Contribution de la LDH à la consultation de la Commission européenne
La Commission européenne a mis à son programme de travail « [une] stratégie de l’UE en faveur de la société civile [qui] fournira un cadre d’action global aux niveaux de l’UE et des Etats membres. Elle consistera essentiellement à renforcer le dialogue constructif et à apporter un soutien à tous les acteurs de la société civile, tout en prévoyant des actions spécifiques destinées à empêcher le rétrécissement de l’espace dévolu aux organisations de la société civile et aux défenseurs des droits de l’homme qui s’emploient à promouvoir et à protéger les valeurs de l’UE. Elle aura pour but de recenser les besoins et les défis auxquels les acteurs de la société civile sont confrontés et d’inventorier les mesures existant actuellement en vue de nouer un dialogue avec eux et de les protéger, tout en reconnaissant leur contribution importante dans tous les domaines d’action de l’UE. »
La LDH a répondu à la consultation publique lancée cet été pour recueillir avis et propositions sur ce sujet. Notre contribution prend en compte notre intervention en France pour défendre un espace civique de plus en plus attaqué, de multiples façons.
Elle reflète aussi nos interventions menées avec le Forum civique européen et Euromed Droits (les réseaux d’associations européens auxquels nous appartenons) ainsi qu’avec la FIDH qui mène aussi des activités vis à vis de l’UE.
Contribution de la LDH pour la consultation de la Commission européenne quant à la « Stratégie société civile »
La présente contribution de la LDH (Ligue des droits de l’Homme – France) s’inscrit dans les mobilisations de la société civile pour que le traité de l’Union européenne soit pleinement mis en œuvre et notamment son article 11 et la Charte des droits fondamentaux. Elle s’inscrit aussi dans l’absolue nécessité de donner suite aux décisions budgétaires prises pour 2021-2028 de financement du programme CERV, qui a contribué à renforcer l’action de la société civile en défense de l’état de droit, de la démocratie, de l’effectivité de l’accès aux droits.
La LDH participe au débat européen sur la place et le rôle de la société civile au sein du Forum civique européen, qui s’est constitué il y a vingt ans à cette fin. Elle est aussi active dans les mobilisations pour cette reconnaissance du rôle de la société civile qui regroupent largement les réseaux associatifs au niveau européen, et les associations aux niveaux nationaux et sous-nationaux.
Les enjeux pour la société civile organisée
Le premier enjeu, qui concerne un nombre considérable d’acteurs, vient des difficultés croissantes pour mieux assurer l’accès aux droits correspondant à l’objectif de chaque organisation alors que le nombre de personnes laissées de côté tend à croître. L’autre enjeu, en lien avec des reculs démocratiques et de respect de l’état de droit, vient des attaques directes portées aux organisations de la société civile.
Une stratégie qui réponde aux obstacles à l’accès effectif aux droits pour toutes et tous
Cette dimension essentielle pour nos sociétés, qui est au cœur des mandats des organisations de la société civile (OSC), est trop peu visible dans le débat public alors qu’elle est essentielle et doit être fortement soutenue. Les OSC sont en effet constituées pour permettre, en chaque domaine, l’accès effectif aux droits humains pour toutes et tous (personne ne doit être laissé de côté). Pour atteindre cet objectif, elles sont toujours en première ligne. Cela s’est vu pendant le Covid ou lors des arrivées massives de réfugiés. Mais c’est une caractéristique permanente. Selon les droits concernés, elles agissent seules ou en complément de ce que font des institutions. Qu’elles soient actives pour délivrer des services, pour faire du plaidoyer ou pour organiser des mobilisations, elles rencontrent de plus en plus de difficultés pour remplir leur mission alors qu’elles constatent des reculs en matière d’égalités, de sécurités sociales et économiques (avec l’augmentation de toutes sortes de précarités), en matière aussi de détérioration rapide de l’environnement en lien avec le climat et les politiques prédatrices d’utilisation des ressources… Toute stratégie pour la société civile doit prévoir des outils pour la soutenir à tous les niveaux géographiques, à tous les niveaux des institutions, tant leur action est vitale à la défense des valeurs du projet européen pour l’accès aux droits.
Une stratégie qui réponde aux attaques directes portées aux organisations de la société civile
Cet enjeu revient souvent dans le débat public du fait des attaques menées de façon systémique par les régimes illibéraux. Ces attaques font partie intégrante de la politique consistant à réduire les libertés publiques, à s’en prendre à l’état de droit et à l’existence des contre-pouvoirs – dont tous les acteurs susceptibles de demander qu’elles rendent compte de leurs actions. Ces attaques spécifiques, ciblées, sont de plus en plus nombreuses, y compris dans les pays considérés comme des démocraties matures mais gagnés par une montée d’autoritarisme.
Qu’entendons-nous trouver dans la « Stratégie société civile de l’UE » ?
La Stratégie doit s’articuler autour de trois mots/approches clefs : le soutien aux objectifs qui permettent l’effectivité des droits ; le dialogue qui permet la prise en compte des apports de la société civile aux politiques publiques, de leur conception à leur évaluation ; la protection contre les attaques qui entravent l’action légitime des acteurs de la société civile. Plusieurs éléments devront donc être intégrés à la Stratégie.
Soutenir la société civile implique de prendre en compte l’ensemble du champ d’action de la société civile
L’action de la société civile se fait au plus près des personnes et au plus près des institutions compétentes. Elle porte légitimement sur tout ce qui relève des droits humains, à tous les niveaux géographiques de l’Union européenne. Le soutien doit donc commencer par l’indication claire de toutes les dimensions du dialogue institutionnel dans une approche « whole-of-government », qui est la seule pertinente, avec la nécessaire articulation des responsabilités entre institutions européennes, nationales, locales.
Une Stratégie européenne articulée avec celles du niveau national
La mise en œuvre de politiques conformes aux dispositions de la Charte des droits fondamentaux concerne toutes les institutions, du niveau européen au niveau local. De même, l’approche mise en œuvre par la société civile organisée pour assurer l’accès à tous les droits pour la population comprend tous les niveaux d’intervention.
Il est essentiel que la « Stratégie société civile » explicite ce qui relève des diverses institutions, du niveau européen aux niveaux nationaux et locaux, tant pour le dialogue structuré avec la société civile que pour les financements publics qui sont associés à l’action des organisations de la société civile (OSC). La pertinence et l’efficacité de la stratégie impliquent que le soutien à la société civile soit traité dans toutes ses dimensions, articulant tous les outils qui permettent son implication à tous les stades : sensibilisation des institutions aux droits qui ne sont pas pris ou trop partiellement pris en compte, discussion des politiques pour l’accès effectif aux droits et des moyens le permettant, évaluations et leurs conséquences pour en améliorer l’efficacité.
Pour que la Stratégie soit autre chose qu’une coquille vide, sans effet sur l’action de la puissance publique, elle devra formuler ce que seront les outils aux différents niveaux des institutions dans l’Union européenne et la façon dont il convient de les articuler, permettant ainsi à la société civile de jouer tous ses rôles.
Les responsabilités à la Stratégie qui relèvent spécifiquement du niveau européen
Au cours des dernières années, la Commission a essentiellement agi par un soutien apporté à la société civile lors d’attaques relevant du non-respect de l’état de droit et de la mise en cause de droits civils et politiques.
Cet apport a été appréciable. Il a permis dans beaucoup de cas de maintenir la continuité organisationnelle d’acteurs qui sinon auraient été condamnés à disparaître. Les limites actuelles de ce soutien sont cependant notables, rendant indispensable le renforcement de la Stratégie à cet égard. Ainsi, la Stratégie devra définir les moyens adéquats, réévalués à la hausse, dans un contexte où plusieurs offensives d’États membres et de groupes parlementaires européens sont en cours pour des retours en arrière.
Pour bloquer les initiatives délétères de ce type, deux éléments particulièrement pertinents devraient être inscrits dans la Stratégie portée par la Commission européenne.
D’une part, nous prônons le soutien de la Commission européenne à un mécanisme européen d’alertes précoces (avec protection des lanceurs d’alerte), qui serait destiné à permettre l’intervention des institutions européennes dès suspicion de manquement en matière d’état de droit. Il s’agit de compléter ce que permettent les rapports annuels de la Commission européenne sur l’état de droit dans les États membres. Un tel dispositif, qui engagerait la réputation des donneurs d’alerte, aurait toute raison de renforcer la protection de la société civile en temps réel, alors que les processus existants se révèlent souvent trop tardifs, et donc insuffisants.
D’autre part, la poursuite d’un financement européen direct d’OSC par la Commission européenne s’impose en réponse à la dégradation de l’état de droit dans plusieurs pays européens. Seul un financement direct, européen, pourra répondre au fait que des acteurs politiques portent désormais ouvertement l’objectif d’affaiblir les outils du contrôle démocratique sur les décisions des exécutifs par des mesures restreignant la capacité des associations. La situation rend indispensable un haut niveau de financement européen permettant d’assurer la mission de défense de l’état de droit et de la démocratie (incluant le renforcement des libertés publiques) des OSC. Les dispositifs de financement européen ne devront pas autoriser leur blocage par les autorités locales. La stratégie devrait également mentionner un monitoring pour que la directive sur les procédures bâillon soit bien transposée.
La présente contribution n’a pas recherché l’exhaustivité. Elle porte essentiellement sur les champs que la Stratégie se doit de couvrir dans une approche « whole-of-government » et sur les responsabilités particulières du niveau européen.
Notre organisation soutient de nombreuses contributions contenant des propositions détaillées, en particulier celles de Civil Society Europe et du Forum Civique Européen.
Nous restons à votre disposition pour approfondir les propositions que nous avançons.
Le 3 septembre 2025,
LDH (Ligue des droits de l’Homme), 138 rue Marcadet, 75018 Paris
Télécharger la contribution de la LDH et une note résumant la contribution du Forum civique européen en version originale en anglais, et une traduction par logiciel pour la version française.
