9 avril 2008 – Discriminations et prescription

Appel signé par de nombreuses organisations dont la LDH

Le 21 novembre 2007, le Sénat a adopté, à son initiative, une proposition de loi ayant pour objet de fixer la prescription des actions personnelles ou mobilières à 5 ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits qui permettent de l’exercer. Ce texte aura donc inévitablement pour effet d’aligner l’ensemble des actions salariales devant les conseils de prud’hommes sur le régime quinquennal de la prescription y compris celles des actions en indemnisation du préjudice, prescrites aujourd’hui selon un délai trentenaire.

Cette réduction du délai de prescription préconisée par la majorité sénatoriale va ainsi heurter de plein fouet les actions en dommages et intérêts contre l’ensemble des discriminations visées par l’article L.122-45 du code du travail, notamment Femmes/Hommes, celles liées à l’origine ethnique, à l’âge, au handicap, à l’orientation sexuelle, à l’appartenance syndicale….

L’expérience démontre que seule la prescription trentenaire a permis de créer un rapport de force favorisant l’action juridique par la négociation ou l’action en justice fondée d’une part sur la demande de réparation intégrale des préjudices subis et d’autre part sur les obligations de faire permettant d’en éviter la réitération. La plupart des juristes et praticiens spécialisés en droit du travail s’entendent pour dire qu’un délai de 5 ans n’est pas suffisamment opérationnel pour établir les faits et les conséquences qui se déduisent d’une discrimination, par nature opaque. La prescription limitée à cinq ans est susceptible de mettre à néant toute la construction jurisprudentielle, aujourd’hui constante, en matière de discrimination. Elle rendrait illusoire la transposition qui doit être accomplie en vue de mettre en conformité notre droit avec le droit communautaire. De ce point de vue, il convient de rappeler que la Commission européenne a engagé à l’encontre de la France trois procédures d’actions en manquement dont deux ont donné lieu à l’envoi d’une mise en demeure et la troisième à l’émission le 27 juin 2007 d’un avis motivé.

La proposition de loi adoptée par le Sénat ne figure pas encore à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale. Or le 25 mars 2008 sera examiné par les députés un projet de loi visant une transposition effective des directives européennes en matière de discrimination, transposition qui seule évitera à la France une condamnation des autorités communautaires. Ce débat parlementaire ouvre ainsi le champ des possibles pour interpeller le gouvernement sur le dysfonctionnement législatif qui découlerait de l’adoption d’un texte, ultérieur ou concomitant, qui réduirait à 5 ans la prescription de toutes les actions en discrimination. Une telle opération, opaque sur le plan des techniques parlementaires, ferait discrètement le lit des propositions du MEDEF et des ultras de la majorité libérale qui estiment que la prescription trentenaire crée une trop grande incertitude pour la gestion prévisionnelle des profits des entreprises. Ces arguments font craindre le pire !

La réduction à 5 ans du délai de prescription pour les actions en discriminations serait un message clair adressé aux employeurs : certes la discrimination resterait interdite en droit ; en fait, elle pourrait perdurer puisque la contraction des délais de prescription indiquerait aux chefs d’entreprise qu’ils n’auraient à courir qu’un très faible risque financier en persévérant dans la transgression de la loi. Maintenir les diverses inégalités de traitement illicites n’ouvrirait que sur une sanction financière, éventuelle et minorée, tout en bénéficiant du « pas vu / pas pris » si fréquent en droit du travail. C’est la prescription trentenaire qui, jusqu’à ce jour, a permis la réparation intégrale du préjudice sur le long terme et a favorisé la négociation.

Le plus souvent, pour établir la discrimination, il faut pouvoir examiner le déroulement de la carrière et faire des comparaisons avec d’autres salariés de l’entreprise se trouvant dans une situation comparable à l’embauche. C’est le résultat de cette comparaison qui permet de mesurer la différence de traitement entre personnes discriminées et celles qui ne le sont pas.

Nous pouvons résumer notre point de vue commun en indiquant que la réduction de la prescription à cinq ans rendrait inopérante la lutte pour l’égalité de traitement et contre les discriminations et inutile le débat à l’Assemblée Nationale sur la loi de transposition effective des textes communautaires qui est à l’ordre du jour le 25 mars 2008.

La proposition de loi du Sénat s’inscrit aujourd’hui dans un contexte général de graves atteintes portées aux dispositions protectrices de la législation du travail.

Ces préconisations comme les arguments qui les justifient font fi des principes démocratiques, et notamment du principe constitutionnel posé par l’article 66 de la Constitution qui fait du Juge le garant des libertés individuelles et du principe des droits de la défense le fondement du règlement loyal et contradictoire des contentieux entre les citoyens.

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