Pour la liberté d’informer sur l’agroalimentaire en Bretagne et ailleurs

Pétition signée par Malik Salemkour, et soutenue par la LDH

C’est la première région laitière de France. Près de la moitié de la viande y est produite. La Bretagne est au cœur du système agricole national, au cœur de tous les enjeux d’ampleur qui y sont liés : santé, environnement, social… Et pourtant, il est très difficile d’être informés correctement sur un secteur omniprésent dans notre région : l’agroalimentaire.
 
Des journalistes sont poursuivi-es en diffamation ou mis·es au placard pour leurs enquêtes, tandis que d’autres, précaires, peinent à retrouver des emplois. Des articles sont censurés, des sujets pas abordés de peur de fâcher les annonceurs, et des subventions municipales sont coupées, comme ce fut le cas pour une radio en pleine émission sur l’élevage intensif.
 
Le cas d’Inès Léraud est l’exemple de trop. Journaliste et co-auteure de la bande dessinée « Algues vertes, l’histoire interdite », elle subit des pressions, dénoncées par un comité de soutien qui s’est monté pour défendre son travail. Le salon du livre de Quintin l’invite ? Sa venue est annulée après l’intervention d’un élu local, également salarié de la chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor, comme le révèle Le Canard enchaîné en mars 2020. Une édition en breton de sa BD est à l’étude ? L’éditeur Skol Vreizh y renonce, en partie « du fait de l’influence au sein du conseil régional de personnes en charge de l’agriculture », selon son président cité par France 3, le 20 mai 2020.
 
Il est inacceptable qu’une maison d’édition en arrive à s’auto-censurer de peur d’être sanctionnée financièrement par la collectivité. Que doit-on y voir ? Que des intérêts privés liés à l’agro-industrie pourraient influencer les attributions de budgets et les décisions des représentant·es de la région ? Il aura fallu la publication d’une tribune, le 8 mai, dans Libération pour qu’une partie du monde culturel breton s’indigne. Une réaction à la suite de laquelle vous, MM. Chesnais-Girard et Le Boulanger, avez décidé d’apporter publiquement votre soutien à la journaliste Inès Léraud. Mais les interrogations persistent quant à la liberté réelle d’informer sur ce sujet.
 
Les citoyen-nes et administré-es ont besoin d’enquêtes journalistiques qui lèvent le voile. La région Bretagne, collectivité que vous présidez, ne peut laisser place au doute quant à son attachement à la liberté d’informer et d’être informé·es correctement. D’autant plus que le succès de l’ouvrage « Algues vertes, l’histoire interdite », écoulé à 46 000 exemplaires, témoigne de l’intérêt croissant des citoyen·s sur les enjeux et pratiques de l’agroalimentaire.
 
C’est pourquoi, par la présente, nous, citoyen-es, soutenons les journalistes et professionnel-les de la presse qui vous demandent de :

  • Contribuer à garantir une information et une parole publique libre sur les enjeux de l’agroalimentaire en Bretagne, et veiller à ce qu’aucune subvention de média associatif ne soit supprimée, au motif que des journalistes auraient signé cette lettre. Nous y veillerons aussi.
  • Certifier que nous, journalistes, pouvons interroger en toute transparence et indépendance des élu·es et membres des services régionaux sur ces sujets chaque fois que cela est nécessaire.
  • Assurer qu’aucune maison d’édition ne verra ses subventions coupées, maintenant ou dans les prochaines années, pour avoir édité la BD d’Inès Léraud et Pierre Van Hove, « Algues vertes, l’histoire interdite », en breton et en gallo.
  • Intervenir plus largement pour le soutien et la restauration de lieux de formations universitaires à l’information en région.

Et, puisque les ministères de l’Intérieur et de l’Agriculture ont impulsé la création des observatoires départementaux de « l’agribashing », nous vous demandons expressément de contribuer à la création d’un observatoire régional des libertés de la presse. Cet outil indépendant aura pour but de réunir les conditions d’une information transparente et intelligible par tous les Breton-nes. Il devra permettre l’écoute et la protection de journalistes qui viendraient à être inquiété-es pour leurs travaux, et soutenir les enquêtes en cours et à venir.

Le collectif à l’origine de la lettre ouverte originale rassemble une quinzaine de journalistes d’âges, de parcours et de médias différents. Il s’est spontanément constitué face aux difficultés persistantes à produire et diffuser une information digne de ce nom : ici en Bretagne en 2020, dans un contexte où la compréhension des enjeux est fondamentale et à l’heure où l’éclairage des choix de société est essentiel, l’agro-industrie continue à être une zone interdite.

Paris, le 29 mai 2020

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