L’école en outre-mer : des inégalités persistantes

Par Nicole Launey, co-responsable du groupe de travail LDH « Outre-mer »

Les enfants d’outre-mer sont les premières victimes des inégalités territoriales en matière d’éducation selon les propres données du ministère de l’Education nationale. Dans le numéro 11 de la Géographie de l’école, paru en juin 2014, la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) analyse, entre autres, les impacts des diversités territoriales liées aux facteurs économiques et sociaux, sur la réussite à l’école, en se basant sur les évolutions sur dix ans, de 2003 à 2013. Nous nous intéresserons particulièrement au premier chapitre : «  environnement économique et social ». Ce numéro évoque l’outre-mer qui, comme on peut s’y attendre, concentre le plus de facteurs d’inégalités territoriales en matière d’éducation. Mais si l’on veut dresser un tableau plus proche de la réalité de ces inégalités face à l’école, inégalités qui entraînent un véritable déni de droit d’accès à l’éducation des enfants d’outre-mer, il est urgent de relever aussi les manques et les non-dits de cette analyse.

Quels sont les critères ?

Le dossier 1 intitulé « d’un département à l’autre : environnement familial et social des enfants » (p 89 et suivantes) repose sur une « sélection d’indicateurs choisis pour leur lien avec la réussite scolaire ». Ces critères incluent le diplôme du parent de référence, la catégorie sociale considérée comme favorisée ou non, le chômage de longue durée du parent de référence, la vie dans un logement surpeuplé, en famille monoparentale, en situation de pauvreté.

LETTRE OM

 

 

 

 

 

L’outre-mer regroupe les régions de France les plus défavorisées pour la réussite scolaire

Cela ne surprendra pas du tout celles et ceux qui sont familiarisés avec les réalités sociales de l’outre-mer, mais les enfants des Dom sont majoritairement en situation défavorable vis-à-vis de l’école, car ils cumulent les indicateurs négatifs, ce que les spécialistes ont appelé ailleurs les « handicaps sociaux ». La page 17 de ce numéro 11 de la Géographie de l’école analyse l’environnement familial des enfants de 0 à 17 ans et les enfants d’outre-mer y cumulent ces critères considérés comme négatifs pour la réussite scolaire : ce sont eux qui sont les plus nombreux de France à avoir un parent au chômage (entre 23% et 27,8% contre 9,2% en moyenne nationale), y compris pour le chômage de longue durée du parent de référence, catégorie où les taux sont cinq fois plus élevés que la moyenne nationale. Ils sont aussi les plus nombreux à vivre dans un foyer monoparental (plus de 40% contre 18,5% en moyenne nationale), et à vivre dans un logement surpeuplé (plus de 40% contre 12,5%, avec 62% pour la Réunion et la Guyane). C’est en Guyane et à la Réunion que la part d’enfants appartenant à des populations dites « défavorisées » est la plus élevée de France : respectivement 59% et 50%, et ce sont aussi les départements d’outre-mer qui ont la part d’enfants la plus élevée de France dont le parent de référence est sans diplôme, entre 35 et 65%.

Les absences de données concernant l’outre-mer

Les auteurs sont les premiers à déplorer ces absences de données, notamment pour Mayotte où elles manquent de façon flagrante, mais surtout à propos des revenus des habitants et donc du calcul du taux de pauvreté. Cette absence a déjà été relevée dans divers rapports comme celui du  Sénat, du 9 juillet 2014, de M. Doligé et M. Vergoz sur les niveaux de vie en outre-mer. Les outils statistiques disponibles n’y sont pas équivalents à ceux de la France hexagonale, notamment par l’absence d’enquête annuelle de l’Insee sur les revenus fiscaux et sociaux des ménages : l’Insee réserve celle-ci à l’hexagone. Cette absence de données conduit les auteurs de la Géographie de l’école à mettre à part l’outre-mer dans leurs conclusions en créant des sous-catégories propres à l’outre-mer et donc en empêchant les comparaisons. C’est particulièrement choquant s’agissant du taux de pauvreté.

Les auteurs reconnaissent que si cette donnée était prise en compte les conclusions concernant les inégalités devant l’école en outre-mer seraient encore plus négatives : «  les travaux comparatifs en matière de revenus et de pauvreté, entre métropole et Dom […] suggèrent que les ménages des Dom, dans leur ensemble, sont en situation plus défavorable que les ménages métropolitains. Cette dimension, si elle était incluse dans l’analyse, contribuerait sans doute à les distinguer encore plus. [1]»(p 91).

Les classements à part des Dom et le refus de mener la comparaison avec les autres départements

L’outre-mer se caractérise donc par des handicaps les plus forts de France, et, comme on l’a vu, par l’absence partielle de données.

Les auteurs se livrent alors à ce qu’on peut appeler des contorsions intellectuelles pour justifier l’exclusion des Dom de leur conclusion sur l’influence de l’environnement familial et social dans la réussite scolaire : « de façon générale pour ce type d’analyse, les Dom posent plusieurs types de difficultés : la donnée peut être manquante (ici le taux de pauvreté), les valeurs souvent extrêmes prises par les Dom peuvent trop influencer les résultats[2], enfin les indicateurs en eux-mêmes n’y ont pas forcément le même sens qu’en métropole » (p 91). Ils précisent ainsi que la notion de surpeuplement du logement pourrait ne pas être prise en considération en outre-mer car le « mode de vie et le climat local, conduisent à vivre plus fréquemment à l’extérieur », proposant alors d’inclure le jardin en outre-mer dans le nombre de pièces. On le voit s’agissant de l’outre-mer il n’y a pas de limite à l’indécence…

Ils prennent donc la décision de faire deux types de classement des départements en réservant aux Dom des catégories à part. Si les auteurs annoncent que « les départements d’outre-mer se distinguent par le cumul de quasiment toutes les difficultés sociales qui ont été évoquées jusqu’ici »,ils se livrent alors à une sorte de surenchère entre les divers territoires d’outre-mer pour savoir lequel emporte la palme de l’injustice vis-à-vis de tel ou tel critère discriminant. Ainsi, pour la Guadeloupe et la Martinique, ce sera la part très élevée d’enfants vivant en famille monoparentale, pour la Réunion, la part d’enfants exposés au chômage de longue durée du parent de référence[3] et pour la Guyane le logement surpeuplé.

Autres manques et non dits

Cette Géographie de l’école laisse entrevoir des non-dits, c’est-à-dire des conclusions qui ne sont pas tirées des données de l’Insee : le premier de ces non-dits porte sur la non scolarisation sur laquelle un autre article de cette lettre revient en détail. Mayotte et la Guyane souffrent particulièrement de la non-scolarisation de milliers d’enfants, réalité dénoncée depuis plus d’une décennie par les associations de défense des droits[4]. Les interpellations du Défenseur des droits sont restées sans réponse depuis 2011, pour la Guyane, et depuis 2008 pour Mayotte. Le rapport sénatorial cité plus haut met du reste l’accent sur l’important retard en matière d’éducation qui peine à se résorber et insiste sur le taux d’illettrés qui est le double en moyenne en outre-mer de celui de l’hexagone. Il s’agit là du dossier prioritaire pour l’outre-mer avant même celui de la santé où le retard est moindre. Ce rapport souligne qu’à Mayotte en 2007 60% ont au plus le niveau  primaire du  fait « d’une non-scolarisation massive ». On ne retrouve nulle part dans la Géographie de l’école cette mention de la non-scolarisation

Il est évident que l’exclusion de Mayotte de la majorité des analyses fausse totalement les analyses qu’on peut en tirer.

On remarque aussi que les présupposés de ces analyses, qui sont ceux de l’Insee, comportent des manques et insuffisances. Ainsi l’absence de prise en compte des modes de vie, en particulier dans les catégories traditionnelles de l’Insee considérant comme « chômeurs ou inactifs » des populations non entrées dans le salariat, comme le sont en majorité les Amérindiens et les Marrons de Guyane. Mais il faut noter surtout l’absence de prise en compte des pratiques linguistiques des enfants, dont un nombre important sont non francophones, bien que souvent Français. Il faudrait aussi insister sur le rôle que jouent les programmes importés de métropole sans aucune adaptation, souvent caricaturaux à l’extrême, comme s’il était impossible de conduire les élèves à l’universel à partir des réalités locales : c’est particulièrement visible dans l’enseignement de l’histoire et la géographie. On peut noter aussi les difficultés liées à la culture écrite dans des sociétés de tradition orale et qui ont toujours un rapport difficile avec l’écrit. Pour certains l’école est encore à décoloniser, comme le dit Marie Salaun dans son livre Décoloniser l’école présenté dans cette lettre n°3.

Cet ouvrage officiel, malgré les omissions et tentatives pour minimiser le phénomène, permet cependant de mettre en évidence les injustices faites aux enfants d’outre-mer et de montrer que les solutions passent d’abord par la lutte contre les inégalités sociales engendrées, entre autres, par le chômage, et par l’accès à des logements décents. Ce sont bien là les actions initiées par la section LDH de la Réunion dont il est question dans un autre article de cette lettre.

[1] C’est nous qui soulignons.

[2] Idem.

[3] On sait qu’en ce qui concerne Pôle emploi, les agences d’outre-mer sont parmi celles qui accueillent le plus de chômeurs par agent : Le Monde, du 31 juillet 2014, écrit : « la Réunion fait figure de lanterne rouge. Les huit agences les plus chargées de France sont toutes à la Réunion »dans un article dont le sous titre est« la répartition des moyens selon les territoires reste déconnectée du taux de chômage ». Et le journaliste ajoute que tous les chiffres ne sont pas donnés par Pôle emploi qui ne tient pas compte des agents en temps partiel.

[4] http://www.migrantsoutremer.org/Non-scolarisation-en-Guyane

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