La CNCDH condamne sans ambages le « délit de solidarité »

Par Françoise Dumont, présidente d’honneur de la LDH

En mai 2017,  Pierre-Alain Mannoni n’avait pas encore écopé de prison avec sursis et déjà la CNCDH votait à l’unanimité  un avis demandant que soit vraiment mis fin au délit de solidarité et qu’à cet effet soit réécrit l’article L. 622-1 du Ceseda qui permet les poursuites. Elle demande que le droit national soit mis en conformité avec le droit européen.

Une recrudescence des poursuites

Dans son avis, la CNCDH constate d’abord depuis deux ou trois ans une recrudescence des poursuites. Pour les cinq premiers mois de l’année 2017, dix-neuf personnes avaient déjà fait l’objet de poursuites dans une douzaine d’affaires. L’été n’a fait que confirmer cette tendance. Elle rappelle également  que certaines collectivités locales prennent des mesures à l’encontre des associations pour les empêcher de faire leur travail. A Calais par exemple, la mairie a voulu interdire les distributions de repas et de nourriture et a tenté d’empêcher l’accès aux douches situées dans les locaux du Secours Catholique, heureusement le tribunal administratif de Lille a suspendu ces arrêtés “antidistribution”.

Un arrêté faussement abrogé

En février 2017, la présidente de la CNCDH s’était adressée au Premier ministre de l’époque pour lui demander de donner des instructions afin que cessent les entraves à l’action des associations et des citoyen-ne-s qui portent secours aux migrant-e-s. En réponse, le Premier ministre avait affirmé que « l’article L.622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers a été abrogé le 31 décembre 2012 – ce que l’on a appelé la “dépénalisation du délit de solidarité”.»
En principe donc  plus de problèmes… Sauf que cette affirmation relève de la mystification.
En fait, la loi du 31 décembre 2012 a introduit dans un article L. 622.4 des exemptions aux poursuites qui doivent répondre à deux types de conditions cumulatives : d’une part, ceux qui aident ne doivent percevoir aucune contrepartie directe ou indirecte et se limiter au domaine prescrit par la loi, à savoir, conseils juridiques, prestations d’hébergement, de repas ou de soins médicaux ou bien toute autre aide visant à « préserver la dignité ou l’intégrité physique de la personne aidée ». Or, dans ce dernier cas, cette condition n’est que difficilement remplie : donner des cours d’alphabétisation ou recharger un téléphone portable pourra par exemple ne pas être considéré comme nécessaire pour  préserver la dignité ». En conséquence, ces formes d’aide – et beaucoup d’autres – ne seront pas exemptées de condamnations, même si elles sont totalement désintéressées et ne donnent lieu à aucune contrepartie.
Par ailleurs, les exemptions prévues ne jouant que pour l’aide au séjour, à l’exclusion de  l’entrée et à la circulation en France des étranger-e-s en situation irrégulière , même désintéressée, une personne peut être poursuivie et condamnée si elle aide un-e étranger-e à passer la frontière ou même, seulement  à se rendre d’un point à l’autre du territoire , par exemple en la prenant à bord de son véhicule pour lui faciliter l’accès aux soins.

Un Etat qui ne respecte ni son propre droit , ni le droit européen , ni ses engagements

En vertu de certaines dispositions du Ceseda, tout-e étranger-e souhaitant pénétrer sur le territoire français dispose de droits minimaux tels que celui de se voir notifier dans une langue qu’il-elle comprend une décision écrite et motivée de refus d’entrée, celui d’être informé-e de la possibilité de ne pas être renvoyé-e immédiatement ou encore celui de demander l’asile et de voir sa demande examinée.
La CNCDH constate que les procédures appliquées, notamment à la frontière franco-italienne, présente de très nombreuses défaillances. Si elle ne s’étend pas sur la question, elle  constate aussi que l’Etat n’assume pas ses obligations de protection des mineur-e-s isolé-e-s.
En ce qui concerne les restrictions apportées à l’expression de la solidarité,  la CNCDH estime que de celles-ci vont à l’encontre de la directive européenne  du 28 novembre 2002 qui dispose que seule l’aide au séjour apportée dans un but lucratif est sanctionnée. L’étendue de l’incrimination française est donc critiquable au regard du droit de L’Union européenne.
Ces restrictions s’opposent également à la résolution 2059 de l’Assemblée parlementaire  du Conseil de l’Europe qui condamne les pays qui « sanctionnent l’aide humanitaire, instituant « un délit de solidarité » »  et rappelle « la nécessité de mettre fin à la menace de poursuites pour complicité à la migration irrégulière, engagées à l’encontre des personnes qui portent secours ».
Elles vont  aussi à l’encontre des recommandations  de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), soulignant que l’incrimination de l’aide sociale et humanitaire apportée aux migrant-e-s favorise l’intolérance et le racisme.
Enfin, la CNCDH rappelle par ailleurs les dispositions de l’article 12 de la Déclarations des Nations unies pour les défenseurs des droits de l’Homme qui demandent aux Etats de prendre « toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne, individuellement ou en association avec d’autres, de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire dans le cadre de l’exigence légitime des droits visés dans la présente Déclaration. A cet égard, chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, d’être efficacement protégé par la législation nationale quand il réagit par des moyens pacifiques contre des activités et actes, y compris ceux résultant d’omissions imputables à l’Etat et ayant entraîné des violations des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ».
On ne saurait être plus clair.

Les recommandations de la CNDH
Recommandation  n°1 : la CNCDH appelle le gouvernement et le législateur à modifier la rédaction de l’article L.622-1 du Ceseda afin que le droit national soit désormais conforme avec le droit européen. Dans cet article, seule l’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers apportée dans un but  lucratif devrait être sanctionnés. Il conviendrait  alors d’abroger l’article L.622-4.
Recommandation n°2 : la CNCDH appelle également les autorités publiques à cesser de recourir à des délits annexes sans rapport avec les infractions de l’article L.622-1 du Ceseda. Les poursuites pour délits d’outrage, d’injure, de diffamation ou de violences à agent de la force publique, le délit « d’entrave à la circulation d’un aéronef », la réglementation sur l’hygiène ou la sécurité applicables à des locaux… Tous ces délits n’ayant d’autre objectif que celui d’intimider ou poursuivre les délinquants solidaires.
Recommandation n°3 : La CNCDH recommande enfin que les pouvoirs publics concentrent leurs moyens et leurs actions au renforcement de leur capacité d’accueil et d’accompagnement des personnes migrantes, afin de garantir l’effectivité de leurs droits fondamentaux.

 

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