27 octobre 2019 – Tribune “Sur l’enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka”, publiée sur Mediapart

Tribune signée par plusieurs membres de la LDH, dont Malik Salemkour, président, Henri Leclerc, président d’honneur, et Gilles Manceron, membre du Comité central

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54 ans après, les circonstances de la mort de Mehdi Ben Barka ne sont toujours pas élucidées. Aussi bien du côté marocain que français, l’obstacle principal à l’établissement de toute la lumière reste la raison d’Etat érigée en principe intangible. Des personnalités des deux pays demandent aux Etats d’assumer leurs responsabilités afin que la vérité soit enfin établie et appellent à un rassemblement le 29 octobre.

Le 29 octobre 1965 Mehdi Ben Barka est interpellé devant la brasserie Lipp à Paris par deux policiers français. A ce jour, la vérité n’a toujours pas été faite sur les conditions exactes de la disparition de l’un des principaux responsables de l’opposition marocaine et symbole du mouvement international de la solidarité des peuples du tiers-monde.

Ce crime a suscité et continue de susciter une très forte émotion, tant au Maroc qu’en France. Si les responsabilités politiques marocaines à l’origine de l’enlèvement ont pu être établies, si les complicités françaises au niveau des services de renseignements et de police sont reconnues et si les autres implications internationales sont avérées, les circonstances de la mort de Mehdi Ben Barka ne sont toujours pas élucidées et sa sépulture reste inconnue de sa famille.

Depuis octobre 1975, une instruction judiciaire pour assassinat, tentative d’assassinat et complicité est en cours au palais de justice de Paris. Dix juges se sont succédés sur le dossier sans parvenir à apporter des réponses cruciales pour la veuve de Mehdi Ben Barka, ses enfants, ses proches et leur avocat Me Buttin qui entendent connaître la vérité, et, pouvoir, enfin, faire leur deuil.

Aujourd’hui, plus d’un demi-siècle après les faits, l’obstacle principal à l’établissement de toute la lumière reste la raison d’Etat(s) érigée en principe intangible des deux côtés de la Méditerranée face aux exigences de justice et de vérité due à la famille de Mehdi Ben Barka et de l’hommage à sa mémoire. Aussi bien du côté marocain que sans doute du côté français, des témoins en possession d’une part de vérité sont encore en vie, les archives pouvant apporter des réponses doivent encore exister. Mais, les autorités judiciaires marocaines refusent de coopérer pleinement avec les juges d’instruction français en charge du dossier – en exécutant en particulier la Commission Rogatoire Internationale adressée au Maroc depuis septembre 2003, renouvelée au printemps 2005, voici donc près de quinze ans ! Mais les autorités politiques françaises refusent la levée du secret-défense sur la totalité des documents relatifs à l’affaire. Le ministère de la défense refuse même de répondre à la requête du juge d’instruction en charge du dossier de saisir de nouveau la Commission de secret de défense nationale.

Nous ne saurions croire que, en agissant ainsi, les responsables politiques français et marocains pensent pouvoir décourager le juge d’instruction et le pousser à clôturer le dossier. Ce serait ajouter le déni de justice à la douleur et à l’attente de la famille de Mehdi Ben Barka.

Cette situation de blocage est humainement insupportable et politiquement inacceptable. Deux nations comme la France et le Maroc ne doivent pas et ne peuvent plus user d’inertie et de subterfuges pour empêcher le déroulement normal de la justice. Elles se grandiraient en assumant pleinement leurs responsabilités pour que la vérité soit établie et que justice se fasse.

En octobre 2015, à l’occasion d’une cérémonie de commémoration du cinquantième anniversaire de la disparition de Mehdi Ben Barka organisée à Rabat, à laquelle le Roi du Maroc avait souhaité s’associer par un message, il écrivait : « (…) Et bien que cet anniversaire vienne à un moment où de nombreuses questions restent sans réponse, Nous avons tenu à partager avec vous cet événement, sans inhibition ni complexe par rapport à cette affaire, et en témoignage de l’estime dont il jouit auprès de Nous et des Marocains. »

Chacun se rappelle la déclaration faite par le Président Emmanuel Macron lors de sa visite au Burkina Faso le 28 novembre 2017 : « J’ai pris la décision que tous les documents produits par des administrations françaises pendant le régime de Sankara et après son assassinat, … couvertes par le secret de défense nationale soient déclassifiés et consultés en réponse aux demandes de la justice burkinabè ».

Le 13 septembre 2018, après avoir reconnu la responsabilité de l’Etat français dans la disparition de Maurice Audin, et que sa mort a été « rendue possible par un système légalement institué », le président français ajoutait : « (…) il était temps que la Nation accomplisse un travail de vérité sur ce sujet. ». En conséquence « le président de la République souhaite que toutes les archives de l’Etat qui concernent les disparus de la guerre d’Algérie puissent être librement consultées et qu’une dérogation générale soit instituée en ce sens. »

Les familles des victimes et l’opinion ont accueilli favorablement ces avancées. Alors pourquoi n’en serait-il pas de même pour l’affaire Ben Barka, plus d’un demi-siècle après les faits ?

Le temps est venu pour que les plus hautes autorités du Maroc et de la France fassent les gestes justes, prennent les décisions nécessaires et des mesures concrètes qui permettraient d’y parvenir afin que cette affaire sorte de l’impasse dans laquelle elle s’enlise.

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Signataires :

Jean-Marie Delarue, président CNCDH; Henri Leclerc, président d’honneur LDH; Jean Ziegler, vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU; Laila Shahid, ancienne ambassadrice de Palestine en France et en Europe; René Gallissot, historien; Elisabeth Borrel; Fabienne Boulin Burgeat; Gustave Massiah, membre du conseil international du Forum social mondial; †Henryane de Chaponay; Pierre Joxe, magistrat honoraire; Mgr Jacques Gaillot, evêque de Partenia; Nils Andersson, éditeur; Patrick Baudouin, président d’honneur FIDH; Renée Le Mignot, co-présidente du MRAP; Malik Salemkour, président de la LDH; Marie-Claude Vignaud Al Hamchari; Pierre Audin; Mariam Sankara, veuve de Thomas Sankara; Jean-Jacques Patrice Lumumba, petit neveu de Patrice Lumumba, Plate-forme panafricaine de lutte contre la corruption; Lotfi Ben Youssef, médecin, Tunisie; Pierre Mansat, président de l’association Maurice Audin; Benjamin Stora, historien; Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers; Mohammed Berrada, écrivain marocain; Abdellatif Laabi, écrivain; Simone Bitton, cinéaste; Roger Ferrari, syndicaliste; Gilles Manceron, historien; Serge Leperon, cinéaste; Mustapha Majdi, secrétaire du Comité pour la vérité Ben Barka; Fabien Roussel, député, secrétaire national du PCF; Martial Bourquin, sénateur du Doubs; Pierre Laurent, sénateur de Paris; Clémentine Autain, députée LFI; Emmanuel Decaux, professeur émérite; Bertrand Warusfel, professeur à l’Université Paris 8, avocat; Philippe Texier, magistrat honoraire; Erica Deuber Ziegler, historienne de l’art; Tewfik Allal, coordinateur de ACDA; Etienne Balibar, philosophe; Solange Barberousse, universitaire; Huguette Bello, député GDR; Joyce Blau, linguiste, orientaliste; Hayat Bousta, responsable du site “Maroc Réalités”; Saïd Bouamama, sociologue, FUIQP; Mustapha Boutadjine, plasticien; Alain Brunnel, député GDR; Marie-Georges Buffet, députée GDR; André Chassaigne, député GDR; Antoine Comte, avocat à la Cour; Pierre Darrheville, député GDR; Antoine De Bary, artiste peintre; Sylviane De Wangen, CA de Mémoire, vérité, justice; Jacqueline Derens, militante anti-apartheid; Jean-Paul Dufregne, député GDR; Jean-Paul Escoffier, Afaspa; Mireille Fanon Mendès-France, présidente de la fondation Frantz Fanon; Patrick Farbiaz, militant écologiste; Mounir Fatmi, artiste plasticien; François Geze, éditeur; Christiane Gillmann, avocat honoraire; Hassan Hadj Nassar, militante de la gauche marocaine; Aboubakr Jamai, professeur universitaire; Sébastien Jumel, député GDR; François Kakdor, avocat honoraire; Jean-Paul Lecoq, député GDR; François Martinet, écrivain, chercheur; Jean-Luc Nancy, philosophe; Stéphane Peu, député GDR; Bernard Ravenel, historien; Marguerite Rollinde, militante des droits humains; Mounir Satouri, député européen, groupe des Verts; François Sauteray, militant syndical et associatif; Patrick Silberstein, éditeur; Mustapha Tanouti, militant associatif; Joseph Tual, grand reporter; Celina Whitaker, protection sociale solidaire

 
Au Maroc

Omar Balafrej, parlementaire marocain; Abdelilah Benabdeslam, Coordinateur Coalition marocaine des Instances des droits humains; Mohamed Neshnash, ancien président Organisation marocaine des Droits humains; Khadija Ryadi, lauréate du prix de l’ONU (droits de l’Homme), ancienne présidente de l’Ass. Maroc. des D. H.; Mohamed Bensaid Ait Idder, gauche socialiste unifiée (Maroc); Nabila Mounib, secrétaire générale du PSU (Maroc); Ali Boutouala, secrétaire national PADS (Maroc); Mustapha Brahma, secrétaire national Voie démocratique (Maroc); Najib Akesbi, économiste; Abdelhamid Amine, président d’honneur de la Fédération nationale du Secteur Agricole-UMT; Anis Balafrej, ingénieur; Omar Bendjelloun, avocat, universitaire; Abderrahim Berrada, avocat; Abderrahim Jamal, avocat, ancien bâtonnier de Rabat; Fouad Abdelmoumni, secrétaire général de Transparency Maroc; Mohammed Achaari, président de la fondation Abderrahim Bouabid; Sion Assidon, coordinateur BDS Maroc, fondateur Transparency Maroc; Abdelkader Baina, juriste
Abderrahim Ben Barka, avocat, ancien bâtonnier de Rabat; Bichr Bennani, éditeur; Monique Berrada, enseignante; Abdou Berrada, journaliste; Brahim Bouabid, avocat; Ali Bouabid, délégué général de la fondation Abderrahim Bouabid; Rkia El Mossadeq, juriste; Tariq Kabbage, ancien maire d’Agadir (Maroc); Amina Kadiri, militante des droits humains; Mohamed Laroussi, chroniqueur, écrivain; Aziz Loudiyi, interprète; Maâti Monjib, historien, coordinateur Freedom Now; Khadija Tnana, artiste plasticienne

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