radio France intitulée « Transport aérien : soupçons de trafic d’influence dans l’armée » et portant sur des soupçons de trafic d’influence au sein de l’armée française.

« Il est particulièrement préoccupant que le travail des journalistes enquêtant sur des sujets d’intérêt public liés au domaine opaque de la défense fassent quasi systématiquement l’objet d’une enquête de la DGSI », déclare Katia Roux, responsable plaidoyer Libertés à Amnesty International France.

Après les révélations de Disclose du 15 avril 2019, qui prouvent l’utilisation d’armes françaises au Yémen, et celles du 21 novembre 2021 sur le renseignement militaire français fourni à l’Égypte, il s’agit ici de la troisième enquête des services de renseignement français visant un des membres du média d’investigation et la seconde visant Benoît Collombat.

Nos organisations rappellent qu’une presse libre traitant de questions d’intérêt public est la pierre angulaire de toute société respectueuse des droits humains. Le droit à la liberté d’expression protège le droit de chercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toutes sortes. À ce titre, les journalistes jouent un rôle fondamental d’information du public et doivent pouvoir mener leurs activités sans craindre des représailles pour eux et pour leurs sources.

« Cette tentative d’intimider les journalistes est inquiétante pour le droit d’alerter et la liberté d’informer. Le secret défense ne doit pas servir à couvrir des comportements illégaux et des atteintes à l’intérêt général. Il doit encore moins permettre de révéler à tout prix l’identité des lanceurs d’alerte qui signalent des dysfonctionnements, et de les exposer ainsi à des représailles qui, pour rappel, sont interdites par la loi. C’est sur la résolution de ces dysfonctionnements que les services de l’État doivent se concentrer », déclare Nadège Buquet, coprésidente de la Maison des Lanceurs d’Alerte.

Porter à la connaissance des citoyens et des citoyennes des informations sur un possible trafic d’influence au sein de l’armée française, informations faisant par ailleurs déjà l’objet d’une enquête par le Parquet national financier, relève de l’intérêt public, argument qui doit donc prévaloir sur celui du secret défense.

« Secret défense, secret des affaires… La protection légale accordée aux multiples secrets politico-financiers favorise l’opacité et l’impunité des plus puissants. Qu’ils soient utilisés pour refuser l’accès à des documents contenant des informations d’intérêt général ou pour bâillonner des journalistes et intimider leurs sources, ces secrets constituent des entraves à la liberté d’expression et d’information », ajoute Tiphaine Beau de Loménie, responsable de contentieux et de plaidoyer à Sherpa.               

« Les menaces pesant sur la liberté de la presse deviennent de plus en plus fréquentes, et il n’est pas tolérable dans un régime démocratique d’utiliser le recours aux services de sécurité pour tenter de museler la presse », soutien Patrick Baudouin, président de la LDH et président d’honneur de la FIDH.

Signataires : Amnesty International France (AIF), Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) , LDH (La Ligue des droits de l’Homme), La Maison des Lanceurs d’Alerte, *Sherpa

Paris, le 13 décembre 2022

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