Appel urgent de l’observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme concernant les journalistes Omar Radi, Imad Stitou et Soulaiman Raissouni

Nouvelles informations
MAR 005 / 1219 / OBS 115.5
Condamnation /
Détention arbitraire /
Harcèlement judiciaire /
Dégradation de l’état de santé
Maroc
26 juillet 2021

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, un partenariat de la FIDH et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), a reçu de nouvelles informations et vous prie d’intervenir de toute urgence sur la situation suivante au Maroc.

 

Nouvelles informations :

L’Observatoire a été informé des condamnations des journalistes Omar Radi, primé à plusieurs reprises pour son travail [1], et qui a notamment couvert les détentions et condamnations des militants du Hirak du Rif en avril 2019 [2], Imad Stitou, qui traite de sujets relatifs aux droits humains, et Soulaiman Raissouni, ancien rédacteur en chef du journal indépendant arabophone Akhbar Al Yaoum [3], ainsi que de la poursuite de la détention arbitraire de ces deux derniers, également membres de l’Association marocaine des droits humains (AMDH).

Le 19 juillet 2021, Omar Radi a été condamné en première instance par la chambre criminelle de la Cour d’appel de Casablanca, lors d’une audience publique, à six ans de prison ferme pour les chefs de « viol et atteinte à la pudeur d’une femme avec violence », et pour « atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat » ainsi qu’à 200 000 dirhams (environ 18 824 Euros) de dédommagement au profit de la partie civile. Imad Stitou, également poursuivi pour complicité dans la composante agression sexuelle de l’affaire, a été condamné après requalification des faits à un an de prison dont six mois ferme pour « non déclaration d’un crime aux autorités» et «non assistance à personne en danger » ainsi qu’à une amende de 5 000 dirhams (environ 470 Euros) et à payer 20 000 dirhams (environ 1882 Euros) des 200 000 dirhams du dédommagement total octroyé à la plaignante.

L’Observatoire souligne que l’accusation visant M. Stitou survient suite à un revirement de position du parquet et par suite du juge d’instruction lorsque la défense de M. Radi a demandé à ce qu’il soit entendu comme témoin à décharge, alors que la plaignante ne l’a jamais accusé.

Le 9 juillet 2021, Soulaiman Raissouni a quant à lui été condamné en première instance par le Tribunal d’appel de Casablanca à cinq ans de prison et 100 000 dirhams (environ 9 462 Euros) de dédommagement au profit du plaignant, pour « viol ». Son procès s’est tenu en son absence. En effet, très affaibli par presque cent jours de grève de la faim, Mr. Raissouni avait demandé à être transporté au Tribunal en ambulance et fauteuil roulant, ce que l’administration pénitentiaire lui a refusé, niant la détérioration de son état de santé. Après avoir vu sa demande rejetée définitivement, M. Raissouni y a renoncé et a fait valoir son droit d’assister à l’audience. Il a néanmoins été laissé sans raisons dans sa cellule, et un procès-verbal falsifié a été rédigé affirmant que Soulaiman Raissouni a refusé d’assister à son procès. Ses avocats ont donc quitté l’audience, considérant que son droit à un procès équitable n’était pas respecté. Ils ont déposé un recours pour faux en écriture publique suite à la falsification du procès verbal, resté sans réponse, et M. Raissouni a interjeté appel du jugement.

Suite à sa condamnation, Omar Radi a été reconduit à la prison d’Oukacha où il reste arbitrairement détenu. Imad Stitou reste quant à lui en liberté provisoire, dans l’attente d’un verdict définitif.

Placés dans des cellules individuelles Omar Radi et Soulaiman Raissouni, lui aussi incarcéré à Oukacha, n’ont pas le droit de rentrer en contact avec les autres détenus, même pendant les promenades. Dans le contexte de la crise sanitaire liée au Covid-19, leurs conditions de détention sont préoccupantes. Omar Radi, atteint de la maladie de Crohn et asthmatique, n’a pas accès à un suivi médical approprié et ce malgré les risques engendrés par la pandémie. Le virus a par ailleurs servi de prétexte pour interdire les visites familiales pendant plusieurs semaines. Elles sont maintenant autorisées une fois par mois. Cependant, alors que son état de santé ne cesse d’inquiéter ses proches, la famille et les avocats de Soulaiman Raissouni ne peuvent lui rendre visite depuis plusieurs semaines, l’administration pénitentiaire prétendant qu’il refuse de sortir de sa cellule. Cela fait déjà plusieurs mois que l’administration pénitentiaire nie l’état de santé de Soulaiman Raissouni, allant jusqu’à publier des vidéos prises à son insu au mois de mai 2021, visant à prouver que sa situation n’est pas critique.

L’Observatoire rappelle qu’Omar Radi a été arrêté le 29 juillet 2020 et placé en détention préventive à la prison d’Oukacha, à Casablanca pour « réception de fonds étrangers dans le but de porter atteinte à la sécurité intérieure de l’État » et pour « viol ». Ces accusations découlent, respectivement, d’une enquête pour espionnage présumé dans le cadre de laquelle il est soupçonné d’être impliqué « dans une affaire d’obtention de financements de l’étranger, en relation avec des services de renseignement » et d’une plainte pour viol déposée à son encontre auprès de la gendarmerie royale de Casablanca pour des faits s’étant produits dans la nuit du 12 au 13 juillet 2020. M. Radi, pour protester contre sa détention arbitraire, a mené une grève de la faim de 21 jours en avril 2021, qu’il a dû suspendre après une détérioration significative de son état de santé.

L’Observatoire rappelle également que Soulaiman Raissouni a été arrêté le 22 mai 2020 à Casablanca et a également été placé en détention provisoire à la prison d’Oukacha, pour «attentat à la pudeur avec violence et séquestration» suite à un message anonyme publié sur les réseaux sociaux l’accusant de tentative de viol suivis d’une plainte déposée contre lui, accusations qu’il a toujours réfutées. Le 8 avril 2021, Soulaiman Raissouni a entamé une grève de la faim illimitée pour protester contre sa détention arbitraire et revendiquer son droit à un procès équitable. Au moment de la publication de cet appel urgent, M. Raissouni était en grève de la faim depuis 107 jours.

L’Observatoire condamne fermement les condamnations de MM. Stitou, Radi et Raissouni, ainsi que la poursuite de la détention arbitraire de ces deux derniers, qui ne visent qu’à sanctionner leurs activités légitimes de défense des droits humains. L’Observatoire s’inquiète par ailleurs des risques que la grève de la faim que poursuit M. Raissouni fait peser sur sa santé et du manque de transparence de l’administration pénitentiaire à ce sujet.

L’Observatoire appelle les autorités marocaines à libérer immédiatement et inconditionnellement Omar Radi et Soulaiman Raissouni et à garantir le respect de leur droit à un procès équitable.

Actions requises :

L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités marocaines en leur demandant de :

i. Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et le bien-être psychologique d’Omar Radi, Imad Stitou et Soulaiman Raissouni, ainsi que de l’ensemble des défenseurs des droits humains au Maroc ;

ii. Garantir l’accès d’Omar Radi et Soulaiman Raissouni aux soins et aux médicaments nécessaires à l’amélioration de leur état de santé ;

iii. Garantir à Omar Radi et Soulaiman Raissouni l’accès à leurs avocats et à leurs proches en toutes circonstances ;

iv. Libérer immédiatement et inconditionnellement Omar Radi et Soulaiman Raissouni, ainsi que l’ensemble des défenseurs des droits humains arbitrairement détenus au Maroc ;

v. Mettre un terme à toute forme de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, contre Omar Radi, Imad Stitou et Soulaiman Raissouni, ainsi que contre l’ensemble des défenseurs des droits humains au Maroc, afin qu’ils puissent exercer leurs activités sans entraves ni peur de représailles ;

vi. Mener une enquête prompte, exhaustive, impartiale et transparente à propos des allégations de mauvais traitements à l’encontre d’Omar Radi et Soulaiman Raissouni.

Adresses :

  • M. Nasser Bourita, Ministre des affaires étrangères et de la coopération du Maroc. Email : ministere@maec.gov.ma
  • M. Mohamed Ben Abdelkader, Ministre de la justice du Maroc. Email : ccdh@ccdh.org.ma
  • M. Mustapha Ramid, Ministre d’état chargé des droits de l’Homme du Maroc. Email : contact@didh.gov.ma
  • Mme. Amina Bouayach, Présidente du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), Email : cndh@cndh.org.ma
  • S.E. M. Omar Zniber, Représentant permanent du Royaume du Maroc auprès de l’Office des Nations Unies à Genève et des autres Organisations Internationales en Suisse Email : maroc@mission-maroc.ch
  • S. E. M. Alem Menouar, Ambassadeur, Mission du Royaume du Maroc auprès de l’Union européenne. Belgique. Email : mission.maroc@skynet.be

Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques du Maroc dans vos pays respectifs.

Paris-Genève, le 26 juillet 2021

Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toutes actions entreprises en indiquant le code de cet appel.

L’Observatoire, partenariat de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseurs des droits de l’Homme victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible. La FIDH et l’OMCT sont membres de ProtectDefenders.eu, le mécanisme de l’Union européenne pour les défenseurs des droits de l’Homme mis en œuvre par la société civile internationale.

 

[1] Omar Radi a reçu, en 2013, le premier prix du journalisme d’investigation IMS-AMJI (International Media Support – Association marocaine pour le journalisme d’investigation) pour une enquête sur l’exploitation des carrières de sable au Maroc co-réalisée avec M. Christophe Guguen. En 2015, il a été lauréat de la Thomson Reuters Foundation.

[2] Le mouvement populaire, ou Hirak, du Rif est un mouvement contestataire émanant du Rif, dans le nord du Maroc et ayant lieu depuis octobre 2016. La répression du mouvement et les lourdes condamnations de certains manifestants (jusqu’à 20 ans de prison) ont été critiquées par les organisations nationales et internationales de droits humains. Voir par exemple le communiqué de presse de la FIDH publié le 28 juin 2018.

[3] Akhbar Al Yaoum (« Les nouvelles du jour ») est un quotidien arabophone indépendant marocain fondé en 2009. Après des années de harcèlement de la part des autorités marocaines, la direction du quotidien a annoncé le 15 mars 2021 que le journal allait cesser de paraître. Cette décision fait suite à des difficultés financières ainsi qu’à l’emprisonnement du directeur de la publication du journal, Taoufiq Bouachrine en février 2018 puis de son rédacteur en chef Soulaiman Raissouni pour des affaires de viol qu’ils nient catégoriquement.

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