Campagne contre le racisme : rencontre avec le président de la République

Entretien avec Pierre Tartakowsky, président de la LDH

Ce n’est pas tous les jours que le président de la Ligue des droits de l’Homme, Pierre Tartakowsky, rencontre le président de la République. Quel bilan peut-on tirer d’une rencontre où ont été abordées bon nombre des questions qui sont au cœur même des préoccupations de la LDH et des trois autres organisations présentes le 30 novembre ? DH : Ce 11 mars dernier, la Ligue des droits de l’Homme a rencontré le Président de la République ; dans quel cadre et avec quels objectifs cette rencontre a-t-elle eu lieu ?

Pierre Tartakowsky : Au lendemain des manifestations du 30 novembre contre le racisme, organisées a l’initiative de la LDH, la Licra, le Mrap et SOS racisme avec deux collectifs ultra marins, nous avions demandé audience à l’Elysée. Nous étions d’accord pour estimer que la parole gouvernementale – et partant, présidentielle – avait été particulièrement peu audible sur le terrain des valeurs de la fraternité, du refus du racisme. Nous estimions utile de pouvoir en discuter, d’envisager ce qu’il était possible et souhaitable de faire, de réaffirmer enfin un ensemble de considérations qui nous mobilisent, les quatre organisations, chacune à sa manière, autour des enjeux d’égalité. Je pense tout particulièrement au droit de vote des résidents non européens et au récépissé de contrôle d’identité. Le temps a passé mais, finalement, le Président a donné suite à notre demande, créant ainsi un précédent. C’est en effet la première fois qu’un président de la République reçoit les quatre associations ensemble, sur un agenda commun.

DH : Comment le Président de la République a-t-il réagi aux interventions des uns et des autres ?

Pierre Tartakowsky : Nos échanges se sont tenus à l’ombre portée des événements qui se sont précipités autour de Christiane Taubira puis de Dieudonné et de Jour de colère, et nous avons senti une écoute soutenue tout au long d’un échange long qui a duré une heure et demi sur un mode franc et direct, comme on dit en langage diplomatique. Nous avons abordé les dossiers sur lesquels les autres associations convergent. Sur le droit de vote des résidents non européens, le président a réitéré son désir d’avancer en soulignant qu’il n’avait pas pour l’heure – ce qui est exact – de majorité pour le faire. Sur le récépissé de contrôle d’identité nous avons eu la surprise de l’entendre proposer des expérimentations partielles. Nous lui avons fait remarquer que son ministre de l’Intérieur avait balayé d’un revers de main cette hypothèse dès que formulée par nous-mêmes. Cette information n’a eu l’air ni de le surprendre ni de le stopper dans sa réflexion.

DH : C’est ce qu’exprime la phrase « le Président n’a fermé aucune porte » dans le communiqué commun aux quatre organisations ?

Pierre Tartakowsky : Exact. On peut en sourire, considérant que la messe est dite ; mais on peut aussi se féliciter que ces dossiers, justement, puissent encore faire parler d’eux. Ce à quoi nous entendons bien travailler dans les semaines et les mois qui viennent.

DH : Votre délégation a aussi abordé des points plus sensibles, comme le traitement des Roms, celui des étrangers, le rôle de l’Etat ; réactions ?

Pierre Tartakowsky : Nous n’étions pas venus avec l’illusion que notre seule présence allait renverser les tendances lourdes qui caractérisent la politique gouvernementale sur certains dossiers. Nous avons, exemple à l’appui, pointé du doigt une triple réalité ; d’abord, le déficit politique d’un gouvernement trop taisant vis-à-vis de la parole de haine, qu’il s’agisse de racisme, d’antisémitisme, de stigmatisation visant des musulmans. Ensuite, et presque par conséquence, le risque de voir se développer des réflexes de défense communautaires, au point de les voir prendre le pas sur une conception universaliste des droits. Enfin, le fait que voir l’appareil d’Etat violer ses propres textes et valeurs lorsqu’il s’agit des Roms, poursuivre la course aux expulsions de sans papiers et déboutés du droit d’asile mettait en péril tout ce qu’il pouvait par ailleurs entreprendre au nom de la lutte contre le racisme. Nous en avons appelé à un effort de visibilité, mais en cohérence.

DH : Peut-on dire de cette rencontre qu’elle aura été utile ?

Pierre Tartakowsky : Pour la LDH, le dialogue républicain, particulièrement à ce niveau, s’inscrit dans une tradition démocratique saine qui n’est ni subordonnée, ni empêchée par les désaccords. Mieux vaut un débat difficile que pas de débat du tout ; le fait que celui-ci se soit tenu à l’initiative non pas d’une organisation mais d’un front, lui confère une visibilité et un poids qui sont des atouts. Dans ce cadre et à partir de ce souci, le Président de la République nous a demandé de réfléchir à des formes et des occasions permettant une meilleure visibilité d’une parole forte sur nos sujets de préoccupation. C’est ce que nous entendons faire ; la période d’après les européennes sera sans doute riche en occasion de faire entendre et défendre les valeurs que nous avons portées à l’Elysée : la défense de l’égalité et de la fraternité.

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