2002 – RAPPORT ANNUEL – 8ème Université d’automne de la LDH – démocratie politique et démocratie sociale, refonder la citoyenneté – 23 et 24 novembre à l’École nationale supérieure des télécommunications (ENST), Paris

« Le principe démocratique » 
La démocratie n’est pas qu’une question de vote, qu’un mode de prise des décisions (à la majorité) ni a fortiori une simple mécanique institutionnelle : parce qu’elle pose d’abord la question de la place du citoyen dans la prise des décisions politiques, elle place au cœur des principes fondateurs du contrat social :
– la place du politique au cœur de la Cité ;
– la préférence pour les modes pacifiques d’intégration du mouvement à l’ordre et de règlement des conflits ;
– la reconnaissance de la légitimité de la contradiction, du débat contradictoire, du pluralisme ;
– l’acceptation et de l’expression et de la régulation des contradictions au nom d’un bien commun.
Etienne Balibar ; présidence : Michel Tubiana

« Démocratie et citoyenneté »
Sans participation politique du citoyen, les institutions démocratiques ne sont plus que coquille vide. L’« individuation », la « privatisation » des modes de vie, de pensée et de communication (télévision à domicile, net…), menacent cette participation en dévalorisant l’espace public, en l’éloignant d’une sphère privée de plus en plus « centrale » (alors que la démocratie implique la « centralité » du Politique dans la société) et donc en menaçant la nécessaire interdépendance du « privé » et du « public » (crise des institutions représentatives et aussi des organisations « traditionnelles » politiques, syndicales, voire associatives). Paradoxalement, l’éloignement du public par rapport au privé s’accompagne d’un envahissement de l’espace public par ce qui était de l’ordre du privé (questions dites « de société », voyeurisme télévisuel et autres reality-shows), dans une sorte de dialectique du recul et de l’invasion.
Manque un « débouché politique » (en particulier quant à la question sociale – quelles suites au « tous ensemble » de décembre 1995, etc.), c’est-à-dire une articulation de ces engagements et désirs d’action collective, solidaire avec l’espace global de la Cité. Si la thématique des droits de l’Homme, voire de la citoyenneté, est omniprésente dans les discours, celle de l’engagement politique est devenue quasi inaudible. Or la reconquête d’une citoyenneté qui ne se paye pas de mots suppose un réinvestissement de la sphère publique/civique/politique.
D’où la nécessité de clarifier d’une part les significations de « citoyenneté », d’autre part la thématique de la « démocratie participative » et le questionnement sur son articulation avec la démocratie représentative. Et l’affaire se complique du fait d’une autre inévitable articulation : celle entre le national, l’européen et le mondial.
Jean-Pierre Dubois ; présidence : Agnès Tricoire

« La Cité, la loi et le contrat »
En France plus qu’en toute autre démocratie, la Cité se noue autour de la Loi « expression de la volonté générale ». C’est un « mythe », à la fois comme réalité fondatrice de la « République » (refus historique, spécifiquement français, de « corps-écrans » entre les individus égaux et la Nation « indivisible ») et comme « idéologie » au sens marxien (dans la réalité, la République n’a pu ni se passer de « corps intermédiaires » ni même ne pas en secréter – mouvements civique et laïque – et en reconnaître – mouvement social).
Notamment, l’intégration (difficile, contradictoire, mais essentielle) du mouvement ouvrier au cadre « républicain » a induit une dialectique de la loi et du contrat qui a irrigué toute la construction du droit social et toutes les avancées sociales (mouvement mutualiste avant la législation sur les assurances sociales puis la Sécurité sociale, « accords matignon » avant les lois du Front populaire, programme du CNR avant les ordonnances de la Libération, « accords de Grenelle » avant la loi sur les sections syndicales d’entreprise, etc. et aussi « principe de faveur » ‑ les accords collectifs ne peuvent qu’aller au-delà du « plancher » législatif garanti ‑ comme principe fondamental du droit du travail).
Le développement actuel des relations entre État et le mouvement associatif (notamment à travers la Charte d’engagements réciproques et des conventions pluriannuelles d’objectifs), de même que le renforcement du modèle de la décentralisation coopérative, soulignent eux aussi l’importance croissante du tissu de « corps intermédiaires » dans l’espace institutionnel de la République.
La question qui se pose aujourd’hui, dans un contexte nouveau et à certains égards menaçant, est celle de l’articulation et de la hiérarchisation de la Loi et du contrat, de la « volonté générale » et du « dialogue social », de la « communauté politique » (au sens « grec ») et des « partenaires sociaux ». Abandonner au contrat la dynamique « re-fondatrice » (MEDEF), c’est capituler devant l’offensive contre l’État et contre le Politique ; mais ignorer qu’aucune « République » n’existe indépendamment d’un enracinement dans la confrontation des groupes sociaux et dans les compromis que ces groupes peuvent trouver entre eux et qui peuvent frayer un chemin au progrès législatif, c’est faire du Politique un mythe abstrait et trompeur. C’est entre Charybde et Scylla que passe la voie étroite de la république sociale.
Anicet Le Pors, Michel Rocard ; présidence : Jean-Pierre Dubois

– Atelier « citoyenneté et démocratie dans la société civile »
Il s’agit ici à la fois d’une crise et d’un renouvellement des formes d’engagement et d’un processus de décomposition / recomposition institutionnelle.

Décomposition
Crise des formes institutionnelles anciennes (affaiblissement des partis, des syndicats, de grands réseaux associatifs), d’où une impossibilité pour ces organisations de survivre en continuant de fonctionner « comme avant », c’est-à-dire notamment sur le mode de la centralité hiérarchisée « à la française » par imitation du modèle étatique.
État du rapport entre l’opinion et le politique (abstentionnisme croissant, attitude de « consommateurs » de politique rejetant, alternance après alternance, des « offres » politiques regardées « de l’extérieur »).
Une « société civile » mise à toutes les sauces, en partie parce qu’elle a été longtemps sous-estimée par la tradition républicaine française, en partie parce que sa promotion est instrumentalisée par les adversaires libéralistes de État. L’irritation devant cet effet de mode ne doit cependant pas conduire à jeter le bébé (la revitalisation de l’irrigation du politique par le social) avec l’eau du bain (le discours « a-politique » sur les vertus du « civil »).

Recomposition
Remontée d’engagements militants sous des formes nouvelles ou du moins avec des attentes nouvelles.
Émergence d’acteurs informels ou peu « formalisés » (« coordinations », « collectifs », « réseaux », etc.) et question de leur relation avec les acteurs « traditionnels formalisés ». 

Exigences
Repenser l’articulation entre associations, partis et syndicats.
La reconnaissance de la légitimité des interventions de cette « société civile » passe par la démocratisation de son expression institutionnalisée, car la démocratie ne peut rester confinée à l’espace étatique/politique (démocratie dans les pratiques et dans les règles institutionnelles des partis, des syndicats, des associations…). Plus largement, pour reprendre la formule de Jaurès, une « démocratie sociale » reste à construire à côté de la « démocratie publique ».
C’est aussi en ce sens que la question de la « citoyenneté sociale » reste plus centrale que jamais, d’autant plus que se pose tout particulièrement aujourd’hui celle d’un clivage entre « inclus » et « exclus » aussi sur le plan politique/civique.
Animateur : Pierre Martinot-Lagarde
Rapporteur : Driss El-Yazami
Intervenants : Marylise Lebranchu : L’opinion publique, la société civile et le politique

 Alain Olive : L’état du mouvement syndical

 Pierre Tartakowsky : Les nouveaux mouvements

 Patrick Viveret : Nouveaux acteurs : qu’est-ce aujourd’hui que la « société civile » ?

 Jean-Marie Montel : Nouvelles expressions de la citoyenneté

 

– Atelier « citoyenneté, démocratie et représentation »
La contestation de la représentation, le questionnement sur la démocratie directe ne sont pas neufs, mais il sont puissamment renouvelés.
Demande croissante de « désintermédiation » politique : les « anciens médias » (partis, syndicats) étaient « fédérateurs » bottom-up, les « nouveaux médias » (de communication de masse) sont « homogénéisateurs » top-down.
Nouveaux mécanismes : intérêt et illusions en matière de technologies de l’information et de la communication (TIC), intérêts et limites des « conférences de citoyens », etc.
Risques d’atomisation de la citoyenneté liée à l’« individuation », aux changements de mode de vie et de relations, aux TIC précisément et en particulier à l’accélération de la circulation de l’information, accélération porteuse pour la démocratisation à la fois d’avantages et de risques, etc.
Problématiques de la « subsidiarité » (à clarifier…), du « réseau » (mythes… et réalité), de l’articulation (entre échanges « virtuels » et réels, entre niveaux d’engagement et de militantisme, entre local et « plus large », etc.).
Universalisme et fragmentation de la représentation : question des jeunes, des femmes, des minorités, des étrangers…communautés, quotas, ambiguïtés de la représentation dans une société « multiculturelle ».
Animateur : Romuald Guilbert 
Rapporteur : Malik Salemkour
Intervenants : Loïc Blondiaux : Critique des nouvelles formes et des nouveaux mécanismes de représentation

 Patrick Braouezec : Démocratie et diversités culturelles

 Sylvie Mayer : Rapports entre participatif et délibératif

 Danièle Lochak : La représentation à l’épreuve du multiculturalisme

 Véronique Kleck : L’incidence des (nouvelles) technologies de l’information et de la  communication 

– Atelier « citoyenneté, démocratie et « corps intermédiaires » »
La question de l’articulation entre l’individu, la « société globale » et les « corps intermédiaires » est elle aussi à la fois sempiternelle (en France plus que partout ailleurs) et profondément renouvelée.
Dépasser les mythes issus de l’individualisme libéral affirmé en 1789-1791.
Maintenir le principe de la supériorité du « public » sur le « collectif » sans nier l’importance et la légitimité de ce dernier, en particulier quant à son rôle de formation, d’apprentissage de la politisation… qui est non seulement souhaitable mais indispensable à la construction du citoyen : l’apprentissage de la citoyenneté ne peut en rester à l’expression – au demeurant parfaitement légitime ‑ des intérêts catégoriels (groupes de pression) mais suppose ensuite l’articulation de ces intérêts (partis et programmes politiques) qui permet le choix entre des propositions de « synthèse », c’est-à-dire à la fois la diversité (le pluralisme, le débat contradictoire) et l’unité (c’est de l’intérêt public, de la « centralité » du politique, qu’il est question).
Penser en ce sens l’articulation, productrice d’« intérêt général », entre associations, syndicats, partis et institutions représentatives, ce qui n’empêche ni l’indépendance de chaque acteur ni la reconnaissance de ce que l’État, dirigé par les élus du suffrage universel, reste légitime à trancher en dernier ressort.

Animatrice : Marie-Christine Vergiat 
Rapporteur : Gilles Manceron
Intervenants : Martine Barthélemy : evolution du mouvement associatif

 Serge Depaquit : Articulation entre expressions de la société civile et détermination politique de l’intérêt général

 Jacqueline Mengin : Les associations, l’utilité sociale et l’intérêt général (y compris dimension territoriale de l’intervention des associations)

 Stéphane Rozès : Expressions catégorielles et partisanes, synthèses programmatiques et centralité du politique

 

Atelier « citoyenneté, démocratie et entreprise »
Mesurer les ambiguïtés du discours sur la « responsabilité sociale de l’entreprise », l’illusion idéologique entretenue autour de l’« entreprise citoyenne »… et la réalité qui est ainsi masquée et indiquée en même temps : limites de la politique d’externalisation des coûts : les chefs d’entreprise ont besoin de « partenaires sociaux », les marchés ont besoin de régulation, le capitalisme a besoin d’ordre.
Au-delà, s’interroger sur une possible « démocratisation » de l’entreprise : contradictions entre le principe démocratique et le principe hiérarchique et entre le salarié objet (de gestion du capital humain, des « ressources humaines ») et le salarié sujet-acteur (revendiquant l’exercice d’une citoyenneté) ; confusion entre « direction participative par objectifs » et débat démocratique ; distinction entre démocratie de l’entreprise et démocratie dans l’entreprise ; distinction entre institutions représentatives (délégués, CE, etc. : évolution de leurs pouvoirs ?) et droits individuels des salariés (postérité des « lois Auroux »).
Plus fondamentalement, poser la question de la compatibilité entre le modèle de l’entreprise capitaliste et la revendication démocratique : état actuel des « modèles alternatifs » (entreprises coopératives, mutuelles, « économie solidaire », etc.) ; abandon de la thématique de l’autogestion ; débats sur la cogestion (modèle allemand) ; etc.
Animatrice : Marie-Laure Dufresne-Castets 
Rapporteur : Christine Bour
Intervenants : Jacqueline Lazare :  Responsabilité sociale de l’entreprise et droits des salariés dans l’entreprise 

 Hugues Sibille :  Responsabilité sociale de l’entreprise et les modèle alternatifs d’entreprise 

 Annick Coupé : Responsabilité sociale de l’entreprise et droits des salariés dans l’entreprise 

 Philippe Waquet 

 Rémi Jouan :  Responsabilité sociale de l’entreprise et droits des salariés dans l’entreprise 

 

– Atelier « citoyenneté, démocratie et institutions »
Cette Université d’automne manquerait son but « refondateur » si elle se limitait à un débat sur les institutions politiques (critique du système actuel, thématique d’une « sixième République », etc.).
En même temps cette dimension ne peut être ignorée. Elle doit évidemment être abordée non en termes de discussion entre « constitutionnalistes » mais en termes de « démocratisation » du cadre politique, de prise en compte de tout ce qui précède dans les institutions de la République. Il s’agit donc aussi de l’articulation entre les niveaux (territoriaux) de citoyenneté, c’est-à-dire de la pluralité renouvelée d’espaces civiques et de « communautés politiques » (toujours au sens « grec »…) :
– quel rôle pour l’État face au développement de la décentralisation (et de la déconcentration) – un État moins « directif », plus « incitatif » et « conciliateur-régulateur-redistributeur » (territorialement) ? Champ privilégié d’observation que constitue ici la politique de la ville…
– quelle nouvelle assise pour une citoyenneté découplée de la nationalité (citoyenneté de résidence : citoyenneté des étrangers résidents, articulation entre citoyenneté européenne et citoyenneté française) ?
– comment desserrer la « contrainte gestionnaire » qui pèse sur la relation entre organes délibératifs et exécutifs (la rationalité gestionnaire s’impose jusque dans la composition sociologique des assemblées délibérantes) au point de surdéterminer la définition de l’intérêt général ?
Animateur :  Henri Leclerc 
Rapporteur : Pierre Barge
Intervenants :Philippe Corcuff : Le débat sur la VIème République et ses limites

Jean-Marie Delarue : Rôle de État, décentralisation et déconcentration ; état de la démocratie   locale ; contrainte gestionnaire et définition de l’intérêt général par la représentation politique

Arnaud Montebourg (non le 20/11) : Le débat sur la VIème République et la refondation démocratique

Pierre Larrouturou :  Nouvelles pratiques des citoyens 

Arlette Heymann-Doat :  Europe et démocratie  

– Table ronde « les acteurs »
Émergence d’acteurs nouveaux (en particulier de réseaux d’échange de savoirs et de « bonnes pratiques »), crise des organisations et institutions traditionnelles, mais aussi limites des appels à la modernité : la démocratie suppose un minimum d’institutionnalisation ; double contexte de la mondialisation et de l’individuation : les individus isolés et « flottants » (en raison non seulement des exclusions civiques/politiques mais aussi de la « désaffiliation » multiforme produite par le changement social) participent de la déstructuration du paysage démocratique, et ceci pas seulement dans les urnes.
Présidence : Catherine Teule
Intervenants : Maryse Dumas, Hubert Prévot, Jean-Pierre Worms.  

– Table ronde « la représentation »
On sait depuis plus de deux siècles le débat fondamental entre l’idéal de la démocratie directe, dont Rousseau lui-même admettait les limites territoriales de « faisabilité », et les contraintes du réel : la représentation, mal nécessaire… et contesté. Quid aujourd’hui des revendications de mandat impératif, voire révocable, des pratiques d’organisations, mais aussi des projets et des esquisses de revitalisation de la démocratie institutionnelle par des injections limitées de transfert du pouvoir de décision aux citoyens eux-mêmes (référendums – nationaux ou locaux, de vote ou d’abrogation… ‑ , mécanismes d’initiative populaire, élection directe d’autorités publiques, etc.) ?
Présidence : Madeleine Rebérioux
Intervenants : Dominique Breillat, Philippe Lazar, Michèle Riot-Sarcet, Joël Roman. 

– Table ronde « l’éthique démocratique »
Si la démocratie n’est pas qu’une technique de décision (le principe majoritaire) mais aussi et d’abord le principe que le Politique est l’affaire de tous et la recherche d’un bien commun, elle ne peut échapper à des interrogations non pas nouvelles mais particulièrement actuelles :
la relation entre démocratie et État de droit : la volonté générale est-elle souveraine au point de pouvoir menacer le contrat social ? Mais qui peut légitimement lui opposer des principes supérieurs protégeant les droits inaliénables de tout être humain, la prohibition des discriminations ou de l’oppression d’une minorité, etc. ? Depuis janvier 1933 au moins, on ne peut réduire ce débat à une querelle philosophique.
l’interdépendance des sphères privée et publique : jusqu’à quel point l’individualisme libéral est-il compatible avec les exigences de la démocratie ? Historiquement, le système représentatif a dû se résoudre à reconnaître la légitimité d’acteurs collectifs, mais aujourd’hui ces acteurs sont pour le moins en difficulté. La « privatisation » comme valeur dominante, non seulement dans l’organisation de l’économie mais aussi dans les modes de vie et de pensée, ne peut que se traduire par la « fracture » dans les esprits entre l’espace politique et le reste de la société : la représentation (institutionnelle) repose sur les « représentations » (symboliques). Alors que la contradiction monte entre demande de normes (d’autorité, de sévérité) dans l’espace public et revendication d’une liberté de moins en moins limitée (mœurs, relations de couples et parentales) dans l’espace privé, contradiction d’autant plus difficile à gérer que ces deux espaces sont moins cloisonnés que jamais, sur quoi reconstruire un/des espace(s) public(s) vivant(s) ?
Présidence : Henri Leclerc
Intervenants : Bertrand Badie, Philippe Bataille, Gustave Massiah.

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