Lettre ouverte au Premier ministre concernant le cargo saoudien Bahri Yanbu

Lettre ouverte signée par 17 organisations concernant le passage du cargo Bahri Yanbu en France, connu pour transporter des armes pour le compte exclusif du ministère de la Défense saoudien, engagé dans une intervention armée entachée d’allégations de crimes de guerre au Yémen

 

Monsieur le Premier ministre,

Le cargo saoudien Bahri Yanbu doit arriver jeudi 6 février à Cherbourg, dans le cadre d’une tournée européenne au cours de laquelle il doit également faire escale à Sheerness (Royaume-Uni) et Gênes (Italie), avant de repartir en Egypte et en Arabie saoudite, selon l’armateur.

Le Bahri Yanbu étant connu pour transporter des armes pour le compte exclusif du ministère de la Défense saoudien, engagé dans une intervention armée entachée d’allégations de crimes de guerre au Yémen, nous, représentant·e·s de 17 organisations humanitaires et de défense des droits humains, vous exprimons nos plus vives inquiétudes quant au passage de ce cargo en France.  

Nous vous demandons instamment de nous informer sur la nature du matériel devant être chargé sur le Bahri Yanbu à Cherbourg et, dans l’hypothèse où il s’agirait d’armements, de nous indiquer les garanties dont dispose la France que ces derniers ne seront pas utilisés de manière illégale contre des populations civiles yéménites.

Conformément au Traité sur le commerce des armes qu’elle a ratifié, la France, est tenue d’interdire les exportations d’armements dès lors qu’il existe un risque manifeste que ces derniers servent à commettre des crimes de guerre et autres violations graves du droit international humanitaire. Or, malgré les violations systématiques de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis au Yémen et le risque que des équipements français y contribuent, la France poursuit ses transferts d’armes à ces deux pays. Qu’il s’agisse d’attaques aériennes contre des cibles civiles (hôpitaux, écoles, bus scolaires, mariages, funérailles, etc.), ou du blocus aérien et maritime qui asphyxient les populations civiles, ces violations – et celles commises par l’ensemble des parties au conflit – ont été largement documentées par l’ONU et par nos organisations.

La France ne cesse de clamer son attachement au droit international humanitaire et au multilatéralisme, encore réaffirmés le mois dernier par le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Mais en poursuivant ses transferts d’armes à des forces systématiquement abusives, le gouvernement français contredit ses propres engagements et viole ses obligations internationales, comme l’ont pointé les experts de l’ONU dans leur rapport « Yémen. Échec collectif, responsabilité collective », publié le 3 septembre dernier.

En mai dernier, le Bahri Yanbu était déjà venu charger des armes dans toute l’Europe. Face à la mobilisation de la société civile et des syndicats, il avait dû renoncer à faire escale au port du Havre.

Le secret qui entoure son arrivée à Cherbourg, prévue demain, illustre une nouvelle fois l’opacité entourant les exportations d’armes en France.

Depuis 2016, 12 pays européens, dont l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et le Royaume-Uni, ont annoncé des mesures visant à suspendre ou à limiter les ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis en raison des graves violations de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les EAU au Yémen.  Pas la France, qui se contente d’assurer que le mécanisme gouvernemental d’autorisation des transferts d’armement a été renforcé, sans pour autant indiquer en quoi consiste le renforcement des contrôles ni en quoi il permet de garantir que les armes françaises ne sont pas utilisées pour commettre des violations contre les civils au Yémen.

7 Français sur 10 souhaitent que la France suspende ses ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis pour leur rôle dans la guerre au Yémen, selon un sondage YouGov réalisé en mars 2019. Et plus de 250 000 personnes ont signé des pétitions demandant la fin des ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, que certaines de nos organisations ont remises à l’Elysée en novembre dernier.

Dans ce contexte :

  • Nous vous demandons instamment de faire la lumière sur le nouveau passage en France du cargo saoudien Bahri Yanbu et sur la nature de sa cargaison, et le cas échéant de suspendre le chargement.
  • Nous réitérons notre appel à ce que la France cesse ses transferts d’armes à l’Arabie saoudite pour ne pas se rendre complice de graves violations.
  • Nous vous exhortons également à assurer une plus grande transparence dans le commerce des armes, notamment en permettant un contrôle parlementaire effectif, alors que la mission d’information sur le contrôle des exportations d’armement de l’Assemblée nationale s’apprête à présenter ses recommandations.

Nous sommes à votre disposition pour organiser une rencontre dans les jours qui viennent et vous prions d’agréer nos salutations respectueuses.

 

Organisations signataires : Action contre la Faim (ACF), Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), Alliance internationale pour la défense des droits et des libertés (AIDL), Avaaz, Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS), Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), Handicap International, Human Rights Watch, Ligue des droits de l’Homme (LDH), L’Observatoire des armements, Médecins du Monde, Oxfam France, Première Urgence Internationale, Salam For Yemen, Solidarités International, SumofUs, Yemen Solidarity Network

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Paris, le 5 février 2020

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