Résolution « Conforter la perspective d’une bioéthique pour toutes et tous autour de cinq principes »

Résolution adoptée par le 90e congrès de la LDH, Saint-Denis – 8, 9 et 10 juin 2019

Jamais, dans toute l’histoire de l’humanité, l’espèce humaine n’a eu au degré de puissance actuel la capacité de modeler les conditions de sa reproduction, de sa santé, du décès, de ses devenirs possibles. Cette nouvelle donne, qui ne cesse de faire reculer les limites du faisable, ouvre des perspectives vertigineuses, où se côtoient le meilleur, le pire et une multitude d’interrogations renouvelées sur le sens de la vie, ses limites, ses finalités.

Tout ceci se produit en quelques décennies sous l’effet de la recherche, qui a connu de multiples révolutions servies par la convergence des technologies, du numérique et d’importantes avancées de la connaissance et des techniques. L’émergence et les usages de l’intelligence artificielle, des nanotechnologies, de la génétique (dont les tests et l’utilisation des données) ont modifié et vont continuer à modifier profondément le rapport que l’humanité entretient avec elle-même.

C’est dans ce contexte que la réflexion entamée autour de la révision de la loi relative à la bioéthique attire toute l’attention de la Ligue des droits de l’Homme. Au-delà des aspects strictement scientifiques et techniques, ce qui se joue touche à un double enjeu : que l’humanité reste au service d’elle-même en garantissant à tous les êtres humains de pouvoir bénéficier du progrès scientifique ; que cela se fasse dans un cadre de droit, d’égalité et de respect de la dignité de la personne.

Cette double préoccupation majeure relève justement de l’éthique qui se construit dans la diversité et la complexité. De nombreuses visions de l’humanité existent, et au sein des différents courants de pensée, les réponses à apporter à des questions essentielles ne vont pas de soi, qu’il s’agisse de génétique, de fin de vie, de procréation, d’augmentation des capacités physiques et cognitives des êtres humains… Comment se traduisent le respect de la personne humaine, la reconnaissance de ses droits ? Quand l’interdit est-il légitime, et qu’est-ce qui le fonde ? Comment définir la limite entre l’acceptable et l’inacceptable ? Les réglementations mises en place par chaque pays conduisent à des situations très diversifiées qui ont nécessairement une influence sur les débats dans d’autres pays.

C’est à partir de principes garantis notamment par la convention d’Oviedo adoptée au sein du Conseil de l’Europe et par le Code civil au plan national que la LDH formule une série de recommandations devant prévaloir dans l’approche de tout sujet de bioéthique. La Ligue des droits de l’Homme s’appuie sur cinq grands principes qui, selon elle, doivent prévaloir lors de l’examen de tout sujet de bioéthique : une approche démocratique, l’égalité, le respect de la dignité de la personne, la non-marchandisation, la liberté et l’indépendance de la recherche menée en respect des règles éthiques.

Une approche démocratique. Les questions bioéthiques doivent être traitées de façon transparente, en garantissant la participation des citoyens et en créant les conditions de la plus large appropriation des connaissances scientifiques.

L’égalité. Elle impose que les avancées permises par les progrès scientifiques soient accessibles à toutes et tous, sans discrimination, qu’elle soit fondée sur l’origine, le sexe, le genre, la santé, les caractéristiques génétiques, l’orientation sexuelle, la situation familiale ou socio-économique.

Le premier pas indispensable pour permettre une participation réelle des citoyens aux débats publics sur les sciences du vivant est de remédier au déficit de culture scientifique et de lutter contre les discriminations dans l’accès à la connaissance scientifique dès l’école et par l’éducation populaire. Le débat autour des enjeux bioéthiques doit être mené selon une dynamique démocratique et ne pas être façonné par des injonctions techniques ou de marché présentées comme impératives.

Le respect de la personne. Il inclut celui du corps, du consentement, et des données personnelles.

Le respect du corps implique la protection de son intégrité et de son indisponibilité. L’autonomie de la personne suppose que, correctement informée, la personne puisse prendre les décisions la concernant (consentement libre et éclairé, à l’abri de pressions). Les données de santé et les données génétiques, dont l’usage peut être utile à la collectivité comme à la personne, doivent bénéficier d’une protection renforcée contre tous les risques de mésusage.

La non-marchandisation de l’être humain. Elle est un enjeu majeur. Elle doit être garantie dans un monde qui met la logique économique en son centre. Le respect de la personne doit toujours primer sur des intérêts économiques.

Les logiques économiques ou financières qui animent nombre d’acteurs privés ou étatiques peuvent conduire à des appropriations inacceptables du vivant et à écarter les principes éthiques. Il convient de leur opposer une logique de droits, basée sur la primauté et la dignité de la personne humaine. Des processus indépendants, à l’abri des conflits d’intérêts, doivent être mis en place et dotés de pouvoirs effectifs d’auto-saisine, d’enquête et de sanction qui soient à la hauteur des enjeux de santé individuelle et collective.

La liberté et l’indépendance de la recherche menée dans le respect des règles éthiques. En ces domaines où le progrès scientifique se construit pour une large part sur des spécialisations, la recherche doit aussi être organisée de façon pluridisciplinaire pour permettre à tous les stades de son développement des approches critiques incluant l’éthique. Dans un souci de transparence, les objets de tous les programmes de recherche, qu’ils soient publics ou privés, doivent être rendus publics.

En vertu de ces principes, la Ligue des droits de l’Homme se prononce en particulier pour :

  • l’ouverture et l’accès à l’assistance médicale à la procréation de toutes les femmes quelles que soient leur situation familiale ou leur orientation sexuelle ;

  • un débat public sur la gestation pour autrui (GPA) ;

  • la reconnaissance légale sans restriction des liens de filiation entre les enfants et les parents d’intention, quel que soit le mode de procréation ;

  • l’évolution de la loi sur la fin de vie afin de répondre aux demandes d’aide à mourir des personnes atteintes d’une affection grave et incurable, capables de discernement, avec des procédures protégeant des abus et manipulations. Elle demande simultanément un investissement sans précédent en faveur des soins palliatifs, leur déploiement sur l’ensemble du territoire, les formations nécessaires des professionnels de santé comme des aidants ;

  • l’interdiction de toute intervention hormonale ou chirurgicale non nécessaire médicalement sur les enfants intersexes, avant que ceux-ci ne soient capables d’exprimer leur choix ;

  • l’assouplissement du régime encadrant la recherche sur les lignées de cellules souches embryonnaires dérivées qui, à l’heure actuelle, est le même que celui applicable à la recherche sur l’embryon. L’interdiction de tout usage à des fins de reproduction d’un embryon ayant fait l’objet d’une recherche doit être maintenue ;

  • le maintien de la relation humaine directe au centre des interactions soignant-soigné dans le contexte de l’essor du numérique et de l’intelligence artificielle ;

  • la protection effective des écosystèmes car leurs dégradations pèsent, entre autres, lourdement sur la santé et menacent l’avenir de l’espèce humaine en générant des difficultés accrues de reproduction et une multiplication des anomalies génétiques.

Pour prendre tout leur sens, ces recommandations doivent s’inscrire dans une démarche globale au service de l’humanité dont la nature profonde et l’avenir sont interrogés. Face aux défis soulevés par les techniques, lucidité, courage et détermination politique sont nécessaires : lucidité face à des idéologies qui renouent avec une vision utilitariste ou eugéniste de l’être humain ; courage et détermination face aux forces politiques et économiques qui continuent de prétendre que les périls sont inexistants ou bien se contentent d’en prendre acte, sans agir, ou a minima.

Les considérations que la LDH présente dans cette résolution s’inscrivent dans un temps long et un projet de société cohérent, respectueux simultanément des principes d’éthique, et des droits de l’Homme, cadre indispensable pour traiter les enjeux de bioéthique.

Adopté le 10 juin 2019

Pour : 280 ; contre : 3 ; abstentions : 14

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