Communiqué de la LDH concernant le condamnation de l’éditeur Léo Scheer

Le 19 février, le procureur de la république de Carpentras a requis contre l’éditeur Léo Scheer une peine de prison de six mois avec sursis et une amende de 15 000 euros pour la publication du roman de Louis Skorecki, Il en entrerait dans la légende. Le procureur va ainsi dans le sens de l’action pénale engagée par le président de l’association « Promouvoir », Bernard Bonnet, magistrat à la cour administrative d’appel, de Lyon, ex-élu MPF puis candidat MNR, qui s’est signalé déjà dans de nombreuses actions visant à censurer des œuvres : l’installation de Jean-Marc Bustamante à Carpentras, le film Baise moi de Virginie Despentes, le roman Plateforme de Michel Houellebecq, poursuivi également devant le Tribunal correctionnel de Carpentras, lequel avait refusé de condamner ce roman au motif qu’il s’agissait d’une oeuvre littéraire. L’éditeur est poursuivi au motif que ce livre serait un message pornographique et violent constituant une atteinte à la dignité des mineurs, une incitation des majeurs à la débauche des mineurs, et une provocation des majeurs à exercer des atteintes sexuelles sur les mineurs.

Ce réquisitoire est scandaleux, à la fois par sa violence, et par la confusion dangereuse qu’il opère entre fiction et réalité. Il fait fi de la spécificité des œuvres et prétend faire comme si un roman était un message, et qu’il devait être lu littéralement. Or un personnage de roman ou de film est fictif : il n’existe pas autrement que dans l’œuvre.

S’il tient des propos racistes, ou s’il raconte sa vie de pédophile, ces propos n’ont ni le même sens ni la même portée que s’ils s’étaient tenus par un citoyen s’exprimant dans l’espace public.

Il serait absurde de condamner pénalement des propos qui n‘existent que sur le papier : cela reviendrait à assimiler l’auteur à son personnage, à le confondre avec son œuvre. Or représenter, évoquer, n’est pas approuver.

Une oeuvre ne se lit pas comme un discours rhétorique, elle n’est pas là pour convaincre, mais pour représenter.

Elle n’est pas réductible à une seule interprétation, que ce soit celle de réactionnaires d’extrême droite ou d’un représentant de l’Etat. Les tribunaux n’ont ni vocation ni compétence en matière de jugement artistique.

Si l’auteur évoque un comportement déviant, il ne saurait, pour autant, être poursuivi pénalement. Décider du contraire reviendrait à interdire la représentation du crime (non seulement la pédophilie, mais aussi la drogue, le racisme, la violence) dans un livre, dans un film, dans une peinture, ce qui conduirait à interdire ou à sanctionner non seulement une grande partie de l’art de notre époque, mais l’art et la littérature antiques, l’art de la renaissance, l’art moderne. Toute décision de condamnation conduirait à vider les rayons des bibliothèques et des librairies, interdire la plupart des expositions, des films et des émissions de télévisions. Le débat et la réflexion sur la violence dans l’art ne peuvent passer par le tribunal correctionnel, sous peine d’y faire comparaître également Apollinaire, Baudelaire, Corneille, Delacroix, Dickens, Dostoïevski, Dumas, Hugo, Picasso, Platon, Racine, Sade, Shakespeare, Suétone …

Les tribunaux et le législateur doivent protéger la liberté de création et d’expression.

Paris, le 25 février 2003

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