Lettre divulguée sur le projet de contrôles frontaliers conjoints entre Chypre et le Liban : augmentation du nombre de morts et de violations des droits de l’Homme

Communiqué commun signé par la LDH

Dans un contexte de plus en plus préoccupant pour les migrants et les réfugiés à Chypre, avec la récente escalade des attaques racistes violentes et des discriminations à l’encontre des réfugiés sur l’île et la poursuite de la politique de refoulement, les organisations de la société civile tirent la sonnette d’alarme concernant le soutien accru de Chypre à l’armée libanaise afin de renforcer les contrôles aux frontières et d’empêcher les départs.

Une lettre du ministre de l’Intérieur chypriote à son homologue libanais, divulguée le 26 septembre 2023, révèle que Chypre fournira au Liban six navires et vedettes rapides d’ici la fin de l’année 2024, assurera la formation des forces armées libanaises, mènera des opérations de patrouille conjointes à partir des côtes libanaises et financera les salaires des membres des forces armées libanaises “qui contribuent activement à l’interception des navires transportant des migrants clandestins vers Chypre”. Ainsi, en fournissant des équipements, des fonds et une formation à l’armée libanaise, Chypre aura une influence déterminante, voire un contrôle effectif, sur l’interception des bateaux de migrants dans les eaux territoriales libanaises et sur les retours forcés (les fameux “pullbacks”) vers le Liban. Cela constitue une violation du droit européen et international, qui risque de poser des problèmes de responsabilité juridique. Comme on l’a vu dans de nombreux cas, les réfugiés, en particulier les Syriens, qui sont renvoyés au Liban risquent d’être détenus, maltraités et expulsés vers la Syrie où ils sont victimes de violences, d’arrestations, de tortures et de disparitions forcées. L’aggravation de la situation des réfugiés syriens au Liban, qui sont confrontés à une violence et à des expulsions croissantes, confirme que le Liban n’est pas un pays tiers “sûr”.

Comme on l’a vu dans le passé avec plusieurs exemples aux frontières extérieures de l’UE (par exemple en Turquie, en Libye et plus récemment en Tunisie), la conclusion d’accords avec les pays de départ voisins de l’UE afin de renforcer les contrôles aux frontières et de contenir les mouvements migratoires a plusieurs conséquences catastrophiques. Bien qu’ils visent officiellement à réduire le nombre de vies perdues, ils augmentent en fait la violence aux frontières et le nombre de morts, ce qui entraîne de graves atteintes aux droits de l’homme et des violations des lois européennes et internationales. Ils favorisent également une approche de chantage, les pays tiers utilisant leurs frontières comme levier contre les pays européens pour obtenir des fonds supplémentaires ou négocier sur d’autres questions sensibles, au détriment de la vie des gens. Tous ces éléments contribuent à avoir un impact négatif sur la politique étrangère de l’UE et des États membres.

Comme le montre un article récent du Centre mixte pour les migrations, le moyen le plus efficace de “perturber le modèle commercial des passeurs” et de réduire les départs irréguliers, les voyages dangereux des migrants et les pertes de vies qui en résultent, est d’élargir les routes migratoires légales.

En allant dans la direction totalement opposée, Chypre, depuis de nombreuses années, empêche les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés d’atteindre l’île de manière légale et de la quitter pour se rendre dans d’autres pays de l’UE. Chypre a eu recours à des pratiques systématiques de refoulement renvoyant les réfugiés vers des pays où ils risquent la torture, la persécution et la détention arbitraire, a intensifié les retours forcés, a démantelé le système d’accueil et d’asile, et a alimenté un discours anti-réfugiés toxique qui a conduit à des attaques violentes aveugles, d’abord contre des réfugiés syriens et leurs propriétés à Chloraka et, quelques jours plus tard, contre des migrants et leurs propriétés à Limassol. Plus récemment, Chypre a également annoncé sa volonté de pousser l’UE et les États membres à réévaluer le statut de la Syrie et à considérer le pays comme “sûr” afin de renvoyer de force les réfugiés syriens en Syrie – malgré les affrontements en cours, les violations structurelles des droits de l’homme, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

Ces politiques d’externalisation meurtrières et ces pratiques illégales ont tué et continuent de tuer des personnes et de les empêcher d’accéder à leurs droits. Il est urgent de changer complètement les politiques de migration et d’asile, en se basant sur le respect des droits de l’homme et de la vie des personnes, ainsi que sur les voies légales de migration et de protection. Chypre, ainsi que l’UE et ses États membres, doivent protéger les droits de l’homme des migrants aux frontières internationales, garantir l’accès à la protection internationale et à des conditions d’accueil adéquates, conformément à la législation européenne et internationale en matière de droits de l’homme. Ils doivent ouvrir des voies migratoires légales efficaces, y compris la réinstallation, les visas humanitaires et les possibilités de migration de main-d’œuvre ; et ils doivent respecter leurs obligations de sauver des vies en mer et mettre en place des opérations de recherche et de sauvetage appropriées en Méditerranée.

Signataires :

CIHRS – Institut du Caire pour l’étude des droits de l’homme ; CLDH – Centre libanais pour les droits de l’homme ; GCR – Conseil grec pour les réfugiés ; KIS ; Tamkeen pour l’aide juridique et les droits de l’homme ; Droits EuroMed ; AMERA International ; Far Right Watch (Chypre) ; LDH (Ligue des droits de l’Homme)

Le 9 octobre 2023

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