L’école des Amérindiens : une comparaison Guyane-Brésil

Par Nicole Launey, co-responsable du groupe de travail LDH « Outre-mer »

Camopi est une commune de Guyane à la frontière du Brésil sur le fleuve frontière Oyapock. La population est amérindienne, de langue tupi-guarani, localisée dans le bas Xingu au XVIIe siècle, et qui a migré pour échapper à la sédentarisation sur les missions jésuites et au travail forcé sur les plantations. Un millier d’entre eux vivent actuellement en Guyane française et un autre millier au Brésil, dans l’Amapa. Il est intéressant de comparer deux systèmes politiques nationaux et deux façons différentes de traiter ces populations quant à l’accès aux droits, dans le cadre de la Constitution de la République française et de la Constitution du Brésil. Dans une approche comparative avec la situation des Wayampis vivant au Brésil, Isabelle Tritsch dans sa thèse « Dynamiques territoriales et revendications identitaires des Amérindiens wayampi et teko de la commune de Camopi »(2013)[1]aborde entre autres la question de l’accès à la scolarisation qui est l’objet de cet article, bien que ce ne soit pas du tout l’essentiel de son sujet.

Elle oppose une politique d’assimilation[2] menée en France à une politique d’intégration menée au Brésil, en liaison avec les populations concernées, dans des cadres définissant différemment les droits de ces populations : le Brésil, signataire de la Convention 169 de l’OIT leur reconnaît des droits collectifs dans sa constitution, alors que la France a émis des réserves sur tous les articles de conventions internationales, Cide, Cerd, Pidesc…, qui reconnaîtraient aux populations autochtones vivant en France de tels droits, au nom d’une incompatibilité avec l’article 1 de la Constitution française. Si la France se justifie au fil de ses rapports à l’ONU, en « copiant-collant » de rapport en rapport son argumentaire très critiquable[3] sur la façon dont elle traite correctement ces populations, Isabelle Tritsch apporte dans  sa thèse des informations et analyses qui confortent les dénonciations des associations dans leur demande de 2011 au Défenseur des droits[4], à laquelle aucune réponse n’a été faite.

Dans la seconde partie de leur réclamation (p 8 ss), les associations dénonçaient en effet les manques concernant l’accès à la scolarisation des jeunes des sites isolés en Guyane, constitués entre autres d’Amérindiens. « L’enseignement du second degré : un accès restreint et une organisation discriminatoire ». Elles y mentionnaient le déplacement contraint des enfants dès 11 ans par insuffisance d’implantation de collèges, avec comme exemple le refus du collège de proximité à Talhuen, réclamé par les villageois et les autorités coutumières. Elles dénonçaient également les conditions d’accès aux internats pour lycéens dans la ville de Cayenne et l’absence de suivi des jeunes qui avaient pu être inscrits entraînant leur errance le week-end, où ces internats sont fermés, faits maintes fois dénoncés. La question de l’absence de formation et de suivi des familles d’accueil y était abordée.

La  troisième partie de cette requête abordait la question de l’insuffisance de la prise en compte des langues maternelles de ces populations qui, françaises, n’ont pas le français comme langue maternelle (lire p 12 et ss) « le système scolaire en Guyane : source de rupture d’égalité des chances »  où un paragraphe traite de « l’intégration du plurilinguisme à l’école : une carence institutionnelle »[5].

Les enquêtes de terrain d’Isabelle Tritsch sur cette portion du territoire de Guyane où vivent les Wayampis et ses conclusions montrent le caractère insatisfaisant des réponses habituelles de la France sur ces deux points. 

Elle aborde elle aussi la prise en compte insuffisante des langues maternelles de ces populations dès l’école primaire alors que « la population est alloglotte […] les langues maternelles […] étant  les seules à être pratiquées dans les échanges au sein  de la famille  […] les enfants de moins de 6 ans et la moitié des hommes et des femmes de plus de 45 ans  sont unilingues. Le reste de la population est plurilingue »(p 145).

Si elle mentionne la mise en place des intervenants en langue maternelle, dont la mission est d’assurer une présence de la langue maternelle dans les petites classes et dont on sait que la mise  en place a été chaotique et plusieurs fois remise en cause, elle ajoute qu’«  à part cette mesure spécifique, l’enseignement est entièrement basé sur les programmes de métropole. »

Le second point (abordé p 146 et p 147), est celui des modalités d’accueil dans le secondaire et elle conforte là aussi les analyses associatives qui en dénonçaient les manques. S’il y a bien une annexe du collège à Camopi il n’y a pas de famille d’accueil pour les élèves des sites éloignés du bourg. Leur envoi à Saint-Georges de l’Oyapock, loin de chez eux dans un home d’enfants tenu par les sœurs continue, les coupant à 11 ans de leur famille, et entrainant une « perte de repères et une confrontation brutale avec la société guyanaise » (p 146). [6]

La poursuite d’études secondaires en lycée se fait sur le littoral, à Cayenne : «  la question de l’hébergement et de l’encadrement de ces jeunes collégiens ou post collégiens fraîchement débarqués sur le littoral est cruciale. Elle est citée par les jeunes et par leurs parents comme la principale difficulté et source de non achèvement des formations commencées sur le littoral. En effet il y a peu de places dans les internats en Guyane, de nombreux internats ferment le week-end, et les familles d’accueil sont peu nombreuses et localement accusées de loger des jeunes Amérindiens uniquement pour des raisons financières (Armanville op cité). De plus les familles ont du mal à respecter les échéances de paiement de frais liés à l’hébergement de leurs enfants sur le littoral. L’impossibilité de joindre par téléphone et par internet ses parents et réciproquement complique les liens affectifs et la perte de repères de ces jeunes. Pour ces raisons les jeunes renoncent à continuer leur scolarité après le collège et l’organisation de structure d’accueil pour ces jeunes sur le littoral est une revendication importante de la part des habitants de Camopi » (p147).[7] 

Si l’auteur souligne qu’un certain nombre de jeunes arrivent cependant à faire des études et à obtenir un travail et «  font la fierté de la communauté »,  elle souligne les situations difficiles à surmonter par de nombreux jeunes revenus du littoral sans diplôme « Pour ces jeunes le retour dans la commune peut être synonyme de mal-être […] et le suicide chez les adolescents est un sujet préoccupant » Le taux de suicide est chez les jeunes Amérindiens dix à vingt fois plus élevé que dans l’hexagone et elle analyse, p 269 et 270, différents facteurs de ce phénomène dont une grande partie est liée au système éducatif imposé.

Elle note que cette politique d’assimilation menée depuis des décennies en Guyane vis-à-vis des Autochtones est une politique globale : « de nouvelles infrastructures, mairies, gendarmerie, dispensaires, écoles, […] elles-mêmes vectrices de l’enseignement de la langue et de la culture française, [et qui] participent à la dynamique d’assimilation culturelle et sociale des Wayampis et Teko » (p101).

Au Brésil, signataire de la Convention 169 de l’OIT les conditions sont différentes dans la Terre indigène wayampi (TIW) car les populations y ont des droits spécifiques et un système d’éducation adapté : «  La constitution brésilienne garantit aux Amérindiens la légitimité devant la justice pour défendre leurs droits et leurs intérêt et un processus  propre de scolarisation et de santé. » (p281).Les associations des Wayampi y ont développé des partenariats avec les administrations spéciales du ministère de l’Education nationale et travaillent en collaboration avec l’Etat. «  Les écoles fonctionnent avec un programme différencié et bilingue, élaboré par les instituteurs wayampi dans un objectif de valorisation de la langue et de la culture de leur peuple. Par conséquent, les Wayampi du Brésil évoluent dans un contexte bien plus spécifique et ajusté à leur identité que les Wayampis de Guyane. Ils sont forts de solides partenariats, qui présentent une grande continuité dans le temps ». 

Cette organisation aboutit à créer «  une dynamique d’emplois dans le secteur de la santé et de l’éducation […]. Ainsi depuis les années 2000, de plus en plus de familles comptent un membre avec un emploi salarié issu des services étatiques ».

En conclusion de ce chapitre elle écrit : « Les Amérindiens wayãpi de l’Amapá se sont organisés et ont obtenu une grande terre indigène, qu’ils doivent gérer de manière autonome. Ils bénéficient d’agents de santé et de professeurs amérindiens issus de leur propre communauté et peuvent s’appuyer sur leur association Apina, forte de son partenariat avec l’association indigéniste IEPE et de son articulation avec divers acteurs régionaux. Ils ont au cours des vingt dernières années participé à plusieurs projets visant le renforcement de leur autonomie et la promotion de leur auto-développement.

Pour toutes ces raisons, ils évoluent dans un contexte bien différent des Amérindiens wayãpi et teko de Guyane, qui restent beaucoup plus dépendants des priorités de l’Etat français et de l’Education nationale. »

Ces recherches  sont un réel démenti opposé au gouvernement français, qui périodiquement rappelé à la signature de la Convention 169 de l’OIT, affirme qu’il n’a pas besoin de reconnaitre des droits collectifs pour assurer à ces populations la reconnaissance de leurs droits culturels économiques et sociaux[8]. La jeunesse amérindienne de Guyane en fait tragiquement les frais.

 Nicole Launey,

Co-responsable du groupe de travail LDH « Outre-mer »

[1] http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00831619

[2] Politique dénoncée par d’autres chercheurs : Laurent Puren « contribution aux politiques linguistiques », 2011                http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/ed-06-08/010042094.pdf et par des témoignages d’enseignants ayant enseigné dans un village amérindien comme celui d’Amparo Ibanez : Education nationale en Guyane : dispositif d’un ethnocide en Guyane http://www.migrantsoutremer.org/IMG/pdf/2011-6-17_DDD-annexes2.pdf

[3] Rapport alternatif de la LDH pour le Cerd, août 2010.

[4] http://www.ldh-france.org/Denis-du-droit-a-l-ecole-pour-les/

[5] Cette demande signée par le président de la LDH a été rédigée par le groupe de travail « Outre-mers » et le service juridique de la LDH.

[6] Armanvile mémoire de master2 « Les homes indiens en Guyane française », 2012.

[7] La section de Cayenne a soutenu depuis longtemps une telle revendication qui dépasse la seule commune de Camopi et concerne l’ensemble des populations vivant sur les deux fleuves frontières en Guyane et qui sont les plus discriminées de  Guyane v article suivant. Dans France Guyane, du 1er octobre, Alexis Tiouka dénonce cette situation v article sur le livre Abandonnés de la République.

[8] Lire le rapport gouvernemental http://www.adequations.org/spip.php?article2138

 

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