2002 – RAPPORT ANNUEL – International – Nigéria

Amina Lawal 
Michel Tubiana – France Soir –  le 27 août

Son enfant sevré, elle sera lapidée. Quel est son crime ? Amina Lawal Kurrami a enfanté en dehors des liens du mariage. Elle vit au Nigéria, dans un Etat qui applique la Charia au mépris de la Constitution de ce pays. Bien malgré elle, Amina est devenue un symbole. D’abord du mépris millénaire dans lequel vivent des centaines de millions de femmes. Comment dire plus clairement qu’une femme n’est qu’un ventre, lorsque la peine de mort est suspendue à son rôle de génitrice ? Comment affirmer plus nettement l’inégalité entre les hommes et les femmes, puisque le père ne fait l’objet d’aucune remontrance ? C’est aussi le symbole d’une justice qui n’a de justice que le nom. La justice n’a jamais besoin d’un qualificatif; elle n’est pas islamique, hébraïque, chrétienne ou que sais-je encore. Elle appartient aux hommes et ne doit en rien dépendre des différentes versions de Dieu qui existent sur la planète. Rien, aucune religion, aucune culture, aucune spécificité, aucune politique ne peut justifier que l’on déroge au prima de la vie et que l’on fasse de la justice un instrument d’injustice. C’est, enfin, le symbole de l’horreur d’une peine de mort qui continue à sévir au Nigéria, en Arabie Saoudite ou aux États-Unis, en Irak ou au Japon. Mourir lapidé est une monstruosité, périr d’une injection létale après avoir croupi des années durant, les fers au pied, dans les couloirs de la mort, ne vaut guère mieux. Dans les deux cas, coupables ou innocents, ce sont toujours les plus faibles, parce que femmes, noirs, exclus, qui sont victimes de ce châtiment insupportable. Bien sûr, on dira que tout cela est impossible en Europe et qu’il s’agit de pays arriérés, de dictatures ou de vestiges de l’Histoire. Certains iront même jusqu’à soutenir que c’est là le propre de l’islam et des musulmans. Certes, nous nous sommes débarrassés des oripeaux sanglants les plus voyants, encore que le pire, tapi dans les recoins de nos peurs, soit toujours possible : c’est en terre chrétienne d’Europe que s’est déroulé le plus rationalisé des génocides ou, encore aujourd’hui, que se sont déroulés de féroces combats ethniques. A vouloir confondre les musulmans et cette version de l’islam que nous en donnent certains, on interdit tout avenir à des centaines de millions de personnes. Il reste qu’au Nigéria, ce sont les grandes compagnies pétrolières occidentales qui régentent le pays, que le régime d’Arabie Saoudite reste un des principaux alliés des États-Unis ou que la Chine, et ses milliers d’exécutions capitales, est un marché si important… Amina est aussi le symbole de nos hypocrisies et de nos impuissances. Il existe bien d’autres Amina de par le monde dont nous n’avons pas connaissance. Elles mourront, battues, lapidées, mal traitées sans que leur cas franchisse la barrière de leur maison ou de leur village devenus lieu d’enfermement. Ce n’est que raison supplémentaire pour ne pas nous taire lorsque nous savons ; et nous savons l’injustice faite à Amina. Nous serions complices en nous taisant et en restant les bras croisés.

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