5 mars 2005 – Prison – Santé
Que cesse le scandale du traitement hospitalier des détenus !

Chaque jour en France, des personnes détenues – hommes et femmes –ont besoin d’une consultation à l’hôpital. Cela entraîne 55 000 extractions par an et implique d’accompagner le détenu en convoi, de le surveiller pendant les soins et de le ramener àla prison. Dans le but de prévenir les évasions a décidé, par une circulaire du 18 novembre 2004, que le directeur de l’établissement pénitentiaire pourrait imposer, non seulement le maintien des menottes et des entraves, mais aussi la présence des surveillants pendant l’examen et l’entretien médical. Seules les femmes qui accouchent échappent à ces mesures. Les incidents et les évasions lors des extractions seraient-ils à ce point fréquents ? En 2004, sur un total de dix-sept évasions, quatre ont concerné des détenus extraits pour raison médicale. Soit un risque de l’ordre de 0,007 %… déjà pris en compte puisque, pendant les trajets, les agents en charge de l’escorte avaient la possibilité de menotter les mains dans le dos et de mettre des chaînes aux pieds. La circulaire instaure un niveau de surveillance renforcé inacceptable.

Pourtant, depuis près de dix ans, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) somme la France de changer ses méthodes. Il juge ainsi contraire à l’éthique médicale et au respect de la dignité humaine la façon dont se déroulent les consultations des détenus à l’hôpital. En 2002 puis en 2003, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné notre pays pour traitements inhumains et dégradants du fait de l’utilisation abusive des menottes et entraves. Dans la première affaire, le gouvernement français avait assuré que le requérant n’avait pas été soumis au port des entraves durant les séances de chimiothérapie, et que celles-ci s’étaient déroulées hors la présence des gardiens. Aujourd’hui, ce sont ces pratiques-mêmes que la circulaire de la Chancellerie avalise. Dans la seconde affaire, le détenu était resté enchaîné à son lit d’hôpital durant la nuit précédent une intervention chirurgicale, ce qui l’avait amené à y renoncer.

Pour défendre sa circulaire attaquée par l’Observatoire international des prisons devant le Conseil d’Etat, le ministère de la Justice a prétendu que des aménagements matériels avaient été apportés dans les hôpitaux, permettant d’assurer physiquement la surveillance du détenu lors des consultations, sans pour autant porter atteinte au secret médical. Rien de tel n’existe : la surveillance constante, quand elle a lieu, se traduit par la présence des agents de l’escorte dans le local médical. Cette circulaire porte délibérément atteinte aux principes déontologiques.

Les médecins ne peuvent l’accepter. Car une relation médicale faite de secret, de confidentialité, de subjectivité entre deux personnes est impossible sous un regard extérieur. Renoncer à cette relation, c’est altérer la qualité des soins. Menottes, entraves, présence de surveillants suggèrent l’insécurité et induisent la crainte. La consigne donnée aux chefs d’escorte de présenter au médecin qui conteste les mesures de sécurité employées la fiche comportant le « pedigree » du détenu est tout autant significative : il s’agit d’emporter l’adhésion du soignant quant à l’indignité du patient. La généralisation de mesures de sécurité draconiennes incite d’une part nombre de détenus à refuser les extractions médicales, et d’autre part, les médecins à refuser d’examiner les patients dans de telles conditions.

Sous nos yeux, le statut du patient subit les bouleversements induits par la loi de mars 2002 sur les droits des malades. Il doit désormais être informé, donner son accord dans le processus de décision et des modalités des soins. Les détenus aussi font partie des patients, ils en ont les pleins droits, nous n’y sommes pas encore habitués… De fait, il n’est pas facile d’imposer que les droits du malade prévalent sur les missions pénitentiaires. A qui donc appartient le malade détenu ? « C’est un malade, il n’est pas à vous » dit le docteur. « C’est un détenu, il est à moi » dit le directeur de la prison. Or, depuis 1994, la médecine en prison a été inscrite dans le système général de santé, placé sous la responsabilité du ministère concerné. Comment arbitrer en sachant que le ministre de la Justice tient les clefs de la contrainte que ne possède pas son homologue de la Santé ? Aujourd’hui, garanti par une morale internationale, par des lois nationales, par une évidence éthique qui fédère, le droit d’accéder aux soins et le statut de malade s’imposent quelle que soit la personne, amie ou ennemie, proche ou étrangère, criminelle, égoïste ou méritante.
Dans un Etat de droit, la règle n’encadre pas l’inacceptable, elle le proscrit. Rappelons ici la position du CPT, qui demandait en mai 2000 à la France « que toute consultation médicale de même que tous les examens et soins médicaux effectués dans les établissements hospitaliers civils se déroulent hors de l’écoute et – sauf demande contraire du personnel médical soignant relative à un détenu particulier – hors de la vue des membres des forces de l’ordre » .
Que les menottes et les entraves soient imposées par les gardiens ou demandées par des soignants inquiets, parfois craintifs par manque d’expérience, de formation ou d’encadrement, elles n’en deviennent pas acceptables. On risque de trop surveiller, de ne pas assez soigner. De même, la présence de l’escorte pendant l’examen doit être interdite. Même si sa mission est de surveiller, aucun professionnel pénitentiaire ne doit avoir pour autant légitimité pour tout voir tout savoir de l’intime et du privé de l’autre sous l’excuse de quelque nécessité publique que ce soit.

Parce qu’il est inhumain, dégradant et indigne de soigner dans ces conditions, la circulaire doit être retirées et des solutions admissibles publiquement débattues. La sécurité « anti-évasion » doit être assurée à l’extérieur du local médical. Il est indispensable de mieux former et soutenir médecins et infirmières pour qu’ils ne se croient pas en insécurité et empêcher qu’une éventuelle peur ne se traduise par la violation des droits de leurs patients sous écrou. Des aides-soignants, capables de conforter dans le secret lié à leur statut et leur éthique, la sécurité relationnelle des consultations, doivent être disponibles à la demande des médecins ou infirmières. Pour diminuer le nombre des extractions, la pratique des permissions de sortir pour examens médicaux doit être développée, ainsi que la mobilité des spécialistes vers la prison qui disposeraient de matériels appropriés et d’un temps médical suffisant. Il est enfin nécessaire que les organisations de soignants, les médecins et les associations de patients considèrent la défense de la dignité des patients détenus, quels que soient les motifs de leur incarcération, comme un combat emblématique du droit de tous les malades. Un droit délibérément fragmenté, inégalement appliqué, qu’une administration peut modifier de son propre chef pour tel ou tel malade, n’est plus un droit. Si elle ne s’applique pas pour certains, la loi est viciée pour tous.

Dans une société amenée parfois à renoncer aux risques de la liberté pour la tentation lancinante du risque zéro, pour les extractions médicales des détenus pourraient être un précédent dangereux pour le principe – de plus en plus menacé, voire de plus en plus démodé – du secret médical. Il n’impose pas seulement la discrétion sur une confidence ou une information professionnelle, il représente aussi et surtout un certain idéal. Nos gouvernants doivent prendre solidement position pour garantir les principes éthique d’exercice des soins auprès des malades détenus.

Paris, le 8 mars 2005

Vous pouvez signer le manifeste en ligne :
tp://www.oip.org/actualite/actu.htm

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