27 avril 2023 – Tribune du président de la LDH “La LDH renforcée et combative dans une période de turbulences” publiée sur Mediapart

Tribune du président de la LDH

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La première salve est venue sans surprise du ministre de l’Intérieur. Auditionné le 5 avril 2023 au Sénat sur la manifestation contre la mégabassine de Sainte-Soline, Gérald Darmanin a indiqué que les subventions accordées à la LDH méritaient d’être regardées « dans le cadre des actions qui ont pu être menées ». Cette menace voilée, d’une particulière gravité, faisait suite à toute une série de critiques infondées développées par lui. Le reproche a ainsi été formulé à la LDH d’avoir contesté un arrêté de la préfète des Deux-Sèvres interdisant le port d’armes. Or, d’une part, il n’est pas besoin d’un arrêté sur ce point puisqu’il s’agit d’un délit réprimé par un article existant du Code pénal, et d’autre part le recours visait l’interdiction également prévue par l’arrêté « d’armes par destination », en méconnaissance d’une décision du Conseil constitutionnel du 18 janvier 1995 ayant refusé l’extension à priori de la notion d’arme à tout objet pouvant être utilisé comme projectile. Le ministre de l’Intérieur mettait ensuite en cause la présence à Sainte-Soline de membres des observatoires des pratiques policières et des libertés publiques, qui ont pour mission de documenter les éventuelles dérives des forces de l’ordre, alors que le droit international, comme d’ailleurs le Conseil d’Etat, en consacre l’existence et la nécessaire protection lors des manifestations. C’est ainsi que la LDH a, avec beaucoup d’autres organisations, pu dénoncer l’usage disproportionné de la force par la gendarmerie avec notamment le recours de façon indiscriminée et massive à des armes de guerre tels que les LBD (lanceurs de balles de défense) ou les grenades de désencerclement de type dangereux GM2L. Mais la virulence de la réaction du ministre de l’Intérieur tient surtout au fait qu’après avoir soutenu que les allégations de la LDH sur l’interdiction de porter secours en temps voulu à un manifestant blessé en danger de mort étaient mensongères, ses propos ont été démentis par la production d’un enregistrement audio démontrant la véracité du retard dénoncé pour permettre l’accès du Samu à la zone concernée, parfaitement accessible.
Pourtant, alors qu’aucun des griefs ainsi avancés à l’encontre de la LDH ne résistait à l’examen, une seconde salve, plus surprenante, et encore plus inquiétante, est venue de la Première ministre. Elisabeth Borne, dont on aurait pu espérer si ce n’est de désavouer son ministre de l’Intérieur qu’elle en tempère au moins les propos, a en effet affirmé le 12 avril au Sénat, lors d’une séance de questions au gouvernement, qu’elle ne comprenait plus certaines des prises de position de la LDH, faisant mention, outre de la contestation de l’arrêté sur le port d’armes, de son incompréhension sur certaines « ambiguïtés face à l’islamisme radical ». La Première ministre va ainsi plus loin que G. Darmanin puisqu’elle n’hésite pas à s’approprier une des accusations récurrentes assez odieuse, faite d’amalgame et de contre-vérités, formulée par les contempteurs de la LDH pour tenter de la discréditer. Non, madame Borne, il n’y a aucune ambiguïté par rapport à l’islamisme radical, et vous le savez fort bien. Les valeurs que nous défendons depuis toujours, à savoir liberté, égalité, fraternité, dignité humaine vont complètement à l’encontre de ce que véhicule l’islamisme radical. En revanche, notre boussole n’est rien d’autre que le respect des droits pour tous et toutes tels que définis par la Déclaration universelle des droits de l’Homme. C’est à ce titre par exemple que sans approuver le port du voile, nous rejetons une interdiction contreproductive pour laisser la femme libre, ici et en Iran ou ailleurs, de le porter ou non. Nous défendons pour les personnes accusées d’islamisme radical, comme pour les terroristes ou les assassins, le droit à être jugés équitablement. Il en va de même des droits dont doivent bénéficier les détenus, les étrangers, les migrants. La lutte contre toutes les formes de discrimination et de xénophobie, sans sélectivité, reste au cœur de notre engagement. Si combattre l’islamophobie nous paraît une impérieuse nécessité, ce n’est pas, contrairement à une petite musique insidieusement distillée, pour délaisser le combat plus que jamais nécessaire contre l’antisémitisme, celui-là même qui a été à l’origine de la LDH et en parcourt toute l’histoire. Mais nous réaffirmons, au regard de la motivation réelle de nos détracteurs, que le droit international s’applique à tous les Etats, y compris celui d’Israël qui ne doit pas faire exception, et si l’existence et la sécurité de ce pays doivent être affirmées et protégées sans aucune réserve, il lui appartient de respecter enfin les résolutions des Nations unies violées depuis plus de cinquante ans quant à la cessation de l’occupation et de la colonisation, comme de mettre un terme aux violations de plus en plus inadmissibles des droits des Palestiniens.
Tels sont quelques-uns des nécessaires éléments de réponse à apporter sans relâche aux attaques de G. Darmanin et de E. Borne à l’encontre de la LDH. Cependant, il ne faut pas se dissimuler que l’essentiel est ailleurs. Outre qu’il s’agit largement d’une manœuvre de diversion pour essayer de détourner de la grave crise sociale et politique que connaît la France et à laquelle n’est apportée qu’une réponse répressive, c’est bien le sort de nos libertés qui est en question. Le caractère structurel des violations policières illégitimes dénoncées par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) constitue une entrave certaine à la liberté de manifester. La liberté associative est quant à elle menacée par le risque de suppressions arbitraires des subventions accordées aux associations. Couper les vivres à celles-ci représente un des éléments constitutifs de la politique des régimes illibéraux et autoritaires. C’est pourquoi, face à un tel danger, la LDH a sonné l’alarme et appelle celles et ceux qui entendent défendre notre modèle démocratique à s’engager à ses côtés avec détermination. Le formidable élan de solidarité dont la LDH bénéficiait depuis sa mise en cause par les plus hautes autorités de l’Etat n’a fait que renforcer sa combativité pour parvenir à cet objectif. La LDH garde le cap avec constance : la défense de l’Etat de droit.

Patrick Baudouin
Président de la LDH

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