Lettre ouverte à l’attention de M. Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finance,
Paris, le 19 décembre 2019
Monsieur le Ministre,
Nos organisations de solidarité internationale, environnementales ou syndicales ont été impliquées à divers niveaux dans le processus d’élaboration de la loi pionnière sur le devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre, aux côtés des députés qui l’ont défendue. Nous continuons à suivre, avec nos militants et nos partenaires internationaux, sa mise en œuvre effective, afin de garantir qu’elle atteigne l’objectif qui a sous-tendu son élaboration : prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement causées par l’activité des grandes entreprises domiciliées en France sur l’ensemble de leur chaîne de valeur, et permettre aux victimes d’obtenir réparation.
Des procédures contentieuses et précontentieuses ont été engagées à l’encontre de certaines entreprises soumises à cette loi, pour s’assurer que celles-ci respectent bien leurs exigences légales. Nos organisations ont également publié un certain nombre d’analyses et de recommandations :
– ActionAid, Amis de la Terre France, Amnesty International, CCFD-Terre Solidaire, Collectif Ethique sur l’étiquette, Sherpa, Loi devoir de vigilance, année 1 : les entreprises doivent mieux faire, 2019
– CCFD-Terre Solidaire, La vigilance au menu. Les risques que l’agro-industrie doit identifier, 2019
– CCFD-Terre Solidaire, Sherpa, Le radar du devoir de vigilance, plan-vigilance.org, 2019
– Collectif Ethique sur l’étiquette, Le coût du RESPECT selon ZARA, 2019
– Sherpa, Le guide de référence des plans de vigilance, 2018
Le 5 juillet 2019, nous avons fait part de ces analyses, de ces recommandations et de ces procédures judiciaires lors d’une audition au Conseil Général de l’Économie dans le cadre de la mission d’évaluation que vous lui avez confiée et dont nous attendons depuis le rapport.
Ce dernier nous intéresse à double titre car la mission doit :
– d’une part, établir la liste des entreprises soumises à la loi sur le devoir de vigilance. Nos organisations demandent en effet depuis son adoption qu’une liste soit publiée et mise à jour par la puissance publique afin de s’assurer que toutes les entreprises concernées soient connues, en particulier de celles et ceux qui veulent faire valoir leurs droits. Or, en l’absence d’une telle liste, le travail d’identification et de vérification du respect d’une obligation légale repose sur la seule société civile, ce qui n’est pas son rôle.
– d’autre part, aboutir à “la proposition des pistes permettant, le cas échéant, de perfectionner le dispositif existant”. C’est également dans cette perspective que nous avons participé aux auditions menées par le Conseil général de l’économie, et fait plusieurs propositions concrètes (voir en Annexe).
Dans votre lettre de mission, vous indiquiez que le rapport de mission devait vous être remis au plus tard le 31 juillet 2019. Au cours des dernières semaines, nous avons demandé à plusieurs reprises à connaître la date de finalisation de ce rapport et nous nous sommes vu répondre que les travaux étaient en cours.
Plus de quatre mois après la date évoquée pour la remise du rapport, nous demandons expressément que le rapport d’évaluation soit rendu public et que nos organisations soient informées du calendrier de manière précise.
Par ailleurs, à ce jour, aucun interlocuteur n’a été clairement identifié au sein du gouvernement quant au suivi de la mise en œuvre de la loi sur le devoir de vigilance. Il est essentiel qu’un tel interlocuteur soit désigné afin de garantir un dialogue régulier avec la société civile, syndicats comme associations, à ce sujet. Nous rappelons que ce dialogue est essentiel pour garantir que cette loi atteigne son objectif, la prévention des atteintes aux droits humains et à l’environnement.
Confiantes dans les suites rapides que vous donnerez à ce courrier, nos organisations se tiennent à votre disposition pour tout échange plus approfondi.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de nos salutations distinguées,
Signataires :
ActionAid, Luc de Ronne, président ; Amis de la Terre France, Khaled Gaiji, président ; Amnesty International France, Cécile Coudriou, présidente ; Attac France, Maxime Combes, porte-parole ; Banana Link, Alistair Smith, Coordinateur International ; BLOOM, Sabine Rosset, directrice ; CADTM, Henri Kondi, vice-président ; CCFD-Terre Solidaire, Sylvie Bukhari de Pontual, présidente ; CGT, Mohamed Lounas, Conseiller Espace International ; CRID, Emmanuel Poilane, président ; Collectif Ethique sur l’étiquette, Guillaume Duval, président ; Commerce Équitable France, Julie Stoll, Déléguée Générale ; FAL, France Amérique Latine, Fabien Cohen, secrétaire général ; Ligue des droits de l’Homme (LDH), Malik Salemkour, président ; Notre affaire à tous, Paul Mougeolle, coordinateur ; Oxfam France, Cécile Duflot, Directrice Générale ; ReAct, Manon Laurent, présidente ; Sciences Citoyennes, Kevin Jean, président ; Secours Catholique, Benoit-Xavier Loridon, directeur ; Action et Plaidoyer internationaux Sherpa, Sandra Cossart, directrice ; Union Syndicale Solidaires, Didier Aubé, secrétaire national ; SumOfUs, Nabil Berbour, responsable des campagnes francophones.
Annexe : Recommandations d’organisations membres du Forum citoyen pour la RSE pour une mise en œuvre effective de la loi sur le devoir de vigilance
Dans le rapport Loi devoir de vigilance, année 1 : les entreprises doivent mieux faire, ActionAid, les Amis de la Terre France, Amnesty International, le CCFD-Terre Solidaire, le Collectif Ethique sur l’étiquette et Sherpa recommandent aux pouvoirs publics français de :
Garantir l’application effective de la loi française sur le devoir de vigilance et la renforcer en :
● Publiant annuellement la liste des entreprises soumises à la loi ;
● Désignant une administration en charge du suivi de la mise en œuvre de la loi, qui garantisse un accès centralisé aux plans de vigilance des entreprises ;
● Créant une instance indépendante de suivi pour veiller à une mise en œuvre effective de la loi ;
● Abaissant les seuils pour inclure davantage d’entreprises opérant dans des secteurs à risque en matière de violations des droits humains et de l’environnement d’une part, et en inversant la charge de la preuve d’autre part.
Soutenir l’internationalisation du devoir de vigilance des multinationales en :
● Apportant un soutien proactif et constructif au projet de traité sur les multinationales et les droits humains actuellement négocié aux Nations unies ;
● Œuvrant, au sein de l’Union européenne, à une adhésion au processus et à une contribution ambitieuse de l’Union Européenne au projet de traité ;
● Promouvant l’adoption d’une législation européenne contraignante en matière de vigilance des multinationales.