Questionnaire aux candidats à l’élection présidentielle

Réponse de Lionel Jospin

SOCIAL

Quelles mesures entendez-vous prendre pour restreindre les licenciements décidés au seul profit des actionnaires ?

Il ne faut pas confondre liberté d’entreprendre et liberté de licenciement. La loi de modernisation sociale contient des avancées essentielles pour que les entreprises recherchent effectivement toutes les solutions qui évitent les licenciements, et, lorsqu’il n’y a pas d’autre alternative, que les salariés bénéficient des mesures de reclassement et les bassins d’emploi de compensations économiques. La droite a combattu cette loi avec virulence. Je demanderai au gouvernement de la faire appliquer avec fermeté. Au-delà, je lui demanderai aussi de rechercher avec les partenaires sociaux les mesures nécessaires pour s’assurer que les licenciements économiques ne puissent pas être dictés par la seule volonté de majorer les profits. Il ne s’agit pas d’entraver les entreprises, mais de faire respecter le droit au travail, qui est aussi un principe fondamental de notre République. Ma conviction profonde est que lorsque l’on défend les droits des salariés, on aide au développement économique de notre pays ; c’est cette philosophie qui continuera à m’inspirer demain.

Quelles mesures proposez-vous pour établir la citoyenneté sociale des salariés dans les entreprises ?

Il faut équilibrer le pouvoir dans l’entreprise. L’entreprise moderne n’appartient pas seulement à ses actionnaires. Ceux-ci apportent leur capital, ce qui leur donne des droits. Mais les salariés apportent leur travail et leurs compétences : ceci doit aussi leur donner un droit de regard sur le fonctionnement et les décisions de l’entreprise. C’est pourquoi je suis favorable à ce que les salariés soient représentés dans les conseils de surveillance. Ce thème sera abordé dans le dialogue, plus global, entre le gouvernement et les partenaires sociaux.

Quelles mesures entendez-vous prendre pour assurer un logement aux personnes aux ressources les plus faibles ? Plus généralement comment comptez-vous assurer à tous un véritable service public du logement ?

Il y a deux sujets distincts. L’urgence absolue est de donner un toit à tous les sans-abris. « Zéro SDF », c’est un mot d’ordre que je revendique. La grande pauvreté est toujours présente alors que notre société est riche : il y a aujourd’hui près de 100.000 SDF recensés ; 10.000 dorment dans la rue chaque jour. Cette situation est profondément choquante. Je ne m’y résous pas : dans une France juste, chacun a droit à un toit, à un logement décent. Je souhaite une mobilisation politique et faire de la lutte contre la grande pauvreté une priorité nationale. Certains disaient que l’exclusion était la grande « oubliée » de cette campagne : ce n’est plus le cas. Certains se plaignent de projets trop similaires : voilà une différenciation.

Mais je ne me limite pas à un mot d’ordre. Il reviendra naturellement au gouvernement de mettre en œuvre les mesures appropriées. Je fixe d’ores et déjà des orientations précises. Il y a deux difficultés principales à résoudre pour donner un toit aux sans-abris. D’abord, on ne sait pas les loger. Il y a un problème quantitatif : on manque de places. Je propose un programme quinquennal de construction et de réhabilitation des centres : l’objectif est 50.000 lits supplémentaires. Il y a aussi un problème qualitatif : les SDF en déshérence nécessitent des structures spécialisées – il y en a peu et elles doivent être rénovées. Ensuite, on ne sait pas aller chercher les sans-abris dans la rue. Le problème, c’est que les administrations ne sont pas équipées sociologiquement pour établir le contact avec cette population. Il faut des spécialistes, des psychologues, des militants de la rue. C’est pourquoi je propose une nouvelle méthode : l’État passera des conventions avec les associations spécialisées pour piloter ces missions. Il en existe déjà, il faut les généraliser et y consacrer des moyens financiers très supérieurs. Je propose que les modalités soient arrêtées en commun avec les associations, à l’issue d’une conférence nationale. Le formidable potentiel de générosité qui existe, avec ces bénévoles qui militent dans les associations de lutte contre l’exclusion, peut permettre de vaincre la grande pauvreté. Sincèrement, je crois que c’est possible.

Plus généralement, je souhaite que l’habitat insalubre soit supprimé et la qualité des logements nettement améliorée, pour une charge plus abordable. Je demanderai au gouvernement d’étudier la possibilité de mettre en place, à l’instar de la couverture maladie universelle, une « couverture logement universelle » (CLU), facilitant l’accès et le maintien des locataires dans leur logement, et garantissant mieux aux propriétaires la couverture de leurs frais et le revenu des loyers.

Un des principaux obstacles à l’accession au logement est son coût d’entrée : le dépôt de garantie, la caution, voire les frais d’agence peuvent représenter de nombreux mois de loyer, à payer d’avance. Ce coût d’entrée est prohibitif pour les jeunes couples ou les foyers à revenu modeste. La CLU doit permettre de lever cet obstacle. Il reviendra au gouvernement, en concertation avec les professionnels et les partenaires sociaux, d’arrêter les modalités concrètes de la CLU : avance des fonds aux locataires, création d’un fonds de garantie au profit des bailleurs contre les risques liés à la location (travaux de remise en l’état à la fin du bail, impayés), modulation éventuelle en fonction du revenu…

Vous engagez-vous à maintenir le système de retraite par répartition ? Comptez-vous favoriser une deuxième modalité d’épargne complémentaire dans le domaine des retraites, si oui, sous quelle forme ?

Mon premier objectif est de maintenir le niveau des retraites, ce que l’on appelle le taux de remplacement. C’est un engagement que je prends. Mon second objectif est de préserver les retraites par répartition. Elles sont le gage de la solidarité nationale entre les générations : les actifs d’aujourd’hui cotisent au profit des retraités d’aujourd’hui. Je propose plusieurs pistes : l’accroissement du fonds de réserve des retraites, créé par mon gouvernement, afin que les économies actuelles (les régimes sont en excédent) financent les retraites de demain ; le retour à l’emploi des travailleurs de plus de 50 ans, dont le chômage est un gâchis pour l’économie et un gâchis pour le financement des retraites ; une plus grande liberté de choix pour la cessation d’activité, afin que ceux qui le souhaitent puissent travailler au-delà de l’âge légal de 60 ans.

Vous engagez-vous à réformer la loi de 1975 sur les handicapés et comment comptez-vous mettre en œuvre pleinement la solidarité nationale en leur faveur ?

Une mission d’étude vient de remettre un rapport à mon gouvernement pour modifier la loi de 1975 et mettre en œuvre une réforme de la solidarité nationale à l’égard des personnes handicapées. La politique que nous avons menée à cet égard a été ambitieuse. Je souhaite la poursuivre, si je suis élu, en mettant en oeuvre cinq principes :

– Accentuer l’intégration des personnes handicapées dans la vie scolaire ordinaire dès le plus jeune âge et dans le milieu du travail, ordinaire et protégé ;
– Rendre la vie en société plus accessible dans tous les domaines ;
– Améliorer l’accompagnement, en augmentant l’accès aux services d’auxiliaires de vie et aux aides techniques ;
– Développer la recherche et la prise en charge des handicaps rares ou complexes ;
– Mettre en place des aides plus personnalisées pour mettre fin à des disparités et des injustices de traitement selon les causes du handicap.

La loi sur la couverture médicale universelle a permis de réduire l’inégalité d’accès aux soins. Comment comptez-vous assurer un égal accès aux soins compte tenu des disparités territoriales ?

Je souhaite garantir une égalité d’accès aux soins pour tous sur tout le territoire. Il faudra réduire les inégalités géographiques, en offrant une meilleure prise en charge des malades et en coordonnant l’intervention des différents professionnels de santé. La régionalisation permettra de réduire ces inégalités à travers un pilotage unifié de l’offre de soins. Des agences régionales de santé (ARS) seront créées à cet effet réunissant l’État et l’Assurance maladie et dont les compétences couvriront l’hôpital, le médico-social et les soins de ville.

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