Supprimer le juge d’instruction : coup de force et brouillage des pistes

L’annonce par le Président de la République à l’occasion de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de Cassation de son intention de voir supprimer le juge d’instruction et de le remplacer par un juge de l’instruction a immédiatement provoqué des prises de positions tranchées. Un réflexe contre lequel Jean Danet, membre du Comité central et responsable du groupe de travail Justice de la LDH, met en garde en revenant sur les problèmes de fond. Question : Dans cette affaire, c’est d’abord la méthode qui a choqué l’opinion publique…

Jean Danet : cela vaut la peine d’y revenir, dans la mesure où la méthode, justement, éclaire le fond. Je rappelle que le pouvoir exécutif a installé il y a quelques mois seulement une commission ayant pour mission de proposer une réforme du code pénal et du code de procédure pénale et ce pour le 1er juillet 2009. Des délais qui laissent rêveurs au regard de la tâche… Et voilà que sans attendre la moindre conclusion de cette commission, le chef de l’état annonce un morceau de la réforme de la procédure : il faut supprimer le juge d’instruction et le remplacer par un juge de l’instruction. On peur avoir de sérieux doutes sur la validité d’une commission ainsi malmenée. Deux de ses membres ont d’ailleurs démissionné après l’annonce présidentielle.

Question : pourquoi ce coup de force ?

Jean Danet : Le contexte n’est pas neutre. La justice pénale est plus en crise que jamais et même les magistrats du siège, ceux qui jugent, s’inquiètent pour leur indépendance. C’est notamment le cas à Paris où un projet de réforme est mené sans concertation et même contre l’avis de l’assemblée générale des magistrats. On a vu des juges d’instruction qui avaient pris l’initiative d’aller visiter collectivement une maison d’arrêt (une première !) et de faire connaître par voie de presse leur inquiétude devant ce que sont les prisons, eux qui ont charge de demander la détention provisoire à leurs collègues JLD ( juges de la détention) être mis en demeure de fournir des explications à leur supérieur. Ajoutons que la comparution du juge Burgaud devant le CSM était programmée. On ne peut donc que s’inquiéter du mélange des genres qui s’opère dans ce contexte : espère-t-on que la comparution du juge Burgaud ralliera l’opinion à la réforme proposée ou à l’inverse pense-t-on que le CSM sera tenté de sanctionner Burgaud pour sauver l’institution juge d’instruction ? Dans tous les cas, cette concomitance peut donner le sentiment d’une pression exercée sur le monde judiciaire via l’opinion. Dans tous les cas, elle opère comme un facteur de confusion.

Question : Elle n’a pas le mérite de soulever le débat ?

Jean Danet : Elle ne soulève pas le débat, elle le brouille. Car il est d’une toute autre portée et exclut qu’on pose des questions auxquelles on puisse simplement répondre « d’accord » ou « pas d’accord ». Si on dit que le juge d’instruction n’est pas nécessaire à une justice démocratique, on prend le risque de se voir reprocher d’être du côté de ceux qui favorisent une justice de riches où, à défaut d’un juge enquêteur, seule une petite minorité aura les moyens de se payer les avocats et enquêteurs privés pour se défendre. Dire qu’il faut s’opposer à cette suppression c’est se retrouver aux cotés de certains juges qui n’ont en tête que la défense de leur intérêts corporatistes et qui sont profondément rétifs aux droits de la défense. On risque alors de renforcer une image négative d’une justice animée par des gens qui débattent entre eux de la procédure pénale comme si elle était faite pour eux !
Au-delà, cette annonce a sans doute à voir avec le seul domaine où les juges d’instruction peuvent encore se targuer de gêner parfois et d’être un contre-pouvoir. C’est-à-dire le domaine économique et financier, voir le domaine politico-financier. S’il est un domaine où les juges d’instruction ont parfois redoré leur blason c’est celui-là. Ils ont parfois su ici faire preuve d’indépendance face à un parquet aux ordres, et demeurer des gêneurs pour le pouvoir exécutif ou pour les intérêts économiques et financiers les mieux établis. Et il faut alors s’interroger : l’annonce de la suppression du juge d’instruction n’aurait-elle pas un rapport avec d’autres réformes annoncées : celle du code des marchés publics, de la dépénalisation des affaires ? Faut-il rapprocher cette annonce de la chute des instructions ouvertes au pôle économique et financier parisien qui sont passées de 100 à 24 par an ? Bref, s’agit-il d’assurer une gestion encore plus « différentielle » des illégalismes, de protéger les plus puissants et les plus riches alors que la pénalisation des pauvres n’a cessé de se durcir ? En ce cas, s’engouffrer dans des débats de procédure sur ne concernant que cette seule dimension du juge d’instruction revient sans doute à passer côté de l’essentiel.

Question : comment, alors, répondre à une demande forte de réforme de la justice pénale, qui réponde à la fois aux intérêts des professionnels et aux besoins des justiciables ? Une réforme fondée sur les principes des droits de l’homme à commencer par le procès équitable .

Jean Danet : L’existence du juge d’instruction est critiquable et est critiquée de longue date. Dès le XIXème siècle, la critique s’est focalisée sur le fait que ce juge-enquêteur à qui on demande aussi d’être un arbitre de l’enquête est atteint par une contradiction majeure : comme enquêteur, il fait des choix pose des hypothèses et veut élucider les affaires qui lui sont confiées, parfois en s’accrochant au-delà du raisonnable à l’hypothèse qu’il a forgé. Comment espérer alors qu’il instruise à charge et à décharge et qu’il explore les pistes que lui demande d’explorer la défense et qu’il a délibérément écartées ? Comment imaginer qu’il ne fasse pas de la détention provisoire qu’il décide jusqu’en 2000 et qu’il demande aujourd’hui au Juge de la détention un moyen de pression tout comme la garde à vue est un moyen de pression pour l’enquêteur de police ? Ces critiques adressées à l’institution « juge d’instruction » n’ont jamais cessé ; on les retrouve d’ailleurs dans deux projets de réforme qui, dans les deux cas, visaient l’ensemble de la procédure pénale. En 1947, Donnedieu de Vabres propose de remplacer le juge d’instruction par le juge de l’instruction et en 1991, la commission « Justice pénale et droits de l’homme », présidée par Mireille Delmas-Marty et dans laquelle siégeait Henri Leclerc a pour sa part proposé de le remplacer par un « juge » qui devenait dans tous les cas (crimes et délits) le garant des libertés, le juge de l’enquête menée par un parquet dont le statut était aussi entièrement repensé. Ces réformes n’ont pas été suivies d’effet. Habilement, le chef de l’état reprend le vocable de l’une d’elle. Mais il ne dit rien de ce que serait autour de cette proposition, le statut du parquet, celui de la police judiciaire. Or sans cela sa proposition ne peut être appréciée et encore moins approuvée.

Question : Face au coup de force de Nicolas Sarkozy, le réflexe sain n’est-il pas d’abord de « défendre le juge d’instruction » ?

Jean Danet : et ainsi, de le parer de toutes les vertus ? Sûrement pas. On ne saurait oublier que depuis 1958 pour ne pas remonter au-delà (c’est la date d’entrée en vigueur du code de procédure pénale actuel), les juges d’instruction sont demeurés pour la plupart, piégés dans la logique de leur institution. Tout comme à la fin du siècle dernier, ils se sont opposés à l’arrivée dans leur cabinet de l’avocat, ils n’ont eu de cesse de ralentir, de traîner des pieds devant les progrès d’une procédure plus contradictoire c’est à dire où la défense puisse plus tôt et mieux s’exercer. Ils n’ont jamais favorisé l’égalité des armes entre défense et accusation. Au contraire ils sont demeurés dans une proximité totale avec le parquet adoptant systématiquement ses réquisitoires, dont ils ont fait par un copier/coller leurs décisions pendant plus d’un siècle. Sur la surpopulation des prisons, ils se sont, jusqu’à la visite citée ci-dessus, abstenus de vouloir la prendre en compte et ce n’est que depuis qu’ils ont perdu leur pouvoir d’incarcérer que la détention provisoire a commencé de diminuer un peu. Au nom des abus de la défense, ils n’ont eu de cesse de réclamer du législateur qu’il enserre ses droits dans des exigences toujours plus strictes. Certes, certains magistrats instructeurs ont su résister à cette pente mais globalement, l’institution est demeurée réfractaire à une procédure contradictoire et au progrès de l’égalité des armes.
Aujourd’hui, elle reste sur la défensive, d’autant qu’elle est concurrencée en quelque sorte au sein de l’institution judiciaire par les progrès techniques de la police, l’importance prise par les premières constatations faites sur la scène du crime, par la police technique et scientifique, par la meilleure formation de la police au sein de laquelle on sait aussi mener une direction d’enquête. La montée en puissance des parquets et diverses lois ont permis peu à peu de se passer dans de nombreuses affaires délictuelles de l’ouverture d’une instruction. Il y a longtemps que des membres du parquet font observer que la valeur ajoutée de l’instruction est faible. Bref, l’institution « juge d’instruction » est en mauvaise posture et aujourd’hui, elle ne concerne plus que moins de 5% des poursuites et à peine 3% des réponses pénales (y compris sous forme d’alternatives aux poursuites).

Question : Comment alors s’attaquer au problème d’un point de vue des droits de l’Homme ?

Jean Danet : Si l’on veut réfléchir à la justice pénale du point de vue des droits de l’homme, il nous faut partir des droits de la défense, des conditions d’un procès équitable et de l’égalité des armes. Cela passe entre autres les questions suivantes : Dans la phase d’enquête de police, quel secret et au bénéfice de qui ? Quelle information au public ? Par qui ? Quelle protection de la présomption d’innocence ? Quelle organisation d’une contradiction entre défense et accusation pour éviter que la défense ne se retrouve devant le tribunal après une enquête menée durant des mois entiers sans y avoir jamais eu accès et sans pouvoir aussi tardivement y répondre à armes égales?
En garde à vue et lors de toutes les investigations intrusives, comment admettre le refus d’une vraie défense contrairement à la plupart de nos voisins ?
Comment admettre que la police tienne, de fait, les parquets en sa qualité de « fournisseur » et soit sous le seul contrôle réel du ministère de l’intérieur quand c’est au contraire le parquet qui devrait contrôler la police judiciaire ?
Au vu des interrogations, loin d’être exhaustives, on mesure à quel point la réforme nécessaire doit être appréhendée comme un ensemble, afin de réformer le statut du parquet et faire des magistrats du parquet de vrais magistrats, indépendants au moins par leur conditions de nomination, quand même la cour de Strasbourg leur conteste cette qualité aujourd’hui. Renforcer les droits et les moyens de la défense vis à vis de l’accusation comme de la partie civile, assurer l’égalité des armes entre toutes les parties privées et entre elles et le ministère public renvoie a une réforme d’ampleur, et davantage à une vision d’ensemble qu’à un petit bout de lorgnette, fut-elle Présidentielle…

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Entretien Danet juge d’instruction

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