Lettre ouverte de plusieurs organisations, dont la LDH
M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur et M. Julien Denormandie, ministre du logement et de la cohésion des territoires,
Messieurs les ministres,
À l’occasion d’une réunion organisée par la Direction générale des étrangers en France (DGEF) le mardi 25 juin dernier, l’Etat a annoncé aux associations sa volonté d’organiser, par une instruction ministérielle aux préfets, un échange d’informations nominatives entre le 115 -SIAO et l’Ofii concernant les demandeurs d’asile et les personnes réfugiées orientés par le 115 vers l’hébergement d’urgence. Si cette disposition figure dans la loi du 10 septembre 2018, les associations de lutte contre l’exclusion s’inquiètent des finalités de cet échange d’information dans la mesure où l’Ofii dispose déjà de ces données par le biais des dispositifs du premier accueil pour demandeurs d’asile et du fichier DNA dans le cadre de ses missions d’accueil des demandeurs d’asile.
L’Etat évoque la nécessité d’une meilleure orientation des demandeurs d’asile et des réfugiés dans le but d’améliorer leur hébergement. Cette intention serait louable et crédible si l’Etat se donnait les moyens de proposer un hébergement pour chaque demandeur d’asile. Pourtant, moins d’un demandeur d’asile sur deux bénéficient aujourd’hui d’un hébergement faute de place disponible dans les centres spécialisés (CADA et HUDA). Ce grave sous-dimensionnement du parc d’hébergement alimente le développement de campements indignes et de bidonvilles dans de nombreux départements. Il en est de même pour les difficultés rencontrées par les personnes réfugiées, au même titre que les personnes en précarité, qui vont à l’encontre d’autres principes défendus par le gouvernement dans le cadre du Logement d’Abord.
Les associations de solidarité redoutent que cet échange d’information ait en réalité pour finalité principale d’identifier les étrangers présents dans l’hébergement d’urgence afin de procéder à des contrôles et leur expulsion ou leur éloignement du territoire. Les associations rappellent que le 115-SIAO est un service d’urgence sociale dédié aux personnes, hommes seuls, femmes et familles sans domicile fixe. Ses missions clairement définies par la loi ne prévoient pas de contrôle ni de « tri » des personnes hébergées en fonction de leur statut administratif. Elles garantissent également une prise en charge inconditionnelle et la confidentialité des données personnelles recueillies par le 115 et les intervenants sociaux. En aucun cas, le 115 ne peut être placé sous la tutelle du ministère de l’intérieur ou de l’Ofii ni être en situation d’exercer des missions d’auxiliaire de police.
Le détournement de la finalité des missions du 115-SIAO aurait évidemment des conséquences dramatiques pour les personnes sans domicile fixe qui ne solliciteront plus ce numéro d’appel d’urgence ou quitteront les centres d’hébergement par crainte de mesures coercitives.
L’interconnexion des fichiers nominatifs du DNA et du SIAO annoncée par la DGEF permettrait au ministère de l’intérieur de disposer d’informations nominatives sur des personnes sans-abri, sans information ni accord de leur part, une disposition qui semble particulièrement dangereuse et qui n’a pas été autorisée par la CNIL.
Nous sommes également fermement opposés à la tenue annoncée de commissions locales mensuelles d’examen des situations individuelles des personnes présentes dans l’hébergement en présence des services préfectoraux, de l’Ofii et du 115-SIAO. Ces réunions sont contraires aux obligations de confidentialité et de secret professionnel qui fonde l’action sociale et l’intervention des associations de lutte contre l’exclusion. En outre, ces commissions s’appuient sur la relance des équipes mobiles prévues par la circulaire du 12 décembre 2017 sans respecter les principes énoncés par le Conseil d’Etat dans sa décision du 11 avril 2018 à savoir l’accord des ménages concernés et du gestionnaire de l’hébergement.
En conséquence, nous vous demandons de faire respecter le principe légal d’inconditionnalité et de continuité de l’accueil de toute personne en situation de détresse. Cela suppose de renoncer à la mise en place d’un système d’échanges d’informations sur les personnes et familles sans domicile dont la finalité serait leur recensement en fonction de leur statut administratif avec pour conséquence leur non accès à l’hébergement, des ruptures de prise en charge ou leur éloignement du territoire.
Les associations vous demandent une rencontre au plus haut niveau pour évoquer l’ensemble de ces sujets.
Nous vous prions de croire en l’expression de notre très haute considération.
Paris, le 5 juillet 2019
Pour le Collectif des Associations Unies, Christophe Robert Délégué Général de la Fondation Abbé Pierre et Florent Guéguen, Directeur Général de la Fédération des acteurs de la solidarité.
Associations nationales et organismes signataires : Fédération des acteurs de la solidarité, Fondation Abbé Pierre, Association Dalo, Amicale du Nid, Ardhis, Association des cités du secours catholique, Association JRS France, Association nationale des assistants de service social (ANAS), Association nationale des compagnons bâtisseurs, ATD quart monde, Aurore, Centre d’action sociale protestant, Comede, Coordination française pour le droit d’asile, DOM’ASILE, Emmaüs France, Emmaüs solidarité, Fapil, Fédération des associations de solidarité avec tous les immigrés-e-s, Fédération entraide protestante, Fédération santé habitat, Fondation de l’armée du salut, Fédération nationale des SAMU sociaux, Fédération nationale solidarité femmes, Groupe d’information et de soutien des immigré-e-s (GISTI), Groupe SOS, L’action des chrétiens pour l’abolition de la torture, La CIMADE, La croix rouge, La ligue des droits de l’Homme (LDH), Médecins du monde, Le collectif les morts de la rue, Les petits frères des pauvres, Le refuge, SAMU social de Paris, Soliha, Le secours catholique – Caritas France, UNAFO, UNCLLAJ, UNHAJ, L’UNIOPSS.