Avis relatif aux travaux de l’Union européenne sur l’asile et au Sommet de Laeken

Avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme

A la veille de la prochaine réunion du Conseil européen au Palais de Laeken, les 15 et 16 décembre 2001, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) estime nécessaire de se pencher sur les enjeux de cette rencontre au cours de laquelle les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne doivent évaluer les progrès réalisés en matière de droit d’asile depuis le Sommet de Tampere en octobre 1999.

Dans son avis du 6 juillet 2001 sur l’asile en France, la CNCDH demandait à être « informée de l’état des discussions et de l’évolution des textes avant qu’ils ne soient achevés », et recommandait que « le gouvernement la saisisse des textes inscrits à l’ordre du jour des négociations pour lui permettre de réagir à temps lors de leur élaboration ». Elle demande aujourd’hui au Premier ministre qu’il la saisisse, dans les mêmes conditions qu’à l’occasion du Sommet de Tampere, de toute proposition de texte exprimant la position française concernant le Sommet de Laeken, et présente dès maintenant les recommandations suivantes.

I. La CNCDH souhaite que le Sommet de Laeken confirme les conclusions de Tampere, en réaffirmant l’importance que l’Union et ses Etats membres attachent au respect absolu du droit de demander l’asile ainsi que leur volonté de mettre en place un régime d’asile européen commun fondé sur l’application intégrale de la Convention de Genève respectant le principe de non-refoulement.

Lors du Sommet de Nice en décembre 2000, le respect du droit d’asile dans l’Union européenne a été consacré dans l’article 18 de la Charte européenne des droits fondamentaux aux termes duquel le droit d’asile « est garanti dans le respect des règles de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés et conformément au traité instituant la Communauté européenne ».

Au-delà du rappel d’engagements solennels, les Etats doivent veiller à ce que le respect du droit d’asile soit effectivement garanti, en assurant notamment l’accès des réfugiés au territoire de l’Union et à des procédures d’asile simples et équitables. La CNCDH demande que les Quinze se conforment à cette exigence dans l’examen des textes concernant l’asile, et notamment des propositions élaborées par la Commission européenne.

II. Le Conseil Justice, Affaires intérieures et protection civile (JAI) examine actuellement quatre propositions importantes :

– La proposition visant à prendre le relais de la Convention de Dublin ou règlement « établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile » ;
– La proposition concernant les conditions d’accueil ou directive « relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile » ;
– La proposition concernant la définition du réfugié et la protection subsidiaire ou directive « établissant des normes minimales relatives aux conditions […] pour pouvoir prétendre au statut de réfugié […] ou de personne qui, pour d’autres raisons, a besoin d’une protection internationale » ;
– La proposition sur les procédures ou directive relative à « des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres ».

La CNCDH considère qu’eu égard à l’état d’avancement des textes et à la solidarité de tous les aspects de l’exercice du droit d’asile et des questions qui s’y rapportent, il est extrêmement souhaitable que ces quatre propositions de la Commission européenne soient examinées simultanément, dans un délai aussi rapproché que possible.

III. Toutefois, sachant que les travaux du Conseil JAI sur la proposition de directive concernant la procédure ont progressé plus rapidement et pourraient aboutir à un accord des ministres sur certaines questions et orientations à l’occasion de leur réunion des 6 et 7 décembre 2001, la CNCDH veut attirer plus particulièrement aujourd’hui l’attention sur cette proposition, tout en regrettant que l’examen de la question de fond essentielle des critères d’éligibilité au statut ait été reporté à plus tard.

Dans son avis du 6 juillet 2001, la CNCDH se félicitait, à propos du projet de directive sur les procédures, des garanties énoncées notamment dans les considérants introductifs et le chapitre II « Principes de base et garanties fondamentales » : information préalable et continue du demandeur tout au long de la procédure, assistance gratuite d’un conseiller et/ou d’un interprète à tous les niveaux permettant un véritable débat contradictoire, possibilité de saisir en dernier ressort et de façon suspensive le juge en cas de décision défavorable, possibilité de communication des associations et du HCR, obligation de motivation des décisions.

Mais, d’autre part, la CNCDH contestait certaines dispositions contraires aux garanties énoncées par les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Aujourd’hui, elle souhaite rappeler et préciser certaines de ses observations et émettre les réserves suivantes au sujet de la proposition de la Commission européenne concernant les procédures d’asile.

1. La CNCDH déplore que cette proposition retienne la notion de « pays tiers sûr » [1], notion qui pourrait être opposée à un demandeur d’asile lors de l’examen de la « recevabilité » de sa demande et qui empêcherait que celle-ci soit étudiée sur le fond avant le renvoi vers ce pays.

Le dispositif ainsi envisagé ne permet pas de garantir que le pays vers lequel serait renvoyé un demandeur d’asile lui offrirait une protection effective et durable : en effet, un pays tiers pourrait être déclaré sûr aux termes de cette proposition de directive selon des critères particulièrement flous notamment si les normes de droit international relatives à la protection des réfugiés et aux droits de l’homme y sont respectées « en règle générale » [2], « s’il y a lieu de penser » que le demandeur y sera réadmis et « si rien ne porte à croire » que ce pays n’est pas sûr [3]. Ce concept de « pays tiers sûr » n’est d’ailleurs pas admis par la pratique administrative et la jurisprudence françaises en matière d’asile.

La CNCDH recommande que le gouvernement confirme son opposition à la possibilité de juger irrecevable une demande d’asile au seul motif qu’il existerait un « pays tiers sûr » susceptible d’accueillir le demandeur.

2. La CNCDH est également opposée à la notion de « pays d’origine sûr » [4] qui permettrait d’examiner au fond une demande d’asile selon « une procédure accélérée ». Le ressortissant d’un tel pays verrait alors ses garanties fortement restreintes : l’entretien personnel ne serait pas systématique et le recours n’aurait pas d’effet suspensif.

Pour qu’un pays d’origine soit déclaré « pays sûr » selon la proposition de directive, il doit, parmi d’autres critères, observer « en règle générale » les normes internationales fondamentales relatives aux droits de l’homme [5].

La CNCDH recommande la suppression de la notion de « pays d’origine sûr » qui, instituant une inégalité de traitement entre les demandeurs d’asile, n’est pas compatible avec l’article 3 de la Convention de Genève qui dispose que « les Etats contractants appliqueront les dispositions de cette Convention sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d’origine ».

3. La CNCDH accueille avec satisfaction l’affirmation de la Commission européenne selon laquelle « des règles sur les procédures d’asile n’ont aucun sens si les personnes qui souhaitent obtenir la protection d’un État membre ne peuvent obtenir un accès effectif à la procédure d’asile de cet État […] » [6].

Mais elle s’inquiète de la volonté de certains Etats membres, parmi lesquels la France, d’exclure la procédure aux frontières de l’application de la directive.

La CNCDH souhaite que l’accès aux procédures ne soit pas entravé et rappelle sa recommandation en faveur d’une procédure unique applicable dès l’arrivée aux frontières, où seule l’autorité responsable de la décision relative à l’octroi du statut de réfugié [7] serait compétente, y compris à la frontière, pour apprécier si une demande d’asile est, ou non, « manifestement infondée ».

4. La CNCDH s’inquiète de l’extension des critères permettant de juger une demande manifestement infondée, sachant que la proposition de directive contient des motifs non prévus par la conclusion n°30 du Comité exécutif du Haut commissariat aux réfugiés [8].

La CNCDH recommande, si la notion de « demande manifestement infondée » devait être confirmée, que seuls les critères retenus par le Comité exécutif du HCR soient admis.

5. Tout en énonçant, comme on l’a vu, un certain nombre de garanties de procédure, la proposition de la Commission européenne prévoit néanmoins des exceptions et notamment, dans certains cas, la suppression de l’effet suspensif du recours.

La CNCDH recommande le renforcement des garanties dans la procédure ordinaire et plus spécialement encore dans les cas où serait apprécié le caractère « manifestement infondé » d’une demande d’asile. Elle réaffirme que toute décision de rejet d’une demande d’asile, qu’elle intervienne à la frontière ou sur le territoire de l’État, doit pouvoir faire l’objet d’un recours suspensif, sans exception.

Avis adopté le 23 novembre 2001

[1] Article 18 de la proposition de directive du Conseil.
[2] Annexe I de la proposition de la directive du Conseil.
[3] Article 22 de la proposition de la directive du Conseil.
[4] Article 30 de la proposition de directive du Conseil.
[5] Annexe II de la proposition de la directive du Conseil.
[6] Proposition de directive du Conseil relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres, COM 2000 578, 20 septembre 2000, exposé des motifs p.13.
[7] L’Office français de protection des réfugiés et apatrides en France.
[8] Comité exécutif du HCR, conclusions n°30 (XXXIV), 1983.

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