Lettre ouverte du président de la LDH à François Fillon contre l’extradition de Marina Petrella

Paris, le 10 juin 2008

Monsieur le Premier Ministre

Vous avez décidé, par un décret qui lui a été notifié hier dans sa prison, d’extrader Marina Petrella. Il est de mon devoir de vous demander aujourd’hui de ne pas procéder à cette extradition.

Marina Petrella a été condamnée en Italie il y a quinze ans à la réclusion à perpétuité, pour des faits dont nul ne conteste la gravité mais qui ont eu lieu il y a plus de vingt-cinq années, et après avoir déjà subi huit ans de « détention provisoire ». La justice italienne l’a alors laissée sortir libre du prétoire, et elle s’est réfugiée en France sur la foi de la promesse faite au nom de la République française d’accorder l’asile à tous ceux qui rompraient définitivement avec la violence. Promesse de même inspiration que celle qui conduit aujourd’hui le Président de la République à proposer l’asile à des membres des FARC, quelle que soit la gravité de leurs crimes tout récents, pour aider à la libération d’Ingrid Betancourt : la fin de certaines tragédies est à ce prix.

Marina Petrella s’est donc installée, au vu et au su de tous, dans notre pays. Elle a pris, arrivant en France en 1993, l’engagement de rompre avec tout usage de la violence, conformément aux conditions posées alors par la France pour lui offrir l’asile.

Titulaire, depuis dix ans, d’une carte de résident, elle a fondé dans notre pays une famille et y a exercé la profession d’assistante sociale. Tous ceux qui l’ont approchée depuis quinze ans ont dit, unanimement, le caractère irréprochable de sa conduite.

Si elle est aujourd’hui en prison à Fresnes et menacée d’extradition, c’est parce qu’en 2002 la France a renié sa parole en inscrivant les réfugiés italiens sur le « fichier Schengen » : à l’occasion d’une démarche banale dans un commissariat de police l’été dernier, elle a été arrêtée et le processus qui détruit aujourd’hui sa vie et celle de ses proches s’est mis en marche.

Il n’est pas question une seconde d’approuver les actes commis en Italie lors des « années de plomb », ni ceux des membres des Brigades rouges souvent lourdement condamnés, ni ceux de l’extrême droite italienne qui, après avoir fait dix fois plus de morts, jouissent toujours de l’impunité. Mais, Monsieur le Premier Ministre, un quart de siècle a passé. Un quart de siècle ! Huit années de prison, l’exil, et ce calvaire qui dure depuis des mois, n’est-ce encore pas assez ? En quoi le fait de briser la vie de toute une famille aura-t-il encore, aujourd’hui, le moindre sens, qu’il s’agisse des droits des victimes de l’ensemble des violences commises de part et d’autre il y a trente ans ou de l’ordre public français ? Et la parole donnée au nom de la France peut-elle être reniée sans injustice, dès lors que ceux qui y ont cru ont, pendant tant d’années, scrupuleusement respecté les conditions qu’elle a posées en les accueillant sur son sol ?

Il y a pire encore. Marina est aujourd’hui dans un état de santé d’une extrême gravité. Elle a subi des semaines d’hospitalisation qui ont inspiré les plus vives inquiétudes aux médecins qui ont tenté de la soigner. Or, Monsieur le Premier Ministre, la convention d’extradition franco-italienne comporte une clause humanitaire que la simple équité commande d’appliquer à son cas.

La Ligue des droits de l’Homme n’a pas protesté lorsque Maurice Papon, condamné à dix années de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l’humanité, a été remis en liberté en raison de son âge et de son état de santé. Mais comment comprendre que la mansuétude dont la République a fait preuve vis-à-vis de l’auteur d’un crime imprescriptible ne puisse s’appliquer à une femme qui, à l’évidence, ne peut être comparée à l’ancien secrétaire général de la Préfecture de Gironde de 1942 sans lui faire insulte ?

Monsieur le Premier Ministre, il est des moments où les contingences politiques et les relations diplomatiques doivent s’effacer devant l’humanité et l’équité. Je ne puis croire que la France puisse ainsi envoyer Marina Petrella, qui a cru en sa parole, à ce qu’il faut bien appeler une mort lente et priver en même temps sa fille âgée de dix ans et le reste de sa famille de la vie digne et honorable qu’ils mènent depuis tant d’années sur notre sol.

C’est pourquoi, au nom de la Ligue des droits de l’Homme et des milliers de citoyens qui ont pris position en ce sens, je vous demande instamment, Monsieur le Premier Ministre, de ne pas procéder à l’extradition de Marina Petrella. En conscience.

Vous comprendrez, j’en suis sûr, que l’urgence et la gravité des circonstances présentes me conduisent à rendre publique la présente lettre.

Veuillez agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de ma haute considération.

Jean-Pierre DUBOIS, Président de la LDH

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