27 mars 2023 – Tribune collective “Tribune d’avocats contre le recours aux arrestations préventives et arbitraires” publiée dans le Monde

Tribune collective signée par Patrick Baudouin, président de la LDH

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Ce jeudi 23 mars, le préfet de Police a affirmé qu’« il n’y a pas d’interpellations préventives, ça n’existe pas dans notre pays ». La veille, le Ministre de l’Intérieur a affirmé, à tort, que la participation « à une manifestation non déclarée est un délit qui mérite interpellation ». Nous, avocates et avocats, exprimons notre plus grande préoccupation face à la politique d’arrestations préventives mise en œuvre sous l’autorité du préfet de Police dans le cadre des manifestations contre la réforme des retraites et le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.
Cette réforme, ainsi que les modalités de son adoption au Parlement, ont donné lieu à des mobilisations parmi les plus importantes que notre pays ait connues. Jusqu’à l’annonce par la Première ministre de l’engagement de la responsabilité de son gouvernement, elles se sont déroulées dans le calme. Depuis le 16 mars 2023, près de 900 personnes ont été interpellées et placées en garde à vue dans le cadre de manifestations à Paris. Largement évoquées par la presse, ces arrestations visent indifféremment touristes, promeneurs et manifestants, mineurs pour certains. À la suite de ces gardes à vue qui ont pu durer plusieurs dizaines d’heures, la grande majorité de ces personnes ont bénéficié d’un classement sans suite.
Ces éléments indiquent que le préfet de Police a intégré à sa politique de maintien de l’ordre le recours systématique aux interpellations préventives.
Cependant, d’interprétation stricte, la loi pénale n’autorise le recours à la garde à vue qu’à l’égard de la personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de penser qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction punie d’une peine d’emprisonnement. Force est de constater qu’en refusant de poursuivre les personnes interpellées, l’autorité judiciaire admet l’absence de la moindre infraction constituée à l’égard des intéressés. Les enquêtes journalistiques et les témoignages des personnes interpellées montrent que notre procédure pénale est instrumentalisée au profit d’une politique de maintien de l’ordre pour le moins particulière.
Soit ces arrestations, menées par l’autorité administrative, interviennent contre des individus dont on présume la volonté de commettre une quelconque infraction, elles sont alors préventives ; soit ces arrestations interviennent après qu’une infraction a été commise mais contre des individus pris au hasard dans la foule, elles sont alors arbitraires.
Dans un cas comme dans l’autre, elles sont illégales.
Non seulement cette politique contrevient aux plus essentielles de nos libertés individuelles et collectives, liberté d’aller et venir, liberté de se réunir, liberté de manifester, mais encore, elle dissuade les citoyennes et les citoyens de participer aux manifestations et à la vie démocratique de notre pays.
Nous nous opposons fermement à ces méthodes et appelons le Ministre de l’Intérieur et le préfet de Police à y mettre fin.

Signataires : Arié ALIMI, avocat au Barreau de Paris et membre du Bureau national de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Sophie ALLAERT, avocate au Barreau de Paris ; Patrick BAUDOUIN, avocat au Barreau de Paris, Président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Thomas BIDNIC, avocat au Barreau de Paris ; Thomas BODIN, avocat au Barreau de Paris ; Sophie BONAMOUR, avocate au Barreau de Paris ; William BOURDON, avocat au Barreau de Paris, Ancien Secrétaire de la Conférence ; Vincent BRENGARTH, avocat au Barreau de Paris ; Anne CHIRON, avocate au Barreau de Paris ; Lionel CRUSOE, avocat au Barreau de Paris ; Edouard DELATTRE, avocat au Barreau de Paris ; Léa DORDILLY, avocate au Barreau de Paris, Ancienne Secrétaire de la Conférence ; François EXPERT, avocat au Barreau de Paris ; Nina GALMOT, avocate au Barreau de Paris ; Marie GEOFFROY, avocate au Barreau de Paris ; Inès GIACOMETTI, avocate au Barreau de Paris ; Lisa GIRAUD, avocate au Barreau de Paris ; Elisa GRIMALDI, avocate au Barreau de Paris ; Constance HANNEL, avocate au Barreau des Hauts-de-Seine ; Sabrina HASSAINI RACHID, avocate au Barreau de Paris ; Manon HENRY, avocate au Barreau de Paris ; David KOUBBI, avocat au Barreau de Paris ; Anne-Sophie LAIRD, avocate au Barreau de Paris ; Gaspard LINDON, avocat au Barreau de Paris, Ancien Secrétaire de la Conférence ; Flora MAINARDI, avocate au Barreau de Paris ; Christelle MAZZA, avocate au Barreau de Paris ; Soraya NOUAR, avocate au Barreau de Paris ; Marie OLLIVIER, avocate au Barreau de Paris ; Marion OGIER, avocate au Barreau de Paris et membre du Comité national de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Félix PELLOUX, avocat au Barreau de Paris ; François SAINT-PIERRE, avocat au Barreau de Paris ; Jean-Baptiste SOUFRON, avocat au Barreau de Paris ; Georges TSIGARIDIS, avocat au Barreau de Paris ; Fanny VIAL, avocate au Barreau de Paris, Ancienne Secrétaire de la Conférence ; Hugues VIGIER, avocat au Barreau de Paris
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Elèves-avocats à l’initiative de la tribune :
Elliot BERSEGOL, élève-avocat à l’Ecole de formation des Barreaux du ressort de la cour d’appel de Paris ; Théo LAMBALLE, élève-avocat à l’Ecole de formation des Barreaux du ressort de la cour d’appel de Paris

Paris, le 27 mars 2023

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