2001 – RAPPORT ANNUEL – Lettre ouverte de la FIDH et la LDH à Jacques Chirac et à Lionel Jospin à l’occasion de la visite en France du président syrien (22 juin)

La Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH) et la Ligue des droits de l’Homme (LDH) suivent de près la situation des droits de l’Homme en Syrie, aux côtés des organisations membres de la FIDH : les Comités pour la défense des droits de l’Homme en Syrie (CDF).

A l’occasion de la visite en France du président Bachar El Assad, la FIDH et la LDH ont l’honneur de porter à votre attention plusieurs sujets de préoccupations, dont elles espèrent qu’ils seront à l’ordre du jour de vos échanges. Tous les points abordés ici ont été relevés en avril dernier par le Comité des droits de l’Homme des Nations unies, qui a adressé des recommandations précises aux autorités syriennes.

Peu après son entrée en fonction, en juillet 2000, le président Bachar El Assad a démontré une certaine volonté d’ouverture, d’abord dans son discours d’investiture du 17 juillet, puis par l’adoption de décrets, notamment un décret relatif la libération de 600 prisonniers d’opinion en novembre 2000. La FIDH et la LDH se sont félicitées des récentes libérations, considérant qu’elles marquaient un pas important vers l’élimination de la détention arbitraire, encore très importante en Syrie. Elles demandent cependant une amnistie générale en faveur de tous les prisonniers politiques et d’opinion toujours détenus en Syrie – près de 800 personnes, parmi lesquelles au moins 200 Libanais. Si les 600 prisonniers récemment libérés n’ont pas été privés de leurs droits civils et politiques, ce n’est pas le cas des personnes libérées antérieurement. La FIDH et la LDH considèrent que ces prisonniers d’opinion libérés antérieurement, parmi lesquels Me Aktham Naysse, président des CDF, doivent être rétablis dans leurs droits, notamment leur liberté de mouvement et le droit d’exercer leur profession.

Plusieurs milliers d’exilés volontaires vivent en dehors de la Syrie. Ils ne peuvent y retourner par crainte d’être persécutés, arrêtés ou emprisonnés. Certains d’entre eux ont été condamnés arbitrairement pour leurs opinions tandis que d’autres ont été arbitrairement privés de leur passeport. La FIDH et la LDH souhaitent que les autorités syriennes permettent le retour des exilés volontaires et leur donnent des garanties juridiques quant à leur protection par le biais d’une loi d’amnistie.

Dans les mois qui ont suivi l’investiture de Bachar El Assad, l’on a pu assister à un certain relâchement de la politique sécuritaire en Syrie. Des activités politiques et associatives limitées ont été tolérées et l’on a pu constater un certain frémissement de la société civile avec, notamment, l’apparition de près de 70 forums de discussion. Dès février 2001 cependant, la tendance s’est inversée. Ainsi, par exemple, les autorités syriennes ont imposé une série de conditions préalables, difficilement réalisables, à la tenue de ces forums de discussion. La conséquence immédiate de cette mesure a été la disparition de la quasi-totalité des forums. Cette dernière mesure constitue un recul indéniable et montre que le pays vit un moment de transition extrêmement fragile. La FIDH et la LDH appellent au respect des libertés d’association et d’expression.

La FIDH et la LDH sont également préoccupées par la situation de l’organisation membre de la FIDH, les Comités pour la défense des droits de l’Homme en Syrie (CDF). Depuis leur création, le 10 décembre 1989, les CDF ont rencontré d’innombrables difficultés pour réaliser leur mission de défense des droits de l’Homme dans ce pays. Jusqu’en 1998, ils n’ont pu travailler que dans la clandestinité ou depuis l’exil. Outre le fait qu’ils n’ont jamais pu obtenir de reconnaissance légale de la part des autorités syriennes, plusieurs de leurs militants ont durement payé leur engagement. Toujours interdits aujourd’hui, les CDF se restructurent néanmoins peu à peu depuis 1998, année où leur président, Me Aktham Nayssé, a été libéré après sept années de prison. En 2000, pour la première fois, ils ont pu tenir leur congrès, à huis clos. Un nouveau conseil d’administration, composé de quinze personnes, ainsi qu’un bureau du Conseil, ont alors été élus. Les CDF, seule ONG de défense des droits de l’Homme indépendante en Syrie, demandent à être reconnus légalement et à pouvoir travailler ouvertement, sans être soumis à un contrôle gouvernemental étroit. La FIDH et la LDH insistent avec force pour que ce droit leur soit reconnu, conformément à la Déclaration des Nations unies sur la protection des défenseurs des droits de l’Homme.

Concernant l’état d’urgence en Syrie, la FIDH, la LDH et les CDF regrettent que sa suspension de facto annoncée le 29 janvier 2001 par le ministre de l’Information n’ait pas été confirmée par un décret ou une loi, et que sa durée n’ait pas été précisée. Cette suspension reste donc précaire. Les restrictions imposées depuis février 2001 aux forums de discussion qui ont vus le jour, ainsi qu’aux CDF, confirment cette précarité. A titre d’exemple, le 10 avril 2001, les autorités syriennes ont interdit la tenue d’un séminaire de formation des CDF sur les droits de l’Homme. La FIDH, la LDH et les CDF appellent à la levée complète de l’état d’urgence, en particulier s’agissant de l’exercice de la liberté d’expression et d’opinion.

Enfin, la FIDH et la LDH vous invitent à demander à la Syrie de ratifier sans réserve la Convention contre la torture et la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’encontre des femmes. Ce faisant, la Syrie accomplirait un geste très significatif dans le domaine des droits fondamentaux.

La FIDH, la LDH ainsi que les autres organisations membres sont très préoccupées par le fait que le président Bachar El Assad ait tenu des propos antisémites lors de la visite du Pape à Damas le 5 mai dernier. Elles craignent qu’une telle déclaration ne soit de nature à aggraver la crise déjà vive qui touche la région.

Trop longtemps, la Syrie a joui d’une mansuétude certaine au niveau international, en raison de son rôle important dans la crise du Moyen-Orient. Si le pays doit légitimement récupérer ses territoires illégalement occupés depuis 1967, cette revendication ne saurait occulter les engagements internationaux de la Syrie sur les droits de l’Homme, le droit du peuple syrien à la démocratie et au développement, et des Libanais à une souveraineté pleine et entière.

Dans l’espoir que l’ensemble de ces sujets de préoccupations feront partie des points à l’ordre du jour de vos échanges avec le président syrien, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier ministre, l’expression de notre très haute considération.

Sidiki KABA, président de la FIDH ;
Michel TUBIANA, président de la LDH

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