La LDH soutient le film “Human flow”, de Aï Weiwei

Sortie le 7 février 2018

« Je suis cette mer entrée dans un vase » : cette citation d’un poète iranien parmi d’autres, nombreuses et belles, qui font écho aux images d’Ai Weiwei dans le documentaire Human flow, pourrait presque résumer la démarche de celui-ci : embrasser dans leur globalité les crises migratoires de diverses origines dont veut rendre compte son film, pour s’interroger et interroger les spectateurs sur les réponses que la société mondialisée pourra proposer à cette tragédie.

Tourné sur une année dans 23 pays, pays d’exil ou pays d’accueil, qui vont de la Grèce à la Birmanie, en passant par le Kenya, le Bangladesh, la Palestine,  la Turquie, le Mexique, la France… Human flow s’attache à diverses trajectoires d’hommes, de femmes, de familles qui ont quitté les lieux où ils vivaient pour fuir les guerres, les persécutions, les gangs mafieux, la sécheresse, la faim, et chercher la sécurité, l’Europe étant une des premières destinations où ils pensent trouver asile. La plupart de ces situations nous sont plus ou moins connues ;  mais le film d’Ai Weiwei veut les réunir pour ainsi dire toutes, sans préciser parfois du reste dans quel pays ou dans quel camp on se trouve, pour mettre ainsi l’accent sur ce qui est commun à tous ces destins de réfugiés qui se trouvent confrontés aux mêmes problèmes de survie, d’attente, de rejet, ou d’accueil dans le meilleur des cas, d’un bout à l’autre de la planète.

« Je voulais me rendre sur tous les lieux du monde où il y avait des réfugiés, d’abord pour ma propre compréhension du phénomène, mais aussi pour enregistrer nos propres découvertes dans le film. J’ai vécu ce tournage comme un véritable apprentissage sur l’histoire de l’être humain, la géopolitique et le changement social et environnemental », dit Ai Weiwei, fils de réfugiés et réfugié lui-même, dans une interview.  Et ce qu’il met au cœur de son film, au-delà des situations propres à chaque pays ou des parcours individuels, c’est que ces migrants qui ont tout perdu, leurs biens quand ils en avaient et souvent leurs familles, sont avant tout des êtres humains, des frères. Il nous fait partager de manière inédite leur quotidien, que ce soit dans des scènes de la vie de tous les jours (cuisine, lessives, toilettes), qui prennent une dimension poignante ; dans  les longues files de ceux qui cherchent de nouvelles routes de passage terrestre quand les accès maritimes sont bloqués, et alors que se construisent de plus en plus de murs et de clôtures (on est passé de 11 pays isolés par des frontières fermées ou des murs entre 1989, date de la chute du mur de Berlin, à 70 qui ont construit des murs ou des clôtures en 2016) ; ou dans les interminables queues pour obtenir un visa, pour un bol de soupe, en pataugeant dans la boue au milieu des tentes, en rechargeant les portables à des batteries de fortune,  tout en chérissant un chat qu’on a réussi à sauver,  et en gardant l’espoir que l’Europe va ouvrir ses portes et ses bras : « UE, ne nous renvoie pas dans cet enfer», supplie une banderole lors d’une manifestation sur le sol européen D’impressionnantes perspectives plongeantes sur des camps de réfugiés, comme celui de Dadaab, au Kenya, l’un des plus grands au monde, où vivent actuellement plus de 245 000 réfugiés dans des conditions indescriptibles et souvent pour des années (la « moyenne » de l’exil est de 26 ans…), nous font ressentir l’étendue des territoires où sont parqués ceux qui n’en ont plus.

Le film n’étant pas centré sur un récit unique, mais sur ce qui relie les migrants du monde entier dans leur quête d’une vie meilleure, sa construction narrative est particulière : les images, la plupart grande puissance, sont peu commentées oralement, mais accompagnées par des textes riches d’informations, et dont les origines diverses abolissent pour ainsi dire le temps face à la répétition tragique des situations,  en nous rappelant cette humanité face à l’inhumanité croissante des pays occidentaux : ce sont soit des extraits de poèmes, soit des articles de presse sur les situations locales, l’évolution des politiques migratoires des divers pays européens, les menaces sur le droit d’asile ; soit des rappels historiques, des données chiffrées et  statistiques (qui peuvent parfois surprendre) pour donner un poids aux vies humaines – on en cite quelques-uns :  près de 66 millions de personnes déplacées de force dans le monde ; 22 millions de réfugiés en 2016 ;  soit des interviews de spécialistes.  Aï Weiwei imagine également la collision entre scènes du quotidien des camps, où parfois il apparaît en témoin bon enfant et empathique, et un événement comme le sauvetage à grands frais d’un tigre palestinien pour lequel on aura les plus grands égards…pour l’expédier ailleurs!

Autre aspect intéressant de ce film : la place que donne l‘artiste plasticien Aï Weiwei  aux objets et à la nouvelle symbolique qu’ils acquièrent dans l’univers des migrants en tant que produits de la crise des réfugiés : ainsi la scène nocturne où des dizaines de naufragés se blottissent dans des couvertures de survie scintillantes, ou encore, impressionnante installation, l’immense amoncellement final de ceintures et bouées de sauvetage échoués à Lesbos dont on ne saura si ceux qui les portaient ont ou non survécu. Notre regard en est changé.

On peut donc aborder ce « grand » film sous les nombreux aspects de la crise migratoire comme tragédie de notre époque, tout en questionnant la place et le rôle de l’artiste dans le monde moderne, et à sa responsabilité dans le débat public. Pour Ai Weiwei, la réponse est claire : « L’art est un moyen de se battre pour la liberté personnelle. Mais c’est aussi la lutte en elle-même… L’art doit se mêler des débats éthiques, philosophiques et intellectuels.Quand on se dit soi-même artiste, c’est une responsabilité qui nous incombe… L’art nous permet de mieux savoir qui nous sommes, dans quel genre de monde nous vivons et quel type de rêve nous faisons ».

Thématiques du film : crise migratoire, migrants, réfugiés, droit d’asile, politiques migratoires/politiques d’accueil en Europe, fermeture des frontières, art et engagement…

Premières avant-premières

–          Nantes – Le Katorza : le vendredi 2 février à 20h15

–          Strasbourg – Le Star st Ex : le mercredi 31 janvier à 20h

–          La Rochelle – CGR Olympia : le mardi 30 janvier à 20h

–          Bordeaux – Utopia : le dimanche 4 février à 11h

–          Lyon – Le Comoedia : le dimanche 4 février à 10h45

–          Nice – Rialto : le mardi 30 à 20h

–          Toulon – Royal : le mardi 30 à 20h (horaire à confirmer)

–          Toulouse – Abc : le mardi 30 à 20h00

–          Marseille – variétés : le mardi 30 à 20h00

 

Human flow

Film documentaire de Ai Weiwei

Allemagne, 2018

Distribution : Mars films

 

 

Share This
Soutenez les combats de la LDH

Les droits et les libertés ça n’a pas de prix, mais les défendre a un coût.