Résolution adoptée par le 86ème congrès de la LDH, Reims – 11, 12 et 13 juin 2011
Depuis qu’ils ont été proclamés par les révolutionnaires de 1789, les droits de l’Homme sont au centre d’un combat sans cesse renouvelé et enrichi. Aux libertés civiles et politiques sont venus s’ajouter les droits économiques, sociaux et culturels puis, au fur et à mesure de l’ouverture de champs nouveaux, les droits liés à une utilisation des biotechnologies, le droit d’accès aux technologies de l’information et de la communication, ou l’environnement et les conditions de développement de l’espèce humaine.
Aux acteurs associatifs exerçant dans des limites nationales et embrassant l’ensemble du domaine des droits de l’Homme, se sont ajoutés et parfois substitués des organisations internationales ou des groupements plus spécialisés, sans compter l’irruption des opinions publiques et des individus devenus capables d’intervenir par eux-mêmes, en tissant des réseaux aux facultés immenses.
Le contexte géopolitique est lui-même profondément modifié, non seulement en raison de la disparition des deux blocs, mais aussi en raison d’une globalisation qui a entraîné des bouleversements dans la vie des individus, des peuples et des Etats.
La « déraison économique », accentuée par la financiarisation et les dérèglements actuels du capitalisme mondialisé, a entraîné des dégâts considérables, accroissant les inégalités, renforçant des firmes multinationales, financières ou non, sans égard pour les individus, les peuples ou notre environnement. Cette mondialisation économique est étroitement liée à une mondialisation culturelle qui tend à uniformiser les comportements et risque de détruire progressivement la diversité des cultures. C’est ainsi qu’elle pénètre les sociétés politiques nationales et conditionne directement la vie quotidienne des individus qui sont devenus, de fait, des acteurs mondiaux.
En raison de la tendance à l’uniformisation au profit des intérêts économiques les plus puissants, cette globalisation menace l’universalité des droits. A l’identique imposé répond souvent un identitaire défensif qui privilégie un impossible repli sur soi et un individu en guerre avec chacun pour survivre. Mais répond aussi un mouvement positif pour un autre monde plus solidaire.
En même temps, les législations nationales sont soumises à des accords et traités internationaux issues d’une ébauche de gouvernance mondiale ou régionale. Des juridictions internationales ont été créées pour censurer la violation des libertés fondamentales par un Etat, et les crimes contre l’humanité peuvent être déférés à une Cour internationale.
Notre époque porte des défis planétaires formidables ; beaucoup sont formidablement inquiétants. Est-il possible d’affronter ces défis à partir des droits de l’Homme et avec quels instruments ? Autrement dit, les droits de l’Homme peuvent-ils encore produire un corpus universel tissé et décliné à partir de droits singuliers, c’est-à-dire dans une configuration cosmopolitique ? Ne serait-ce pas de fait cette citoyenneté que nous voulons à l’échelle humaine ?
Au rang des principes fondateurs demeure l’affirmation de l’unicité de l’humanité et de l’égalité en droits de tous les membres de la famille humaine. De ce postulat découle la reconnaissance de l’universalité des droits de l’Homme, applicables sans limites géographiques et quelles que soient les cultures et les civilisations. Eliminer toutes les inégalités subies par les femmes, voici un objectif essentiel si l’on veut assurer concrètement l’égalité des droits. Mettre fin aux dictatures et construire un Etat de droit, respecter la dignité de tous, voici ce qui anime tous les peuples, y compris, pour ceux qui en doutaient, les peuples du monde arabe.
L’indivisibilité des droits s’inscrit dans la même démarche. Au-delà des contingences relevant de la nature même d’un droit, rien ne justifie une quelconque hiérarchie entre les droits de l’Homme. Tous ont la même légitimité et tous doivent recevoir application. Exiger la justice sociale, un droit égal à l’éducation et à la santé, l’accès à l’eau, à la terre et à un environnement viable, protéger l’humanité du mauvais usage des biotechnologies, etc., voici qui transcende les cultures et qui n’est pas dissociable des libertés civiles et politiques.
Notre refus de la raison d’Etat et de la raison économique ne peut se borner à une démarche purement hexagonale. La Déclaration universelle des droits de l’Homme constitue le socle d’une démocratie mondiale vivante. Plus que jamais elle continue à avoir besoin de déclinaisons face à des problèmes nouveaux qui s’inscrivent dans des univers géographiques dépassant les frontières des Etats-nations, sans pour autant en nier l’existence. Il nous faut penser une citoyenneté mondiale et, notamment, un droit fondamental à la citoyenneté pour les résidents des différents Etats, afin de prendre en compte la réalité des migrations.
Ceci implique aussi de reconnaître à chaque peuple les voies qui lui sont propres pour atteindre des objectifs qui, eux, sont communs à l’humanité. L’universalité réelle des droits de l’Homme ne réside pas dans le décalque d’un prétendu modèle occidental qui n’a d’ailleurs cessé de délivrer un double discours. Les voies vers l’universalité des droits sont multiples et cette diversité doit être reconnue pour éviter les tentations relativistes et les affrontements identitaires.
Répondre aux conséquences de la globalisation, c’est aussi définir des objectifs communs servant des « intérêts publics mondiaux ». Il faut renforcer la synergie de nos combats en faveur des libertés publiques et politiques, de l’égalité radicale en droit entre les sexes et tous les êtres humains, des droits des enfants, et en faveur du développement des « biens publics mondiaux » que sont la préservation de l’humanité et de la planète. L’accès de tous à tous les droits et la protection de notre planète impliquent un juste partage des richesses et une gestion démocratique de ces « biens publics mondiaux ».
Pour cela, nous devons imaginer des institutions internationales qui défendent le sens et les valeurs des droits, qui les intègrent aux grandes négociations quel qu’en soit le sujet. Nous devons, à partir des droits et de nos expériences, définir de nouvelles normes de responsabilités sociales, démocratiques et environnementales qui s’imposent aux acteurs politiques, financiers et économiques.
La LDH appelle à une réinvention générale de la démocratie. Cette démarche ne va pas de soi parce qu’à l’inverse du passé, elle exige que nos combats quotidiens s’appuient sur un « vivre ensemble » mondial. Pour poursuivre notre tâche, répondre aux attentes, nos structures, nos méthodes, les stratégies des organisations de droits de l’Homme doivent aussi se réformer. Il faut repenser nos formes d’organisation pour y intégrer tous les acteurs, y compris individuels, qui interviennent sur la scène publique, et tisser de larges alliances avec les différents acteurs de la société civile mondiale, organisations syndicales et associatives.
Adoptée à l’unanimité, moins 7 abstentions.