La République a commis en 1962, en Algérie, un crime d’État. En laissant en Algérie, les supplétifs algériens qu’il avait employés, le gouvernement français les a sciemment exposés aux massacres qui ont été commis. Nul n’ignorait que la violence de la guerre d’Algérie ne pouvait qu’engendrer de tels comportements : Cette chronique annoncée d’un massacre met en évidence la responsabilité conjointe de ceux qui l’ont perpétré mais aussi de ceux qui l’on autorisé.
Il importe peu de savoir si ceux que l’on nomme les « harkis » ont trahi ou non : nombre d’entre eux en sont arrivés à s’engager auprès de l’armée française sous la contrainte. Tous ont cru aux assurances qui leur avaient été données, rien ne peut justifier qu’ils aient fait l’objet de ces massacres perpétrés à grande échelle.
Comment s’étonner, alors que nul n’a encore reconnu la réalité, que huit d’entre eux déposent une plainte pour crime contre l’humanité ? Le débat juridique sera difficile, voire déjà tranché, mais cela ne doit pas conduire à se taire sur les faits et les responsabilités.
Il ne suffit pas que la République ait instauré une journée dédiée à la reconnaissance des Harkis (il a fallu attendre jusqu’en 1974 pour que la qualité d’anciens combattants leur soit reconnue), il faut, comme à l’égard des crimes commis par une partie de l’Armée française, que la République reconnaisse sa responsabilité publiquement.
Et celle-ci est d’autant plus lourde qu’après le massacre est venu, pour les survivants, le temps de la discrimination institutionnelle. Peut-on imaginer que pendant des années, ceux qui avaient échoué en France ont été parqués, cachés, discriminés ? Qu’est ce qui peut justifier ces baraquements sordides, ces écoles au rabais et cet exil intérieur auquel on a contraint des citoyens français ?
Près de 40 ans après la guerre d’Algérie, plusieurs milliers de personnes portent encore les stigmates d’un traitement honteux qui, appliqué à d’autres, n’aurait pas été revêtu de la chape de plomb qui l’a entouré.
Une double justice doit être rendue aux Harkis : reconnaître le crime d’État dont ils ont été victimes, et la discrimination dont ils sont encore aujourd’hui l’objet.
Et ceci relève de la responsabilité du Président de la République et du gouvernement.
Michel TUBIANA, Président de la LDH