29 septembre 2005 – Droit d’asile – Femmes Droit d’asile pour les femmes persécutées en tant que femmes !

Communiqué du groupe Asile Femmes – GRAF

La Convention de Genève définit le réfugié comme « toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

Cette définition est donc sexuellement neutre, mais n’interdit en aucun cas de reconnaître que le motif ou le type de persécution subi ou craint peuvent être dus au sexe ou au genre. C’est parce qu’elles sont des femmes que certaines femmes sont l’objet de violences spécifiques (mariages forcés, viol, exploitation sexuelle, violences conjugales, mutilations génitale etc.). C’est aussi en tant que femmes que celles qui transgressent ou refusent les lois, normes, rôles, contraintes, discriminations qui leur sont imposées sont persécutées ou craignent de l’être. La persécution ce sont- nous nous appuyons sur les explicitations du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) – les menaces « contre la vie et la liberté », mais aussi les « violations graves des droits humains » et les « discriminations » « lorsqu’elles conduisent à des conséquences gravement préjudiciables à la personnes ».

En France c’est l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) qui reconnaît le statut de réfugié ou octroie la protection subsidiaire. Le ou la réfugiéE se voit délivrer une carte de résident de 10 ans, la personne qui obtient la protection subsidiaire une carte temporaire de un an. En cas de refus de l’OFPRA il est possible de faire appel à la CRR (Commission des recours des réfugiés).

Droit d’asile à la frontière

Les personnes étrangères arrivant à la frontière sans les documents nécessaires sont placées en zone d’attente avant leur ré acheminement, mais peuvent demander leur admission sur le territoire au titre de l’asile. Aujourd’hui la quasi totalité de ces demandes sont estimées ’manifestement infondées’. En outre les persécutions spécifiques vécues par les femmes sont purement et simplement exclues des critères d’accès au territoire comme ne « relevant pas de la problématique de l’asile » alors même que l’OFPRA et la CRR, selon leur jurisprudence, pourraient leur reconnaître le droit d’asile.

• Nous demandons donc que le Bureau Asile à la frontière de l’OFPRA et le ministère de l’intérieur appliquent au moins la doctrine de l’OFPRA , la jurisprudence de la CRR et les critères de l’octroi de la protection subsidiaire pour admettre sur le territoire les femmes susceptible de déposer une demande d’asile en raison de persécutions sexistes.

Les persécutions visant plus spécifiquement les femmes doivent être intégrées dans le champ d’application de la convention de Genève

Les femmes peuvent craindre d’être persécutées pour les mêmes motifs et dans les mêmes circonstances que les hommes (selon la Convention de Genève : ’race, religion, nationalité, opinion politique’), mais ces persécutions peuvent prendre des formes particulières à l’encontre des femmes (viol de guerre, harcèlement sexuel, torture sexuelle, stérilisation ou grossesse forcées…). Des femmes peuvent être persécutées ou craindre de l’être en raison du statut, des activités ou des opinions d’un membre de leur famille. Les persécutions dues à des prises de positions ou à une action en faveur de la liberté et des droits des femmes, que cet engagement se manifeste de façon individuelle ou collective, doivent être considérées comme une « opinion politique » au sens de la Convention de Genève.

Les persécutions fondées sur ’l’appartenance à un certain groupe social’ dans la jurisprudence française

La CRR a reconnu dans plusieurs décisions récentes l’appartenance de femmes à un groupe social comme motif de persécution du fait d’un mode de vie jugé transgressif par rapport à la norme sociale en vigueur dans leur pays. Il s’agit dans ces décisions de femmes refusant le mariage forcé et les mutilations génitales. La CRR a aussi reconnu comme groupe social des personnes persécutées dans certains pays du fait de leur orientation sexuelle.

Cependant l’acception de ce motif apparaît encore très restrictive. La CRR ne reconnaît comme groupe social qu’ « un ensemble de personnes circonscrit et suffisamment identifiable ». Quant au Conseil d’Etat il considère qu’un groupe social se définit par le risque de persécutions, organisées, encouragées ou tolérées par les autorités, encouru par ses membres.

Le HCR : une définition beaucoup plus large du groupe social

Le HCR considère que « un certain groupe social est un groupe de personnes qui partagent une caractéristique commune autre que le risque d’être persécutées, ou qui sont perçues comme un groupe par la société. Cette caractéristique sera souvent innée, immuable, ou par ailleurs fondamentale pour l’identité, la conscience ou l’exercice des droits humains ». En outre ce motif « appartenance à un certain groupe social » doit être « compris dans un sens évolutif, ouvert à la diversité et aux changements de nature des groupes dans différentes sociétés ».

Le HCR a affirmé à plusieurs reprises que dans certaines circonstances, l’appartenance sexuelle s’impose comme caractéristique commune suffisant à identifier le « groupe social ».

Bien entendu, le motif de l’appartenance à un certain groupe social ne suffit pas à lui seul pour justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié : il faut qu’il y ait des persécutions ou des craintes de persécutions pour ce motif et une absence de protection de la part des autorités de l’Etat

Reconnaître que leur Etat ne protège pas les femmes persécutées ou menacées de l’être

Trop souvent, les persécutions visant plus spécifiquement les femmes sont considérées par l’OFPRA ou la CRR comme des « litiges d’ordre privé », notamment quand elles sont exercées dans le cadre familial et interpersonnel.

Or la distinction entre sphère privée et sphère publique est artificielle. Certaines formes de violences, même si elles sont prohibées par la loi et ne sont pas exercées par l’Etat, sont institutionnalisées et systémiques dans les sociétés fondées sur la domination masculine. C’est le cas notamment des violences domestiques, des mutilations génitales féminines, des crimes dits « d’honneur », des violences sexuelles, des mariages forcés… Un choix de vie non conforme aux normes sociales, coutumières, religieuses, ou toute forme d’émancipation (par exemple l’orientation sexuelle, la liberté dans l’habillement, l’occupation de certains emplois) peut également donner lieu à des persécutions exercées par la famille, les proches, le voisinage, des tribunaux parallèles.

Dans certains pays il est des lois ou des dispositifs légaux qui sont en eux mêmes source de persécutions. C’est le cas de certains systèmes pénaux (par exemple les lois qui font de l’adultère ou de l’homosexualité un délit) ou de codes de statut personnel discriminatoires qui justifient des persécutions contre les femmes qui ne s’y soumettent pas.

Le droit d’asile doit être aussi reconnu aux femmes subissant des persécutions ou des menaces de persécutions de la part d’agents non étatiques, si l’Etat dont elles sont ressortissantes ne les en protège pas. L’impunité dont jouissent les auteurs de persécution produit un environnement dans lequel les femmes n’ont pas accès à la protection des instances policières ou judiciaires et savent que s’adresser aux autorités est impossible, vain, voire entraînera des mauvais traitements et des représailles.

L’Etat a l’obligation de garantir la protection des droits humains à toute personne vivant sur son territoire, y compris donc d’intervenir lorsque des atteintes aux droits humains sont commises par des acteurs non étatiques. Si l’Etat ne prend pas les mesures adéquates pour prévenir ou réprimer les atteintes aux droits humains et pour protéger les victimes, il engage sa responsabilité car il manque à ses obligations.

Améliorer l’accueil et les procédures

Nous voulons que l’accueil et les procédures permettent aux femmes demandeuses d’asile d’exprimer et faire reconnaître les violences qu’elles ont subies ou craignent de subir et dont elles sont menacées en cas de retour dans leur pays. Cela nécessite :

• une formation aux questions de genre et aux spécificités de la persécution des femmes pour les officiers de la Police aux frontières, les agents des préfectures, les officiers de protection de l’OFPRA et les membres de la Commission des Recours.

• Une prise en charge médico-psycho-sociale adéquate et la mise en place d’un numéro vert accessible depuis les zones d’attente que les femmes pourraient appeler pour entrer en relation avec une association sensibilisée sur la question des persécutions liées au genre.

• des structures d’accueil et d’hébergement pérennes

• Si une femme demandeuse d’asile le souhaite, elle doit pouvoir être entendue par un officier de protection femme et assistée par une interprète femme lors de ses entretiens avec l’OFPRA, y compris à la frontière.

Nous voulons donc que les persécutions visant spécifiquement les femmes ainsi que les formes spécifiques que peuvent revêtir ces persécutions quel qu’en soit le motif, dans le cas où leur Etat est agent de persécution ou n’exerce pas son devoir de protection, soient prises en compte dans le cadre de l’interprétation de la Convention de Genève. C’est donc bien le statut de réfugié que nous voulons pour les femmes persécutées, et non la seule protection subsidiaire. La France est en retard par rapport à d’autres pays (comme le Canada) qui promeuvent une approche de genre dans l’analyse des persécutions et incluent les persécutions liées à l’appartenance de genre dans leur processus de détermination du statut de réfugié. En outre nous ne pouvons que nous inquiéter de l’établissement d’une liste de ’pays sûrs’ ne serait ce que parce que le droit à la sûreté des femmes risque de ne pas être pris en considération, et de la notion introduite ’d’asile interne’ qui elle aussi peut s’avérer néfaste au droit d’asile. Il nous faut donc agir, de façon coordonnée, pour que la France, l’Union européenne dans son ensemble – car les politique d’asile s’inscrivent dans le cadre communautaire – et chaque pays d’Europe, reconnaissent le statut de réfugié aux femmes persécutées en tant que femmes.

Paris, juillet 2005

Le groupe Asile Femmes – GRAF

(Amnesty International Section française – Cimade – Femmes de la Terre -Ligue des droits de l’Homme – RAJFIRE)

Contacts : femmes-idf@cimade.org – rajfire@wanadoo.fr – fdlt92@club-internet.fr

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