2002 – RAPPORT ANNUEL – Justice

Maurice Papon 
Michel Tubiana – France Soir – août

Maurice Papon a obtenu de la CEDH une condamnation de la France. De quoi s’agit-il ? En vertu d’une procédure archaïque, toute personne condamnée qui a formé un pourvoi en cassation devrait être, si elle ne l’était déjà, en détention pour que son pourvoi soit examiné par la plus haute juridiction française. Cette exigence met à mal la présomption d’innocence et la CEDH n’a cessé de le rappeler à la France. Maurice Papon ayant préféré fuir en Suisse plutôt que de se rendre en prison, la Cour de cassation décida, malgré les demandes qui lui étaient faites, y compris par les parties civiles, d’appliquer sa jurisprudence habituelle et jugea qu’il n’y avait pas lieu d’examiner le recours de Maurice Papon. Ce dernier, revenu entre temps de son escapade suisse, n’avait plus qu’à purger sa peine de dix ans de prison que la cour d’assises de Bordeaux lui avait infligée. La décision de la CEDH ne met donc pas en cause le procès lui-même : il est vrai qu’il s’était déroulé, après bien des péripéties (17 ans de procédure !), dans une sorte de luxe que les praticiens des juridictions criminelles aimeraient bien voir appliquer à tous les accusés. Depuis, la Cour de cassation a été dépossédée du pouvoir qui l’avait conduite à rejeter sans l’examiner le recours de Maurice Papon, et il est probable qu’elle sera amenée à juger, cette fois au fond, les arguments de Maurice Papon. Mais, l’on voit mal, en lisant les critiques faites au procès d’assises de Bordeaux  par les avocats de Maurice Papon, que la Cour de cassation ordonne une réouverture du procès devant une autre cour d’assises. Quelles leçons doit-on tirer de cet épisode qui n’apporte rien au lustre des hauts magistrats de la Cour de cassation et à l’image de la France, mais qui n’enlève rien aux responsabilités de Maurice Papon dans la déportation des juifs de la région de Bordeaux ? Pour obscurs que soient ces évènements pour des non-juristes, ces épisodes judiciaires mettent en évidence que le crime le plus grave, celui  qui est commis contre l’humanité, même en tant que complice, peut être jugé dans le respect parfait des règles d’une justice indépendante et impartiale. Et c’est à cette justice que Maurice Papon avait droit et dont il a bénéficié. La deuxième leçon est que notre procédure regorge d’archaïsmes comme celui qui vient d’être sanctionné par la CEDH. Loin de s’en affranchir, certains magistrats y ajoutent la force de l’habitude pour continuer à les appliquer sans nuances. Il conviendrait d’y mettre un terme si l’on ne veut pas que chaque année la France, patrie des droits de l’Homme, soit sanctionnée. La troisième est qu’il serait préférable de ne pas introduire de nouvelles incongruités dans les projets gouvernementaux de Dominique Perben et Nicolas Sarkozy, ce qui est pourtant en train de se passer. Notre pays n’a pas oublié qu’il a rédigé la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 et se veut donc inattaquable en ce domaine. Le camouflet infligé à la France démontre qu’entre les exigences politiques de certains et l’immobilisme d’autres, la justice, cette œuvre nécessairement imparfaite parce qu’humaine, fait preuve de réflexes parfois moyenâgeux. Ah si cet avant dernier épisode judiciaire de l’affaire Papon pouvait servir d’exemple ! Mais, là, j’ai failli rêver…

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