Journée d’études « droits et environnement » : Vers quelle justice environnementale ?

Vers quelle justice environnementale ?

 

Le samedi 15 septembre 2018 de 14h à 17h
au siège de la LDH
138 rue Marcadet, 75018 Paris

  • Intervention de Christel Cournil, maître de conférences à Paris XIII, sur les aspects juridiques du statut des migrations climatiques et environnementales. Débat.
  • Intervention de Julien Bétaille, maître de conférence à Toulouse I, sur le thème : « Quel droit d’accès à une justice environnementale ? » Débat.
  • Synthèse et perspectives, par Catherine de Wenden, directrice de recherche au CNRS. Débat.
  • Clôture de la journée par le président de la LDH, Malik Salemkour (sous réserve).

 

 

Synthèse et résumés de la journée d’étude

Conclusion de Malik Salemkour, président de la LDH 

Le texte ci-dessous constitue un résumé de l’exposé fait en conclusion de la journée d’étude par Malik Salemkour

L’environnement est un sujet récent pour la LDH. Elle y a été parfois confrontée, comme dans les années 1970, sous l’angle du droit du travail et de la santé des salariés face aux pollutions. Mais c’est un sujet qui pendant longtemps n’a pas été vraiment porté. La situation a changé ces dernières années. L’environnement a été de plus en plus l’occasion de parler de la défense des droits fondamentaux et de créer des passerelles entre ces droits, ce dont témoigne l’organisation de cette journée d’étude.

L’environnement aide à reposer la question des droits, y compris de façon instrumentale comme un levier utile pour réactiver d’autres combats. Pour parler d’immigration, mieux vaut sans doute parler d’environnement parce que les acteurs politiques écoutent davantage. On peut alors poser autrement la question des populations, des territoires et des mobilités. La crise environnementale permet de rappeler l’importance d’une liberté de circulation effective pour tous, alors qu’aujourd’hui elle est source d’immenses injustices : par exemple entre riches touristes ou étudiants du Nord, voyageant presque librement, et populations du Sud menacées mais contraintes à l’immobilité. Le changement climatique aide à repenser la solidarité internationale et à réaffirmer la nécessité d’une mobilité entre territoires. Il montre de nouveau que la distinction entre réfugiés politiques et réfugiés économiques ou climatiques est infondée, comme l’Onu le reconnaît depuis longtemps : la famine crée la guerre, la guerre crée des victimes, qui méritent un accueil collectif et non plus, comme dans les années 1960, un asile politique offert à des individus face à des régimes totalitaires. Les questions environnementales, comme d’ailleurs démographiques, amènent à penser autrement le rôle de l’État-Nation et du droit international.

Alors que les débats environnementaux sont souvent rendus opaques et complexifiés par certains, ils sont aussi l’occasion de réaffirmer des enjeux simples. La question de la transparence et de la démocratie sont clairement au centre du sujet. Il faut éclairer et alerter sur les impacts réels des problèmes environnementaux. Même s’il peut y avoir débat entre les scientifiques – est-on entré dans l’anthropocène ? – on voit qu’il y a aujourd’hui des politiques et des actes qui mettent en péril la planète. Face à ces constats d’évidence, on doit avancer dans la réflexion sur les enjeux démocratiques et cette journée d’étude nous aide à le faire.

On a ainsi abordé le débat sur l’attribution de droits à la nature, la reconnaissance de droits de la Terre, ou plutôt de droit à la Terre, qui vise à protéger les conditions de survie de l’humanité. Mais, cela a été très bien dit tout à l’heure par Julien Bétaille, certaines limites de cette orientation sont aussi à prendre en compte. La crise environnementale globale nous met face à deux dangers. Le premier est celui, ancré dans le présent, d’une société suicidaire, qui poursuit un mode de développement aveugle et non seulement laisse de côté des individus mais remet aussi en cause les conditions de vie futures des enfants. De l’autre côté, le second danger à ne pas ignorer est une tendance totalitariste, naturaliste qui peut pousser à des dérives connues, celles d’un malthusianisme qui dans le passé a amené certains à justifier la guerre, la maîtrise autoritaire de la démographie, etc.

Je pense que l’idée d’un État de droit environnemental, soulignée par Julien Bétaille, est une notion centrale. Cela a été très justement pointé, et c’est le débat sur l’universel que l’on aura de nouveau à l’Université d’automne, il y a nécessité de faire s’approprier au niveau mondial cette notion d’un État de droit, garant d’une effectivité des droits. Cette appropriation est difficile parce que l’État de droit est un concept issu des pays du Nord, des pays pollueurs, colonisateurs, qui ne participent pas à la solidarité internationale à la hauteur de leurs responsabilités historiques. Mais s’il faut débattre de l’idée d’État de droit environnemental, le concept doit rester central.

À ce propos, nous voyons bien qu’un cadre juridique s’amorce et que des règles sont posées en matière de protection de l’environnement. Mais l’effectivité de celles-ci demeure problématique. Il est quand même sidérant de voir des lois non appliquées et de l’accepter. C’est un sujet politique pour nous parce que c’est un sujet de citoyenneté : comment des lois sont-elles votées et ne sont pas appliquées ? Les exemples ne manquent pas : au niveau national, le code de l’environnement, les multiples lois, l’exemple donné plus tôt de l’instruction de Ségolène Royal recommandant de ne pas contrôler la réglementation relative à la chasse. Mais on peut citer aussi en Corse le refus d’appliquer la loi littoral, au prétexte du développement économique, également invoqué pour les projets pharaoniques de grand centre commercial en Ile-de-France et nord du Val d’Oise, l’enfouissement des déchets nucléaires à Bure, évidemment la Montagne d’or en Guyane.

Des lois existent mais elles sont contournées : il faut les faire connaître et actionner les leviers permettant de les faire mieux appliquer. Il faut qu’il y ait une pression politique qui conduise ceux qui sont en responsabilité à faire exécuter la loi. On sait que la police de l’environnement est insuffisante. On a des polices administratives, des polices sanitaires, mais on n’a pas de police de l’environnement forte, parce que le ministère de l’Intérieur, à l’occasion de la réforme de la décentralisation, a refusé de créer l’outil permettant de contrôler réellement la réglementation.

Si la question de l’effectivité de la loi, des moyens de contrôle et de l’appropriation réelle par le décideur se pose, c’est qu’il y a aussi des problèmes de corruption, au sens strict, mais aussi plus largement de la corruption plus insidieuse introduite par les lobbys, comme les débats sur le glyphosate l’ont montré. À l’image des questions sanitaires, Philippe Laville l’a noté, on voit bien que c’est une question de rapport de force politique, économique, électoral et que la solution se trouve dans davantage de transparence.

Il est tentant de recourir à l’arme juridique quand il n’y a plus d’autre solution, face à l’échec de notre capacité à influencer la puissance publique, mais ce recours pose aussi des questions. Face aux drames et aux menaces accrues que nous vivons, on cherche parfois des coupables pour pouvoir accuser, y compris en parlant de crime, voire de crime contre l’humanité. Au sein de la LDH, ce débat a déjà eu lieu : le crime contre l’humanité, c’est une histoire, un lieu, un autre domaine. Mais la question est bien posée : peut-on parler de crime d’irresponsabilité, d’une irresponsabilité intentionnelle qui va viser un chef d’État, une entreprise, une personne individuelle ? S’il y a pollution volontaire, en cherchant à nuire, il y a un élément intentionnel, et le droit permet déjà d’agir aujourd’hui. Il reste néanmoins tous les problèmes environnementaux pour lesquels les effets et impacts ne sont visibles que sur le temps long, À quel moment peut-on parler de conscience et de responsabilité dans la poursuite d’une pollution ou dans le non-ralentissement d’une activité polluante ? Dans certains cas, l’inertie de la puissance publique doit être mise en cause : quand on sait, on doit faire.

À l’échelon supranational, il y a nécessité de développer et renforcer le droit international de l’environnement. Mais celui-ci s’engendre aussi dans un rapport de force économique et politique, notamment entre les pays développés et ceux en développement, autour de la Chine, de l’Inde dont la demande de rattrapage économique doit être entendue. Même si une telle mise à niveau avec les pays développés est aujourd’hui dangereuse en termes sanitaire et environnemental, il faut trouver un équilibre. Quand l’Europe puis les États-Unis ont décidé de se développer, de polluer et de piller à tout va, personne ne les a arrêtés. On ne peut pas légitimement demander aux autres pays aujourd’hui de stopper leur développement. Il faut trouver une façon de créer un consensus international pour rendre effective la prise en compte des enjeux environnementaux.

Nous avons donc du pain sur la planche et le fait que vous soyez nombreux aujourd’hui, venus de différents endroits, montre que c’est un sujet qui est clairement territorialisé. Nous le voyons au quotidien, il y a souvent matière à préoccupation et à implication de la LDH et de ses sections : on a parlé des lanceurs d’alerte, mais il y a aussi la répression qui s’abat sur ceux qui protestent à Notre-Dame-des-Landes, à Sivens, à Bure. Nous sommes là dans notre cœur de métier lorsqu’il s’agit de lutter contre ces répressions, de favoriser la transparence, d’accompagner l’action publique. Les collectivités, la puissance publique en France doivent porter ces sujets et les décideurs doivent assumer leurs responsabilités.

Le rôle de la LDH n’est peut-être pas de donner les clés, mais en tout cas il est de donner des outils pour permettre de fabriquer des clés. Il est de parler avec des scientifiques, des chercheurs, des associations environnementalistes, qui sont diverses, avec des points de vue variés mais qui doivent être entendus. Certaines ont des démarches parfois aux limites du droit, quand il faut révéler publiquement des violences animales dans le secret des usines, quand il faut démontrer que certaines installations nucléaires ne sont pas suffisamment protégées. On peut avoir des débats sur l’interdiction des mouvements agressifs et violents, mais certaines actions aident aussi à faire entendre des droits que nous considérons comme justes. Enfin, il est aussi important de positiver le sujet, d’éviter de tomber dans une vision millénariste, dans laquelle il n’y a plus d’espoir et tous vont mourir. Nous avons les capacités et l’Humanité a montré ses capacités à s’adapter. Nous avons besoin simplement de plus de citoyenneté, d’égalité, de transparence : c’est le cœur de métier de la Ligue des droits de l’Homme.

 

 

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