Lettre au premier ministre Monsieur Jean Pierre Raffarin

Monsieur Jean-Pierre RAFFARIN

Premier Ministre

Ministre de l’Intérieur

Hôtel Matignon

Monsieur le Premier Ministre,

Le 22 janvier 2002, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe adoptait une recommandation concernant les procédures d’expulsion des étrangers.

L’Assemblée affirmait notamment être « fortement préoccupée par le nombre de décès résultant des méthodes utilisées dans l’exécution des procédures d’expulsion forcée dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. (…) Ces décès sont de tristes exemples de ce qui peut arriver de pire pendant une procédure d’expulsion. (…) L’Assemblée estime que (…) la multiplication des incidents lors des expulsions montre qu’il ne s’agit pas d’événements isolés.(…). Trop souvent, les agents chargés de l’exécution des expulsions recourent à la force de manière injustifiée ou abusive, voire dangereuse ».

Le 30 décembre dernier, M. Ricardo BARRIENTOS, de nationalité argentine, décédait dans l’avion qui devait le reconduire, sous escorte policière, à Buenos Aires.

Ce drame intervient alors que notre association fait état dans de très nombreux rapports, et ce depuis plusieurs années, des multiples témoignages d’étrangers se plaignant de brutalités et de violences policières lors des tentatives d’embarquement forcé à l’aéroport de Roissy.

A chaque fois, les responsables du ministère de l’Intérieur, et notamment ceux de la Police aux Frontières, mettent en doute la réalité de nos allégations, évoquent l’absence de preuves et reprochent aux associations leurs propos outranciers et le discrédit qu’elles jettent sur les fonctionnaires de police.

La multiplicité et la régularité des témoignages qui nous parviennent nous amènent cependant à penser qu’il n’y a aucun doute sur l’existence de pratiques policières inadmissibles lors des tentatives d’embarquement forcé, et que, très probablement, ces faits n’ont rien d’exceptionnel.

Le ministre de l’Intérieur a affirmé à plusieurs reprises qu’il ne resterait pas sans réagir face à des « bavures » ou à des dérapages des forces de sécurité. Sur les conditions de renvoi forcé des étrangers, il nous semble que cette pétition de principe doive se traduire concrètement par des mesures précises permettant de mettre un terme à une situation qui n’a que trop duré:

Ces mesures doivent permettre tout d’abord la transparence.

Le parquet de Bobigny a ouvert une enquête sur les conditions et les causes du décès de M. BARRIENTOS.. Parallèlement, les services du ministère de l’Intérieur ont très probablement diligenté une enquête interne. Nous vous demandons de donner les instructions pour que les constats et conclusions de cette inspection interne soient rendus publiques sans tarder.

De même, nous vous demandons que soient connues et rendues publiques les instructions pratiques précises qui sont données par leur hiérarchie aux fonctionnaires de police chargés d’exécuter par la contrainte le renvoi et de l’embarquement des étrangers refoulés.

Des mesures doivent également prévenir le développement des pratiques condamnables.

L’Assemblée Parlementaire recommandait la création d’un contrôle indépendant des procédures d’expulsion, à même de « mener des enquêtes impartiales et approfondies, à tous les niveaux, en cas d’allégation de mauvais traitements ». La Commission nationale de déontologie de la sécurité, créée par la loi du 6 juin 2000, serait susceptible, par ses attributions, de répondre à cette recommandation.

Le Premier Ministre a le pouvoir de la saisir. Nous vous demandons d’user de ce pouvoir et de lui demander de développer un travail spécifique sur les conditions de renvoi des étrangers.

Vous pourriez, dans votre saisine de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, lui demander d’une part de mettre à jour la réalité des nombreuses allégations de brutalités policières, et d’autre part d’élaborer des propositions ou recommandations visant à remédier aux manquements constatés – consignes données aux fonctionnaires de police, pratiques mises en place et développées, modalités du contrôle de ces pratiques, formation spécifique de ces fonctionnaires, etc..- au regard notamment des recommandations adoptées par l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe.

Confiant dans votre attachement au respect de la dignité de toute personne, et dans l’attente de la suite que vous voudrez bien donner à notre démarche, nous vous adressons, Monsieur le Premier Ministre, l’assurance de notre parfaite considération,

Pour l’ANAFE

Hélène GACON

Présidente

PS : au moment de vous faire parvenir ce courrier, nous apprenons qu’un ressortissant somalien est à son tour décédé, le 16 janvier dernier, lors d’un refoulement. Ce nouvel épisode ne fait qu’aviver nos inquiétudes.

Paris, le 20 janvier 2003

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