30 novembre 2023 – Tribune collective “Armes chimiques : à quand la fin de l’impunité ?”, publiée sur Mediapart

Tribune collective signée par Patrick Baudouin, Président de la LDH

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Aujourd’hui et comme chaque 30 novembre, à  l’occasion de la Journée internationale du souvenir des victimes de guerres chimiques, nous commémorons l’ensemble des victimes des armes chimiques à travers le monde. C’est l’occasion de dénoncer les États criminels qui contreviennent au droit international en continuant d’en employer, notamment à l’encontre de civils, ainsi que les multinationales complices qui les produisent et les fournissent pour toujours plus de profits.

Dans quelques mois, le 7 mai 2024, auront lieu les plaidoiries du procès en appel de Trần Tố Nga, résistante franco-vietnamienne âgée de 81 ans victime de l’agent orange, un herbicide employé comme arme chimique pendant la guerre du Vietnam, contre les 14 multinationales qui l’ont produit et fourni à l’armée étatsunienne. Ce procès historique initié en France en 2014 est la seule possibilité pour cette victime, une parmi des millions, de pouvoir obtenir justice en condamnant les industriels ayant produit et fourni un poison à l’armée étatsunienne pendant la guerre. Les armes chimiques sont bien souvent produites en connaissance de leur pouvoir de toxicité et utilisées en toute impunité.

Ce dernier mois, c’est l’usage de phosphore blanc par l’armée israélienne à Gaza qui a pu être rapporté et documenté par différents médias et ONG des droits humains (Human Rights Watch, Amnesty International).

Cette arme chimique s’enflamme au contact de l’oxygène produit une chaleur allant jusqu’à 1300°C provoquant des brûlures graves que l’eau ne peut atténuer, mais aussi des dommages respiratoires, des défaillances et lésions organiques, etc.

Israël avait déjà fait usage de cette arme incendiaire. Également utilisée, entre autres, en Ukraine par la Russie, au Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan, ou encore en Irak par les États-Unis (à Fallujah en novembre 2004), elle n’est pourtant pas considérée comme interdite par le droit international si elle ne cible pas les populations. Or, son emploi semble presque systématiquement être détourné pour engendrer des blessures graves aux conséquences psychologiques durables parmi les populations civiles.

Le phosphore blanc n’est pas sans rappeler l’usage du napalm par les États-Unis au Vietnam, une essence gélifiée qui brûle gravement et colle à la peau des victimes. La Guerre du Vietnam est considérée comme la première guerre chimique de l’histoire : non pas seulement à cause du napalm, largement connu du grand public, mais du fait des épandages d’agent orange dont Trần Tố Nga a été victime. Ce sont près de 80 millions de litres d’herbicides, dont en majorité l’agent orange, qui ont été déversés entre 1961 et 1971 avec pour objectif de détruire la végétation et débusquer les résistant-es vietnamien-nes, détruire les récoltes agricoles, empêcher les approvisionnements. Aujourd’hui encore au Vietnam, près de 50 ans après la fin de la guerre, on décompte plus de 3 millions de victimes sur 4 générations touchées par des malformations, des cancers, des maladies cardiaques, etc. Par ailleurs, 20% des forêts du sud du Vietnam et 400 000 ha de terres agricoles ont été détruites.

L’utilisation d’agent orange constitue un crime de guerre et a permis à Arthur Galston de théoriser pour la première fois en 1970 la notion d’écocide.

Ni les gouvernements successifs étatsuniens ni les industriels qui l’ont produit n’ont reconnu leurs responsabilités. Seuls les vétérans étatsuniens ont été indemnisés, à hauteur de 180 millions de dollars en 1984, une liste de maladies liées à l’agent orange étant officiellement reconnue par les Etats-Unis, attestant d’une forme de racisme environnemental.

Davantage que des armes utilisées pour gagner une guerre, l’objectif premier des armes chimiques semble être de créer des dommages durables et irréversibles (y compris chez les civils) dont les effets s’expriment bien au-delà des périodes de conflits. C’est le cas de l’agent orange, dont les effets  perdurent à la fois dans les esprits, les corps, le vivant et le non-vivant.

Malgré l’adoption de la Convention pour l’Interdiction des Armes Chimiques (CIAC) en 1993 et son entrée en vigueur en 1997, rien ne semble avoir changé : des Etats continuent de s’affranchir du droit international, même lorsqu’ils ont ratifié la convention, et jouissent d’une impunité quasi-totale.

Avant comme après l’adoption de la CIAC, de nombreux exemples d’usage d’armes chimiques ont été répertoriés, souvent dans des contextes asymétriques, voire parfois coloniaux et impérialistes : l’usage de gaz moutarde par l’Espagne dans le Rif (1921-26), par l’Italie en Ethiopie (1935-36), par l’Egypte pendant la Guerre du Yémen, par l’Irak pendant la première guerre du Golfe ou contre les civils kurdes, etc.

En Syrie, entre 2011 et 2018, ce sont le gaz sarin et le chlore qui ont été massivement employés par l’armée de Bachar Al-Assad contre les populations du pays. En 2013 par exemple, l’attaque de la Ghouta orientale (autour de Damas) au gaz sarin a fait au moins 1400 morts et des milliers de blessés. Dans ce tableau sombre, il y a parfois quelques lueurs d’espoir pour les victimes survivantes : le 14 novembre dernier, la justice française a émis un mandat d’arrêt international à l’encontre du président syrien et d’autres responsables pour complicité de crimes contre l’humanité en raison de ces attaques chimiques. Ce mandat d’arrêt est aussi et avant tout le fruit du travail d’ONG syriennes.

L’enjeu de cette journée du 30 novembre, c’est obtenir justice pour les victimes des armes chimiques à travers le monde, leur indemnisation et des réparations, et le cas échéant, la décontamination des terres. Mais aussi la condamnation des responsables afin de prévenir l’usage futur de ce type d’armes.

Ce sont des crimes qui se répètent, dont les victimes semblent souvent oubliées. Aujourd’hui, c’est l’occasion de rappeler, les dommages profonds occasionnés par ces armes, de  dire aux  millions de victimes vivantes ou non qu’elles font partie de notre mémoire collective. Les occasions sont rares de les évoquer.

D’ici le procès en appel du  7 mai prochain,  nous continuerons de dénoncer les armes chimiques tel que l’agent orange et ses terribles conséquences sanitaires, sociales, et environnementales. Nous continuerons de demander la condamnation des  criminels qui les produisent, les livrent ou les emploient.  Soyons nombreux-ses à apporter notre soutien à Trần Tố Nga dans son procès historique en appel contre les multinationales qui font des profits au détriment des populations civiles et de leur futur. Le Collectif Vietnam-Dioxine, qui a pour mission de soutenir les victimes de l’agent orange, vous espère à ses côtés pour continuer de mener ces combats et faire condamner les artisans de la souffrance et de la mort, et sera solidaire de toutes les victimes des armes chimiques.

Signataires : Nadège Abomangoli, Députée LFi de la Seine-Saint-Denis ; William Acker, juriste ; Marine Bachelot Nguyen, autrice et metteuse en scène ; Patrick Baudouin, président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Roland Biache, la Ligue des Droits de l’Homme ; Béné, militante écologiste et créatrice de contenus @benecologie  ; Annah Bikouloulou, secrétaire nationale des Jeunes Ecologistes ; André Bouny, fondateur du Comité international de soutien aux victimes vietnamiennes de l’Agent Orange, initiateur du procès Tran To Nga. Écrivain ; Youcef Brakni, militant des quartiers populaires ; Valérie Cabanes, juriste internationaliste  ; Marie Coquille-Chambel, doctorante et co-fondatrice du #MeTooThéâtre ; Gérard Daviot, président Association d’Amitiés Chevilly Larue-Yen Bai ; Thomas Dossus, sénateur Écologiste ; Antoine Dubiau, doctorant en géographie ; Malcom Ferdinand, chercheur ; Sylvie Ferrer, députée FI-NUPES, 1ère circonscription des Hautes-Pyrénées ; Richard Hanna, développeur et podcast Techologie ; Guy Kulitza, ex Convention Citoyenne pour le Climat ; Hubert Julien-Laferrière, député ; Dr. Christophe Lafaye, chercheur associé au laboratoire LIR3S, université de Bourgogne ; L’AntiStream, streameur ; Frank Lao @decolonisonsnous, auteur ; Hélène Luc, sénatrice honoraire, ancienne Vice Présidente de la commission des affaires étrangères et de la Défense du Sénat ; Lumi, vidéaste ; Grace Ly, autrice ; Maïa Missri, Docteur en pharmacie et autrice d’une thèse sur les armes chimiques ; Akim Omiri, humoriste ; Mathilde Panot, présidente du groupe parlementaire LFI-NUPES ; Kelsi Phung, artiste ; Pauline Rapilly Ferniot, conseillère municipale écologiste ; Louis Raymond, journaliste ; Sandrine Rousseau, députée de Paris ; Alain Ruscio, historien ; Annick Suzor-Weiner, universitaire ; Thérèse, artiste ; Angélica Tisseyre-Sékiné, Artiste de scène ; Zaka Toto, écrivain et éditeur ; Marie Toussaint, membre du Parlement européen (Les Verts/ALE) ; Trần Tố Nga ; Usul, vidéaste/chroniqueur ; Vipulan Puvaneswaran, militant écologiste ; Benjamine Weill, autrice et intervenante sociale

Organisations : Alternatiba ; Association d’Amitiés Chevilly Larue-Yen Bai ; BDS France ; BDS 42 ; Collectif Cases Rebelles ; Collectif Vietnam-Dioxine ; Comité de soutien à Trần Tố Nga ; Coordination gegen BAYER-Gefahren ; Corps Dissidents ; Association Couserans-Palestine ; Extinction Rebellion France ; FaAOD – Fonds d’alerte contre l’Agent Orange/Dioxine ; Féministes contre le cyberharcèlement ; FLED (Front de lutte pour une Écologie Décoloniale) ; Groupe parlementaire des députés La France insoumise – NUPES ; Génération·s ; La France insoumise ; LDH (Ligue des Droits de l’Homme) ;  Orange DiHoxyn ; Collectif La Sève ; Collectif MAGMA ; Nouveau Parti anticapitaliste ; Union Générale des Vietnamiens de France ; Réseau internationaliste Serhildan ; Union Syndicale Solidaires ; Voix Déterres ; Youth for Climate France ; Youth for Climate Paris ; Zéro Chlordécone Zéro Poison

La liste complète est disponible en cliquant ici.

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