Janvier 2023 – Tribune de Patrick Baudouin “Enfants français détenus dans les camps du Nord-Est syrien : une condamnation infamante pour la France” publiée sur Mediapart

Tribune de Patrick Baudouin, président de la LDH

A ce jour environ 120 enfants français sont toujours prisonniers dans les camps du Nord-Est syrien, ouverts en 2019 à la suite de la défaite militaire de l’organisation Etat islamique et gérés par les FDS (1), d’obédience kurde. Ils y vivent dans des conditions qui mettent en péril leur santé physique et psychique, dénoncées comme « apocalyptiques » par le CICR (2). Dès l’origine, de nombreuses voix se sont élevées pour demander à la France de procéder au rapatriement de ces enfants, avec leurs mères, afin de mettre un terme à cette situation tragique et révoltante. Ainsi en a-t-il été d’institutions tant internationales, comme le HCDH (3), que nationales, telles la Défenseure des droits ou la CNCDH (4).

Cette dernière institution a ainsi émis deux avis les 24 septembre 2019 et 16 décembre 2021, non suivis d’effet, dans lesquels elle explicitait tous les motifs justifiant le rapatriement et réfutait tous les arguments invoqués par les autorités françaises pour refuser d’y procéder. Il était rappelé qu’au regard des conditions désastreuses de détention, le rapatriement des enfants constituait une exigence d’ordre humanitaire, qu’ils devaient être traités comme des victimes des djihadistes et des mauvais choix de leurs parents, que la France ne pouvait objecter une absence de compétence territoriale en s’abritant derrière des arguties juridiques pour se soustraire à ses obligations de respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, et qu’enfin la réinsertion des enfants comme le retour de leurs parents déférés à la justice française représentaient des gages de réinsertion et de sécurité bien préférables au maintien dans des camps, dont les forces kurdes n’entendaient pas assumer indéfiniment la charge.

Alors que les autres pays européens ont fini par rapatrier leurs ressortissants, la France s’est obstinée à maintenir une politique dite du « cas par cas », en procédant à quelques rapatriements au compte-goutte basés de façon scandaleuse sur la soi-disant prise en compte des seuls cas d’enfants « les plus vulnérables », comme si tous les enfants n’étaient pas dans une situation de complète vulnérabilité. Alors que les divers recours intentés devant les juridictions françaises n’ont jusqu’à présent pas prospéré, un premier coup de semonce a émané du Comité des droits de l’enfant des Nations unies qui, dans une décision du 24 février 2022, a estimé que la France avait violé les droits des enfants français détenus en Syrie en refusant de les rapatrier, et l’a exhortée à prendre des mesures urgentes.

Un signe d’espoir a paru être donné ensuite lorsque la France a procédé début juillet 2022 au rapatriement de 35 enfants et 16 mères, semblant ainsi abandonner la politique du « cas par cas ». Mais, sans aucune nouvelle avancée, c’est d’abord la CEDH (5) qui a rendu le 14 septembre 2022 un arrêt dans lequel elle considère que l’examen des demandes de retour n’a pas été entouré des « garanties appropriées contre l’arbitraire », et qu’il incombe par conséquent au gouvernement français de le reprendre dans les plus brefs délais.

Devant l’absence d’effet, le Comité contre la torture des Nations unies a jugé, au terme d’une nouvelle condamnation encore plus infamante, le 19 janvier 2023, qu’il y avait violation par la France de la Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains et dégradants, et que même si l’Etat français n’est pas à l’origine des violations subies, il a l’obligation positive de protéger les enfants et leurs mères « contre des violations graves des droits humains, en prenant toutes les mesures nécessaires et possibles », d’autant plus qu’il a parfaite connaissance de la détention prolongée de ses ressortissants « dans une situation de mauvais traitements ». Le Comité souligne enfin que la France a la capacité d’intervention pour y mettre fin et qu’elle a le pouvoir de protéger les droits de ses nationaux en effectuant leur complet rapatriement.

Alors que la France se veut à l’avant-garde en matière de normes sur les droits de l’enfant dans les organes internationaux, cette troisième décision particulièrement déshonorante fait perdre toute crédibilité à un tel positionnement qui n’apparaît être qu’une simple posture. Si l’on peut saluer le rapatriement de 32 enfants et 15 femmes le 24 janvier dernier, il reste encore plus d’une centaine d’enfants dans les camps syriens. Les autorités françaises ne peuvent s’enliser dans un tel déni d’humanité en continuant à sacrifier des enfants devenus victimes des choix de leur propre pays. La LDH, mobilisée dans ce combat contre la négation de droits fondamentaux, réitère avec insistance la demande formulée auprès du président de la République, afin qu’il soit procédé immédiatement à leur rapatriement dans le respect d’engagements internationaux souscrits et des injonctions de trois instances internationales fustigeant le comportement de la France, dont l’image se trouve gravement ternie.

(1) Forces démocratiques syriennes.
(2) Comité international de la Croix-Rouge.
(3) Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme.
(4) Commission nationale consultative des droits de l’Homme.
(5) Cour européenne des droits de l’Homme.

 

 

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