Ce que nous apprennent les citoyens solidaires de la vallée de la Roya

Par Henri Rossi, délégué régional de la LDH de Paca

Condamnation de l’Etat défaillant

Nous ne reviendrons pas sur la situation pour le moins singulière où le responsable, le coupable même puisque que le préfet des Alpes-Maritimes a ainsi été jugé coupable à deux reprises, se permet de mettre en œuvre par sa police, et trop souvent avec l’appui d’une justice aveugle, la répression de ceux-là même qui entendent palier ses manques, voire les défaillances de son administration.

Rappelons que depuis la fermeture de la frontière franco-italienne, en juin 2015, cette politique du refus de respecter le droit pour les nombreux migrants qui voudraient la franchir sans encombre et en toute sécurité, a coûté la mort à une quinzaine d’entre eux (par noyade lors d’une crue subite de la Roya, par électrocution en se cachant dans l’armoire électrique d’un wagon SNCF ou sur son toit entre les pantographes sous les caténaires, par accidents de la route dans un tunnel, par chute d’un viaduc de l’autoroute, etc.).

Services de l’Etat remplis par des citoyens bénévoles et solidaires…

Nous voulons parler ici-même de ces citoyens qui font honneur aux valeurs humanistes de notre République et qui sont réprimés, pourchassés, condamnés pour cela.

Ainsi, il nous suffit d’examiner le cas de six d’entre eux, Cédric Herrou, Pierre-Alain Mannoni et le groupe de quatre habitant-e-s de la vallée que la presse a nommé les papis et mamies de la Roya, pour comprendre à quel point l’Etat, par ses représentants, refuse non seulement d’appliquer la loi, mais entend en empêcher son application en punissant ceux-là même qui, s’appuyant sur celle-ci, viennent au secours des étrangers dont les droits sont bafoués. Ces habitant-e-s ne respectent-ils pas, pourtant, l’article 622.4 du Ceseda qui autorise l’aide apportée à ces malheureux, errant dans la montagne ou en des lieux inhumains (chemins escarpés, température glaciale au bord des routes, sur les voies ferrées, etc.), « lorsque l’acte reproché est (était), face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s’il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte » ?

Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, n’a-t-il pas lui-même souligné le 21 juillet 2017 que « La France n’assume pas son rôle d’accueil » ?

… condamnés pour cela !

Octobre 2016, froid glacial dans la vallée de la Roya, cinquante-huit Erythréens transis, épuisés par des heures de marche, parfois blessés, arrivent chez Cédric Herrou, agriculteur à Breil-sur-Roya. Ils seront installés par Cédric Herrou et des militants de cette vallée, au sein de l’association Roya citoyenne dans un local désaffecté de la SNCF : « Puisque l’état ne fait rien, nous avons décidé de prendre ce lieu dans l’attente que la préfecture ouvre enfin un centre d’accueil décent ». Traduit en correctionnelle pour aide au séjour d’étrangers en situation irrégulière, pour un transport antérieur de migrants depuis l’Italie, mais relaxé pour le squat du bâtiment SNCF en première instance (sur appel du parquet) la cour d’Aix-en-Provence se saisira à nouveau de ce dernier chef pour le condamner à quatre mois de prison avec sursis, dans des termes mêmes du jugement qui en disent long sur la nature politique de cette condamnation : « Quand l’aide à l’entrée s’inscrit dans une contestation globale de la loi, elle n’entre pas dans les exemptions prévues mais sert une cause militante, et non une réponse à une situation de détresse. Ce service constitue, à ce titre, une contrepartie ».

En juillet 2017, cent cinquante six migrants sont conduits en train par Cédric Herrou à la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile (Pada) de Nice pour y être enregistrés, après contrôle individuel et acceptation de la démarche par la police en gare de Breil-sur-Roya. La Pada, dépassée par le nombre, propose alors à Cédric Herrou de les conduire à Marseille et la police en gare de Nice n’oppose aucune interdiction. Ils seront pourtant interceptés en gare de Cannes par un détachement de la police nationale en toute illégalité et transférés dans des bus pour être reconduits à la police aux frontières (Paf) de Menton, pour être aussitôt renvoyés en Italie. Même les mineurs isolés ne seront pas pris en considération : « des mineurs isolés entourés de majeurs ne sont plus isolés » conclura, péremptoire, le commissaire qui commandait ce détachement au représentant de la LDH, qui ne manquait pas de lui souligner cet acte hors-la-loi. Cédric Herrou sera ensuite mis en garde à vue à Cannes pendant 48 heures. Le parquet de Grasse a depuis ouvert une enquête pour « aide à l’entrée et à la circulation d’étrangers en situation irrégulière », mis en examen et placé sous contrôle judiciaire le « citoyen solidaire ».

Pierre-Alain Mannoni, enseignant-chercheur à Nice, recueille le 18 octobre 2016, dans le squat précité, trois Erythréennes blessées, dont une assez sévèrement, pour les conduire à Nice dans sa voiture afin qu’elles puissent avoir accès à des soins. Intercepté par la gendarmerie au péage de l’autoroute, traduit en correctionnelle pour « aide au séjour et à la circulation d’immigrés clandestins », il déclarera « mon geste n’est ni politique, ni militant, il est simplement humain ». Relaxé en première instance, le parquet faisant appel, il était jugé le 26 juin 2016 par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence qui, après un délibéré, le condamnera à deux mois de prison avec sursis, dans un jugement porté là aussi par une volonté politique « c’est un citoyen ordinaire qui ne respecte pas le texte de loi en le connaissant très bien du fait de ses activités militantes », malgré son affirmation contraire, réitérée en appel.

Enfin, n’oublions pas les quatre retraités de Roya citoyenne, dont René Dahon habitant Breil-sur-Roya et découvrant en janvier dernier, dans un sentier de leur montagne par un froid glacial, six jeunes migrants dont deux mineurs. Ils se proposent aussitôt de les conduire à Nice pour les déposer en préfecture afin que, dans la stricte application de la loi, les mineurs isolés soient pris en charge par l’Etat et les adultes puissent déposer une demande d’asile. Rapidement interceptés par la police, ils ne pourront accomplir cet acte citoyen et seront par ailleurs traduits pour cela en correctionnelle. Le procureur, lui-même, reconnaissait la nullité et souhaitait une relaxe pour ces faits, mais nos amis ont alors choisi, en audience, de s’auto-dénoncer afin de faire entendre l’incohérence des mesures prises par l’Etat dans la vallée de la Roya. Le procureur a requis une amende de 800€ avec sursis pour chacun de ces citoyens solidaires.

Ce que nous apprennent les migrants aussi

Pour terminer, nous devons remercier les migrants et leurs secours, que l’Etat transforment en « délinquants de la solidarité » par un retournement scandaleux qui restera dans l’histoire de notre République comme une honte de certains élus et hauts fonctionnaires.

En effet, à une époque où nous luttons contre de graves menaces qui pèsent sur nos libertés en raison des projets de loi qui visent à institutionnaliser l’état d’urgence, il n’est pas vain de constater ce que déjà, dans le cadre législatif actuel, les responsables des pouvoirs publics sont capables de mettre en place pour les étouffer, quitte à s’affranchir des dispositions présentes.

Tout sera à craindre dès lors que ces nouvelles lois permettront ainsi aux autorités de mettre en œuvre des actes liberticides.

 

 

 

 

 

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