Élections présidentielles moldaves, un choix entre la Russie et l’UE?

Par Florent Parmentier, enseignant à Sciences Po et chercheur au Centre de géopolitique de HEC, fondateur des sites
www.moldavie.fr et eurasiaprospective.net, auteur de Moldavie. Les atouts de la francophonie (2010)

 

Le 13 novembre dernier, le second tour de la présidentielle moldave a désigné pour vainqueur Igor Dodon (52,2 %), chef du Parti des socialistes de la République de Moldavie (PSRM), face à la candidate du Parti action et solidarité (PAS), de centre-droit, Maia Sandu (47,8 %). Ce scrutin était pour la Moldavie, petit pays d’environ 3 millions d’habitants situés entre la Roumanie et l’Ukraine, le premier du genre depuis une vingtaine d’années, la dernière élection ayant eu lieu en décembre 1996.

Cette élection s’est assez rapidement résumée à un face à face entre deux quadragénaires, Igor Dodon (41 ans) et Maia Sandu (44 ans). Si le premier est une personnalité politique connue en Moldavie, la seconde n’est apparue sur la scène politique moldave qu’en juillet 2012, date à laquelle elle a accepté le poste de ministre de l’Éducation jusqu’en juillet 2015. Économiste passée par la Banque mondiale, elle a acquis pendant ces trois années l’image d’une personne compétente et intègre, quitte à bousculer son administration. Elle a incarné, pendant la campagne, l’orientation pro-européenne présente chez une partie significative de l’opinion, et qui détient encore une majorité au Parlement.

Pour sa part, Igor Dodon a été pendant trois ans ministre de l’Économie, entre 2006 et 2009, sous la bannière du Parti des Communistes, qui dominait l’échiquier politique d’alors. Polyglotte, il avait plutôt laissé l’image d’un réformiste qui a œuvré pour rapprocher la Moldavie des standards européens. Sa campagne a montré plutôt la volonté de séduire une partie de l’électorat souhaitant un rapprochement avec la Russie, lui donnant une avance décisive au premier tour, avec 48 % des suffrages.

Le retour du suffrage universel

De prime abord, il convient de mentionner que le retour au scrutin présidentiel a été le résultat de 15 mois de manifestation populaire dans la rue et deux ans d’une crise politique profonde. En mars 2016, devant la demande répétée d’élections anticipées de la part des manifestants, les autorités ont donc opté pour ce mode d’élections, sous l’influence d’une décision de la Cour constitutionnelle.

La réforme constitutionnelle du 5 juillet 2000 avait changé le mode d’élections du Président, passage du suffrage universel direct à la majorité des trois cinquièmes de la chambre des députés, soit 61 députés sur 101. Or il est vite apparu qu’une telle majorité de 61 députés était bien souvent extrêmement compliquée à obtenir dès lors que le champ politique est fragmenté. Une fois la période domination du Parti des communistes terminée, entre 2001 et 2009, l’élection d’un Président avait toujours posé d’énormes problèmes. C’est ainsi qu’il avait fallu près de deux ans et demi pour que la Moldavie se dote d’un Président après la démission de Vladimir Voronine, entre septembre 2009 et mars 2012.

Le retour au mode de scrutin présidentiel était une demande forte des manifestants auquel le PSRM accordait un avis très favorable.

L’obsolescence rapide du système partisan en proie à une polarisation forte

Les résultats du scrutin confirment que le système partisan moldave se caractérise par une obsolescence politique rapide, avec des partis nombreux, jeunes et faiblement enracinés, constitués à partir de clivage remontant aux années 1990 et 2000.
Les clivages politiques n’ont pas seulement été travaillés par les questions sociales ou sociétales, mais aussi par l’orientation géopolitique, question essentielle pour la Moldavie il y a un quart de siècle comme aujourd’hui. De manière schématique, plus les partis sont proches de la Roumanie, plus ils sont considérés comme « à droite », plus ils sont favorables au développement de relations avec la Russie, plus ils sont considérés comme « à gauche ».

Dans ce cadre, la présidentielle a vu la très faible performance des élites politiques arrivées au pouvoir avec l’Alliance pour l’intégration européenne à l’occasion de ce qui a été appelée la « Révolution Twitter » de 2009 à Chisinau, la capitale. Parmi les candidats présents au premier tour, ni Iurie Leanca (3,1 %), ancien Premier ministre (2013-2015) et centre-droit pro-européen, ni Mihai Ghimpu (1,8 %), ancien Président par intérim (2009-2010) et membre du parti libéral, n’ont obtenu de résultats conformes à leur notoriété et à leur base électorale. Quant à Marian Lupu, ancien Président par intérim (2010-2012), ancien Président du Parlement (2005-2009 et 2010-2013) et autre candidat représentant le Parti démocrate (affilié au Parti socialiste européen et à l’Internationale socialiste), il a décidé de se désister en faveur de la candidate de centre-droit Maia Sandu.

Au-delà du déclin des politiques issus de la précédente majorité de l’Alliance pour l’intégration européenne, il faut observer l’extrême polarisation des électorats au 1er tour : Igor Dodon a failli l’emporter avec 48 % des voix, mais la surprise est venue de la bonne tenue de la nouvelle venue Maia Sandu, avec 38,7 % des suffrages. Les deux principaux candidats ont donc recueilli plus des trois quarts des scrutins dès le premier tour, laissant loin derrière leurs concurrents. Les préférences régionales déjà observées ont persisté : le Nord industriel et les régions à minorités comme la Gagaouzie et les villages bulgares (sud du pays) ont plutôt voté pour les candidats de gauche, tandis que le Sud et le Centre (Chisinau) ont plutôt voté pour les candidats de droite. On a aussi pu constater une très forte mobilisation de la diaspora derrière la candidature de Maia Sandu, à tel point que le stock de bulletins de vote a vite été épuisé dans plusieurs capitales.

Un affaiblissement du message européen pour un Président au pouvoir limité

Fin décembre 2016, quelques jours après son intronisation officielle, Igor Dodon a souhaité enlever des drapeaux européens des bâtiments officiels dont il a la charge, préférant assumer son orientation en faveur de la Russie de Vladimir Poutine.
Il est notable que ces élections marquent une forme de reflux de l’Europe en tant que thème de campagne. Les pro-européens n’ont pas mis en avant ce point autant que par le passé. Et l’époque n’est plus, comme lors des législatives de 2005, à se demander qui parmi les partis politiques est celui qui fait le plus campagne pour un rapprochement avec l’UE, et les valeurs européennes qui y sont accolées.

Ainsi, le candidat de gauche a tâché de récupérer au maximum les voix des minorités ethniques, toujours rétives à se voir disparaître au sein d’une « Grande Roumanie » que les partis unionistes (prônant la réunification entre la Roumanie et la Moldavie, comme avant la Seconde Guerre mondiale) appellent de leurs vœux. Toutefois, le combat pour les minorités sexuelles (LGBT) n’est pas le sien, mais le fruit d’une Europe qui essaie d’exporter ses valeurs « corrompues et décadentes ». Par contraste, loin de faire le choix de l’audace sociétale et de la laïcité, Igor Dodon a opéré un rapprochement avec l’Église orthodoxe (dépendant du Patriarcat de Moscou) pour mettre l’accent sur la défense des valeurs traditionnelles d’une société où la ruralité est une réalité importante. Diverses rumeurs ou fausses informations ont également circulé à l’égard de Maia Sandu au cours de la campagne, sur de supposés soutiens auprès d’oligarques (Ilan Shor), son souhait d’accepter 30000 migrants syriens venus d’Allemagne ou sa vie privée.

L’origine de ce désamour entre l’opinion publique moldave et l’idée européenne apparaît très clairement : il est lié à l’affaire du « milliard volé » qui a entaché la réputation de l’Alliance pour l’intégration européenne à la fin de 2014. En effet, suite à un schéma de détournement de fonds impliquant trois banques moldaves et plusieurs dirigeants politiques, l’opinion publique ne peut que constater l’ampleur de la corruption sévissant dans le pays, qui a perdu à cette occasion l’équivalent de 12 % de son PIB. L’affaire n’a pas été sans conséquence politique puisqu’elle a mené à l’arrestation de l’ancien Premier ministre Vlad Filat, qui était le principal concurrent de l’autre grand oligarque du pays, Vlad Plahotniuc. En octobre 2016, selon les chiffres de l’Institut des politiques publiques de Chisinau, 84 % des sondés pensent que le pays va dans la mauvaise direction. En cas de référendum pour l’adhésion à l’Union européenne, presque autant s’affirment en faveur du oui (38 %) que du non (37,3 %), alors que 52,8 % voteraient pour l’intégration à l’Union économique eurasiatique (et 23,7 % contre).

Si Igor Dodon a fait du rétablissement d’un Partenariat stratégique avec la Russie l’un des premiers points de sa campagne électorale, cela ne signifie pas pour autant la fin de l’orientation européenne de la Moldavie. Il faut tout d’abord rappeler que le Président n’a pas de rôle dominant en Moldavie, dans la mesure où il s’agit d’un système parlementaire. N’ayant pas une majorité des députés ralliés à sa cause, le Président Dodon dispose d’un rôle symbolique fort mais avec des capacités politiques pour le moment limitées. Les élections législatives de 2018 devraient permettre d’éclaircir ce point, voire même plus tôt en cas de dissolution. Pour l’heure, le Président en est réduit à une cohabitation avec le Premier ministre Pavel Filip.

Par ailleurs, au-delà des éléments institutionnels, il convient de rappeler l’importance des structures parallèles du pouvoir, et notamment de l’oligarque Igor Plahotniuc, première fortune de Moldavie et dont l’impopularité atteint des records. En dépit d’un empire aux activités diverses (médias, finances…), il n’a pas été en mesure de se présenter lui-même, mais on lui prête le pouvoir de tirer étroitement toutes les ficelles du jeu politique moldave. Igor Dodon n’est donc ni institutionnellement dominant, ni même l’homme politique le plus influent en Moldavie.

La cohabitation entre le nouveau Président favorable à un rapprochement avec Moscou et le Parlement défendant l’intégration européenne montre combien le pays reste polarisé dans son orientation géopolitique.

Le principal défi du pays en termes de gouvernance concerne pourtant moins l’orientation géopolitique du pays que la question de la corruption, qui mine son développement. La condition carcérale, le pluralisme des médias, le trafic de personnes, les discriminations contre les Roms et les LGBT sont les autres défis en matière de Droits de l’Homme. L’orientation du nouveau Président et l’élection le décembre 2016 d’un nouveau Président en Transnistrie, entité séparatiste de l’Est de la Moldavie, Vadim Krasnosselski, ne suffiront pas à résoudre ce problème qui nécessite une forme de détente russo-américaine. Toutefois, les chances d’une reprise du conflit sont minces et la recherche d’une solution passera par la voie diplomatique.

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