Recours en annulation contre les décrets d’application de la loi Darmanin relatifs à la réforme de l’asile

La LDH et certains de ses partenaires membres de la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA) ont décidé d’introduire des recours contre six décrets d’application de la loi asile et immigration du 24 janvier 2024. Sur trois d’entre eux, le Conseil d’Etat a rendu sa décision, et a transmis une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur un autre de nos recours. Deux autres recours demeurent encore pendants.

Décret n° 2024-809 du 5 juillet 2024 portant modification du dispositif de refus ou de cessation des conditions matérielles d’accueil 

Nous soulevions notamment la méconnaissance des dispositions de la « directive accueil » de l’Union européenne (UE) en ce qu’il place l’administration en situation de compétence liée pour refuser ou retirer les conditions matérielles d’accueil (CMA) puisqu’elle dresse une liste limitative des cas de retrait de ces conditions d’accueil.

Par une décision du 12 juin 2025 le Conseil d’Etat a rejeté notre requête, tout en relevant que ni la loi, ni le décret ne permettent un refus ou un retrait des CMA automatique sans examen au cas par cas tenant compte des circonstances particulières et de la vulnérabilité.

Décret n° 2024-828 relatif aux pôles territoriaux « France asile » et modifiant la procédure de demande d’asile

Nous soulevions contre ce décret la méconnaissance du principe de la confidentialité de la demande d’asile et des informations confiées à cette occasion. Les agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) présents dans les pôles territoriaux ont en effet vocation à prendre en charge l’introduction de la demande d’asile, impliquant une première présentation de son récit par le demandeur d’asile, le respect de la confidentialité nécessite ainsi des mesures spécifiques d’adaptation des locaux. Or le décret ne prévoyait aucune disposition à cet égard. Par ailleurs nous invoquions également une rupture d’égalité injustifiée et disproportionnée entre les demandeurs d’asile pour lesquels l’introduction de la demande d’asile sera traitée au sein de ces pôles territoriaux et ceux dont la demande sera traitée au siège de l’Ofpra.

Le Conseil d’Etat a rejeté notre requête par une décision du 12 juin 2025. S’agissant de la confidentialité, il a jugé qu’il revenait aux autorités et aux agents qui exercent leurs fonctions au sein des pôles territoriaux de veiller au respect de cette confidentialité et que le décret n’avait pas à prévoir lui-même les mesures concrètes qu’il appartient à l’administration de prendre. Il a encore jugé que le grief de rupture d’égalité n’était pas suffisamment étayé.

Décret n° 2024-799 du 2 juillet 2024 relatif à la simplification des règles du contentieux

Nous reprochions notamment à ce décret de méconnaître le droit à un procès équitable. En effet, il fixe les conditions de tenue des audiences, dans une salle spécialement aménagée à cet effet, par un moyen audiovisuel en contradiction avec le droit de comparaître physiquement devant un juge qui, selon nous, constitue l’un des éléments du droit à un procès équitable et de l’exercice des droits de la défense. Nous invoquions encore contre ce décret une erreur manifeste d’appréciation, en tant qu’il supprime le double degré de juridiction pour les décisions rendues contre les décisions de transfert prises en application du règlement « Dublin III ».

Par une décision du 12 juin 2025, le Conseil d’État a rejeté la requête en ne retenant aucun des moyens soulevés.

Décret n° 2024-813 du 8 juillet 2024 relatif aux cas d’assignation à résidence ou de placement en rétention des demandeurs d’asile

Notre recours soulevait la contrariété de plusieurs dispositions du décret avec le droit de l’UE ainsi qu’avec les exigences constitutionnelles en matière d’asile.

Ainsi, nos griefs portaient sur la contrariété des dispositions du décret avec la directive dite « accueil », en ce qu’il permet l’assignation à résidence de demandeurs d’asile indépendamment des conditions expressément fixées par cette directive ; la violation des dispositions du décret avec la même directive, en ce qu’il permet le placement en rétention administrative de demandeurs d’asile en dehors des cas qu’elle fixe expressément ; la méconnaissance de la directive « procédure », en ce que le décret prévoit que  la demande d’asile est instruite selon la procédure accélérée en dehors des cas prévus par la directive ; la violation des exigences constitutionnelles du droit d’asile, en ce que le décret prévoit qu’une personnes étrangère placée en rétention administrative ne dispose que d’un délai de cinq jours pour introduire sa demande d’asile complète auprès de l’Ofpra  la méconnaissance de la directive « accueil », en ce que les demandeurs d’asile assignés à résidence doivent solliciter une autorisation pour se présenter devant les autorités et les tribunaux lorsque leur présence y est nécessaire ; la méconnaissance de la directive « procédure », en ce que le décret permet à une autre autorité que celle responsable de la détermination de prendre connaissance des éléments fondant une demande d’asile.

Nous avions enfin demandé au Conseil d’Etat de transmettre au Conseil constitutionnel la QPC portant sur le second alinéa de l’article L.523-1 du Ceseda.

Par une décision du 6 mars 2025, le Conseil d’Etat a accepté de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel, estimant que le moyen tiré de ce que l’article L. 523-1 du Ceseda dans son ensemble porterait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution soulève une question qui présente un caractère sérieux.

Par une décision du 23 mai 2025, le Conseil constitutionnel déclare contraires à la Constitution les dispositions permettant le placement en rétention administrative de demandeuses ou demandeurs d’asile – alors même qu’aucune procédure d’expulsion n’est engagée à leur encontre – soit en raison d’une prétendue menace pour l’ordre public, soit au motif d’un soi-disant « risque de fuite ».

Cette censure marque une victoire importante pour les libertés fondamentales, et notamment pour la protection de la liberté individuelle garantie par l’article 66 de la Constitution. Elle vient confirmer ce que nous dénonçons depuis l’adoption de cette mesure : il n’est pas acceptable, dans un Etat de droit, de priver de liberté une personne en quête d’une protection internationale sur le fondement aussi vague et arbitraire qu’une « menace pour l’ordre public ». Le Conseil constitutionnel rappelle ainsi que les atteintes à la liberté individuelle doivent être strictement nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi. Or, les dispositions censurées ne répondaient manifestement pas à ces exigences.

Le 16 octobre 2025, le Conseil d’Etat a rendu sa décision. Il a constaté que la disposition de la loi du 26 janvier 2024, prévoyant l’examen accéléré de la demande d’asile présentée à une autorité administrative autre que celle chargée de son enregistrement, méconnaît l’article 31 de la directive du 26 juin 2013. Constatant ensuite qu’un demandeur d’asile ne peut être assigné à résidence si l’examen de sa demande d’asile ne relève pas de la procédure accélérée, il a annulé le second alinéa de l’article R. 523-2 du Ceseda pris pour l’application de la disposition, permettant l’assignation à résidence de la personne qui présente sa demande d’asile à une autorité autre que celle chargée de son enregistrement.

Soutenez les combats de la LDH

Les droits et les libertés ça n’a pas de prix, mais les défendre a un coût.