Pendant deux jours, les travaux du colloque « La Corse en mouvement » ont été suivis, outre par près d’une centaine de membres de la LDH, par 150 à 200 personnes extérieures à la Ligue.
Extraits du texte d’André Paccou, président du comité régional LDH de Corse, publié dans le n°117 d’Hommes & Libertés
Le colloque visait à favoriser le dialogue et la compréhension. Il partait du constat suivant, formulé par la LDH lors de son congrès : « Après l’assassinat du préfet Erignac, l’État a déclenché en Corse une politique répressive de grande ampleur. Pendant 17 mois, son action a dérivé vers l’exception. L’affaire des paillotes aura permis une prise de conscience du gouvernement. Mais très vite, ce sont les attentats de plus en plus dangereux pour les citoyens qui ont repris. Pour sortir de cet énième cycle de violences et de répression, le Premier ministre a décidé l’ouverture d’un dialogue sans préalable. La Ligue des droits de l’Homme se félicite de cette initiative qui permet de reposer la question corse en des termes politiques. La première phase du dialogue s’est conclue le 10 mars 2000 avec l’adoption de deux motions par l’Assemblée de Corse qui toutes deux mettent en perspective un transfert de pouvoir normatif vers cette même assemblée. Un des deux textes se réfère à nouveau à la notion de peuple corse. Ces constats confirment la permanence d’un débat politique qui questionne la Constitution. La LDH est attentive à la question corse. Elle met en place un groupe de travail ad hoc auquel participent les sections corses de la LDH ». C’est ce groupe qui a été chargé de préparer « les bases d’une réflexion collective qui, avant le congrès national, débouchera sur un colloque national en Corse associant notamment des acteurs de la société insulaire ».
Un travail historique nécessaire
Au sortir de ce colloque, il était bien difficile de dire si la Corse avait subi une entreprise de colonisation de la part de la France. Mais peut-être est-il temps de laisser aux historiens le soin de nous éclairer sur ce point. Constatons toutefois qu’un puissant renouveau politique a pris sa source, il y a plus de trente ans, dans un discours anti-colonialiste rappelant notamment, selon les termes de la tribune de Michel Rocard, « Corse : Jacobins, ne tuez pas la paix », parue dans Le Monde du 31 août 2000, que « lorsque Louis XV acheta les droits de suzeraineté sur la Corse à la République de Gênes, il fallut un guerre pour prendre possession de notre nouveau domaine… » ; que la Corse est restée « gouvernement militaire » jusque tard dans le XIXe siècle, avec tout ce que cela implique en termes de légalité républicaine ; que pendant la guerre de 1914-1918, il n’y avait en Corse presque plus d’hommes valides pour reprendre les exploitations agricoles. Les plus jeunes n’ont pas eu le temps de recevoir la transmission des savoir-faire. C’est ainsi qu’ils sont devenus postiers et douaniers ; que c’est donc à ce moment que la Corse devient une économie assistée, ce qu’elle n’était pas auparavant…
Ce retour sur l’histoire douloureuse entre la France et la Corse s’est nourri à son tour de violences. A l’action politique clandestine, l’État a répondu par des moyens d’exception (Cour de sûreté de l’État, législation anti-terroriste) et a voulu mettre au pas le service public d’information (affaire Sampieru Sanguinetti). Au nom de l’État de droit, il a nommé des préfets à poigne (Broissard, Bonnet) et maintenu d’importantes forces de l’ordre.
Aujourd’hui, avec un peu de recul, nous observons que depuis plus de trente ans, un difficile processus de démocratisation est à l’œuvre au travers d’affrontements qui opposent, d’une part, des mobilisations anti-jacobines et anti-claniques ; d’autre part, un État qui a souvent confondu État de droit et droit de l’État et qui s’accommode de certaines mœurs locales, celles-là mêmes qui prônent la loi du plus fort au détriment de l’égalité devant la loi. Étrange paradoxe que celui d’un État qui s’obstine à ne pas reconnaître la singularité corse lorsqu’il s’agit de droits nouveaux pour les citoyens, mais qui sait jouer habilement de certains aspects de cette singularité lorsqu’il s’agit de protéger ses droits.
Car la question corse ne se limite pas au combat contre l’autoritarisme de l’État et le conservatisme social que cet autoritarisme protège. Il y a aussi des mobilisations citoyennes qui parlent d’identité. Dans ces combats, la revendication linguistique occupe une place centrale, mais elle ne résume pas à elle seule la question identitaire. Il y a d’autres expressions identitaires qui révèlent un sentiment d’appartenance à une communauté, des expressions artistiques, comme la polyphonie, ou sociales, la référence au village ou encore les nombreuses associations issues de la diaspora, des savoir-faire traditionnels dans les domaines artisanaux ou agroalimentaires… Pour les Corses, il ne s’agit pas de vouloir maintenir à tout prix des survivances ou de vivre dans la nostalgie, il est question de remettre à l’ordre du jour des référents culturels communs afin de maintenir un vouloir être ensemble. Nombre de ces combats pour la reconnaissance d’une singularité culturelle trouvent leur origine dans un vaste mouvement de renaissance culturelle, le riacquistu, qui a fortement marqué la société corse dans les années 1970.
Aujourd’hui encore, ce mouvement tente de poursuivre sa course. Mais, à force d’essuyer des fins de non-recevoir au nom d’un ordre républicain fondé sur l’uniformité, à force également de tenter de survivre dans un environnement économique sous-développé, il n’est plus à l’abri de crispations identitaires avec de possibles dérives vers le racisme et la xénophobie. Le risque d’une société organisée selon des logiques communautaristes est réel. Pour faire face aux profondes mutations qui travaillent la Corse et pour affronter les graves problèmes de pauvreté et d’exclusions qu’elle rencontre, elle doit s’inventer un nouveau modèle d’intégration. Pour cela, les Corses ont besoin de nouveaux droits. Nous sommes ici au cœur de la question corse qui n’est pas ethnique mais qui exprime une demande de reconnaissance d’une singularité à la fois sociale, culturelle et territoriale. La question corse est celle d’une société globale, d’un peuple sans État, dont la mémoire est surchargée en révoltes et en résistances.
Mais des temps nouveaux s’offrent à nous qui permettent d’espérer raisonnablement, pour peu que de nouvelles volontés politiques s’affirment. La construction européenne et la mondialisation bousculent l’ordre établi par les Etats-nations. Afin de répondre aux défis du siècle qui commence, il nous faut repenser d’autres inscriptions territoriales et culturelles de la citoyenneté.
Un espace euro-méditerranéen
Pour la Corse, par exemple, ces évolutions se traduisent par l’émergence d’un espace euro-méditerranéen, au sein duquel elle déploie une activité para-diplomatique originale. Avec d’autres îles de la Méditerranée occidentale, elle a contribué à la mise en place d’un réseau, IMEDOC, chargé de faire entendre la voix des îles dans un nouveau contexte européen qui rend les régions insulaires peu audibles. Ce regroupement se concrétise par la constitution d’instances de délibération et débouche sur des interventions collectives au sein de l’Union européenne sans passer par les Etats.
Au sein de notre ensemble national, ces évolutions ont pour conséquence de donner plus de force à des demandes de nouvelles responsabilités politiques et de reconnaissance culturelle depuis longtemps exprimées au sein de la société corse, comme l’attestent les nombreux chantiers de la citoyenneté mis en œuvre ces dernières décennies. Pour repérer ces chantiers, il faut en finir avec certaines caricatures qui, sur le continent, sont l’expression d’une défiance vis-à-vis de cet Autre que représente la Corse. Mais nous aussi, les Corses, nous devons convaincre. Pour cela, il nous faut rompre avec les discours de victimisation.
La Corse en mouvement, ce sont de nouveaux droits culturels et politiques reconnaissant au peuple corse sa singularité et des capacités à s’auto organiser dans le cadre d’un État de droit. La question corse est véritablement un chantier républicain.
Thèmes abordés
- Comment la France et la Corse ont-elles vécu ensemble ? Quel statut historique pour la Corse ? – D’Aléria au processus de Matignon, quels développements de la question politique corse ?
- Qu’est-ce qu’être corse ? Culture et identité, le point de vue d’un anthropologue – L’identité corse au risque de l’immigration – Aux origines d’une dépossession culturelle, en Corse, langue et éducation
- Corse, Europe et Méditerranée, quels développements ? Quelle économie en Corse pour les hommes ? – La para diplomatie en Méditerranée occidentale : un exemple porteur ( ?) – La Corse en Méditerranée, quels partenariats ?
- La citoyenneté en débat – Corse, Français, Européen : conjuguer les citoyennetés – Être ou devenir Corse, de quels droits ?