Proposition de loi sur la présomption d’innocence

Lettre de la LDH adressée à la ministre de la Justice, au président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, aux présidents de groupes parlementaires, ainsi qu’à 9 député(e)s

Madame la Ministre,
Monsieur le Président,
Madame la Députée,
Monsieur le Député,

La LDH a pris connaissance de la proposition de loi tendant à compléter la loi du 15 juin 2000.

La LDH regrette, tout d’abord, que des modifications de la loi sur la présomption d’innocence soient envisagées sous la pression de démarches corporatistes ou au gré des évènements médiatiques.

De plus, les modifications proposées nous conduisent à penser que la plupart d’entre elles recèlent des dangers.

La modification des critères de placement en garde à vue, par le recours à la notion de « raison plausible » au lieu et place « d’indice faisant présumer » introduit une appréciation subjective qui fait dépendre la décision de placement en garde à vue d’autre chose que d’indices objectifs. Sous réserve de ce que sera l’interprétation de la Cour de Cassation, il en résulte une extension des possibilités de garde à vue.

Si la nouvelle rédaction de la première partie de l’avertissement donné à une personne mise en examen ne soulève pas de difficultés particulières, la seconde partie constitue une mesure de pression et porte atteinte à la présomption d’innocence. Affirmer que se taire risque de porter préjudice dès lors qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner la personne gardée à vue conduit à inverser la charge de la preuve. Il faut ici rappeler que l’article 14-3 g du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule que nul ne peut être forcé à témoigner contre lui-même.

L’allongement des délais dans lesquels le Procureur de la République doit être prévenu du placement en garde à vue (3 heures maximum) n’est pas acceptable. Il en résulte une possibilité de décalage entre l’heure exacte de mise en garde à vue et celle notifiée au Parquet. A cet égard, l’argument selon lequel cette facilité serait rendue nécessaire par l’impossibilité de joindre à tout moment le Parquet ne nous paraît pas recevable : on ne saurait faire dépendre une mesure de garantie des libertés individuelles de déficiences de l’administration, à les supposer d’ailleurs exactes.

La possibilité de prolonger la détention provisoire si « il est reproché à une personne plusieurs délits punis d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à deux ans » pose deux sortes de problèmes : d’une part, on peut craindre des détournements possibles dès lors qu’il suffira de morceler les motifs de mise en examen pour rendre applicable cette disposition. D’autre part, et si cette disposition, dans son imprécision rédactionnelle, vise des procédures distinctes, il s’agit d’une violation manifeste de la présomption d’innocence. Dans cette hypothèse, en effet, la situation d’une personne serait aggravée au seul motif qu’elle serait soupçonnée de plusieurs délits sans que sa culpabilité ait été reconnue. Cette mesure paraît donc entachée d’anticonstitutionnalité.

Enfin, en ajoutant à la notion d’autorité parentale l’exclusivité de celle-ci, la proposition de modifier l’article 145-5 du Code de procédure pénale revient à vider de sens la volonté initiale du législateur. L’autorité parentale conjointe étant la règle, cela signifie que, dans la majorité des cas, les restrictions apportées à la mise en détention provisoire ou à la prolongation de cette dernière ne trouveront pas à s’appliquer. De plus, en confiant aux services compétents le soin de rechercher les mesures propres à éviter que la santé, la sécurité et la moralité d’un mineur soient mises en danger, et non plus le soin de rechercher ce qui permet d’éviter l’incarcération du parent, cette mesure inverse les préoccupations initiales du législateur. Elle conduira, comme avant au placement des mineurs en foyer ou en famille d’accueil.

Si l’article 5 du projet ne suscite pas d’opposition de principe, nous vous demandons, en revanche, de ne pas approuver les autres dispositions.

Je vous prie de croire, Monsieur le Député, en l’assurance de mes meilleurs sentiments.

Michel TUBIANA, président de la LDH

Paris, le 17 janvier 2002

Lettre adressée à

* Marylise LEBRANCHU, garde des Sceaux
* Bernard ROMAN, président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale
* Jean-Marc AYRAULT, président du groupe Socialiste
* Alain BOCQUET, président du groupe Communiste
* Bernard CHARLES, président du groupe Radical, Citoyen et Vert
* Jean-Louis DEBRE, président du groupe RPR
* Philippe DOUSTE-BLAZY, président du groupe UDF-Alliance
* Jean ROSSI, président du groupe Démocratie libérale et Indépendants
* Serge BLISCO, député
* François COLCOMBET, député
* Julien DRAY, député
* Laurence DUMONT, députée
* Christine LAZERGES, députée
* Catherine PICARD, députée
* Dominique RAIMBOURG, député
* Michèle RIVASY, députée
* Yvette ROUDY, députée

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