Lettre adressée à Monsieur le Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie Francis Mer au sujet du financement de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan

M. Francis Mer

Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie
Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie
Teledoc 151
139 rue de Bercy 75572 Paris Cedex 12

Montreuil, le 26 octobre 2003 

Objet : Financement de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan par les institutions financières internationales et la Coface 

Monsieur le Ministre,

Le gouvernement français va se prononcer dans les prochains jours sur la participation de la Banque mondiale et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement au financement de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (Azerbaïdjan-Georgie-Turquie). Vous êtes également sollicité, dans le cadre de la commission interministérielle des garanties, pour garantir une exportation française liée à la construction de la partie géorgienne de l’oléoduc.

Ce projet soulève d’importantes inquiétudes que nous avons pu partager avec M. Lecourtier et des représentants de la Direction des relations économiques extérieures (DREE) lors de la visite en France de nos partenaires azéri et géorgien au mois d’avril dernier. A ce jour, le consortium n’a toujours pas répondu aux préoccupations que nous avons exprimées relativement au respect des droits humains des populations vivant le long de la route du pipeline et les risques de destruction de l’environnement en particulier en Georgie.

 Les Amis de la Terre ont d’ailleurs saisi le point de contact national français chargé du suivi des principes directeurs de l’OCDE à l’intention des multinationales. Le 3 juillet dernier, les ONG anglaises ont saisi le commissaire européen chargé de l’élargissement, Martin Harvey, sur le non respect par la Turquie de l’accord de pré-accession à l’Union européenne. Les ONG géorgiennes ont également déposé un recours auprès du tribunal de Tbilissi pour le non respect de la législation environnementale par les autorités administratives. Toute décision de financer le projet avant que les procédures en cours ne soient jugées ne contribuerait qu’un peu plus à saper l’application de la loi.

Une étude réalisée par une coalition d’ONG internationales et confirmée par d’autres analyses indépendantes a établi que le projet BTC, dans sa forme actuelle, ne répond pas aux exigences de la BERD, de la directive européenne sur les études d’impact que le consortium s’est engagé à respecter, et ne respecte pas les politiques opérationnelles de la Banque mondiale. Nous souhaitons attirer votre attention sur les aspects suivants :

  • l’évaluation des alternatives est insuffisante (8 manquements aux normes de la Société financière internationale (SFI) et de la Politique environnementale de la BERD)
  • la consultation des populations affectées n’est pas complète (6 manquements à la Politique environnementale de la BERD)
  • l’étude d’impact environnemental est incomplète (18 manquements à la Directive CE sur les Etudes d’Impact sur l’Environnement)
  • les déplacement de population et les indemnisations sont en violation des normes SFI
  • la sauvegarde du patrimoine Culturel n’est pas garantie
  • la protection des minorités ethniques n’est pas assurée

Il est de votre responsabilité de vérifier que les Banques multilatérales répondent bien à leur mandat de financer le développement durable dans le cadre fixé par les politiques opérationnelles, sans succomber aux pressions économiques ou politiques de tous ordres cautionnant la sécurité de millions de personnes.

Les récents évènements survenus en Azerbaïdjan lors des dernières élections et les fraudes soulignées par les observateurs de l’OSCE confirment nos craintes de corruption.

Nous vous demandons de suspendre toute décision de financement ou de prise en garantie tant que des changements importants n’auront pas été apportés au projet afin qu’il puisse être conforme à la législation des gouvernements hôtes, et aux obligations de la Turquie vis à vis de l’Union européenne. Vous trouverez ci-joint un rapport plus complet ainsi que la liste des améliorations à apporter au projet.

Croyant que vous partagerez nos préoccupations et dans l’attente de votre réponse, nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, à l’expression de notre haute considération. 

PJ :

          Plainte pour violation des principes directeurs de l’OCDE par les entreprises Total, Société Générale et Spie Capag dans le cadre du projet

          Review of the Environmental Impact Assessment for the Baku-Tbilisi-Ceyhan oil pipeline (Turkey Section) : Executive Summary

Gérard Botella
Président Les Amis de la Terre 

Caroline Maurel
Agir ici pour un monde solidaire

Sidiki Kaba
Président Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) 

Laëtitia Desmarez
Greenpeace France 

Michel Tubiana
Président Ligue des Droits de l’Homme 

Sharon Courtoux
Survie 

L. Leylekian
Directeur Fédération Euro-Arménienne pour la Justice et la Démocratie 

Raphaëlle Gauthier
Réseau Action Climat – France 

Jean-Paul Arpi
Peuples Solidaires

Damien Millet
CATDM (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde)

Michel Faucon
CRID

Les mesures à prendre avant toute décision définitive de financement 

Les contrats régissant le projet doivent être modifiés afin de :

          clarifier les standards environnementaux qui s’appliquent au projet et les juridictions compétentes pour en contrôler le respect ;

          assurer le droit de recours des tiers (populations affectées, victimes de pollutions,…) ;

          obtenir des garanties sur le respect par la Turquie de sa législation en matière d’expropriation et de protection de l’environnement et en particulier le respect de ses obligations internationales relatives aux droits de l’homme ;

          se conformer aux accords de pré-accession entre la Turquie et l’Union européenne, en particulier en allant dans le sens des acquis communautaires,

          respecter le « Mémorandum of Understanding » conclu entre la Banque Mondiale, la BERD et la Commission Européenne relatif à l’aide aux pays d’accession.

Les conventions d’établissement doivent être modifiées afin de :

  1. contenir une clause accordant des droits de recours aux tiers ;
  2. abroger les clauses d’équilibre économique ;
  3. modifier les clauses de sécurité afin de protéger les droits de ceux qui vivent le long du tracé de l’oléoduc.

Les actes unilatéraux (Deed Poll) pris par le consortium suite à la pression des ONG ne reviennent pas sur l’équilibre du projet et le rôle joué par les différentes parties à ces conventions. Ainsi les relations entre les gouvernements hôtes, le consortium et ses sous-traitants restent régies par les Conventions d’établissement qui exonèrent les entreprises du respect du droit local et international. Les progrès accomplis ne doivent pas dispenser les acteurs du projet de revenir sur les Conventions d’établissement elles-mêmes. 

Copie à : 

M. Pierre Duquesne, Administrateur français à la Banque mondiale
M. Emmanuel Glimet, Conseiller technique auprès du Premier Ministre
M. Christophe Lecourtier, Conseiller technique auprès du Ministre de l’Economie, de l’Industrie et des Finances
M. Brice Quesnel, Chef du bureau Institutions multilatérales de développement
M. Stanislas Pottier, Chef du Bureau Assurance-crédit, DREE
M. François David, COFACE
M. Emmanuel Boulet, COFACE 

Président de la Commission des finances
Président de la Commission des affaires étrangères
Président du groupe d’amitié France-Turquie
Président du groupe d’amitié France-Georgie
Président du groupe d’amitié France-Azerbaidjan

Lettre de Gérard Botella Président Les Amis de la Terre, de Caroline Maurel d’Agir ici pour un monde solidaire, de Sidiki Kaba
Président Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), de Laëtitia Desmarez de Greenpeace France, de Michel Tubiana Président Ligue des Droits de l’Homme, de Sharon Courtoux de Survie, de L. Leylekian Directeur Fédération Euro-Arménienne pour la Justice et la Démocratie, Raphaëlle Gauthier de Réseau Action Climat – France, de Jean-Paul Arpi de Peuples Solidaires, de Damien Millet de CATDM (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde) et de Michel Faucon du CRID.

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