2000 – RAPPORT ANNUEL – Sur le harcèlement moral dans les relations de travail

CNCDH

(Commission nationale consultative des droits de l’Homme)

Avis portant sur LE HARCELEMENT MORAL DANS LES RELATIONS DE TRAVAIL (adopté par l’assemblée plénière du 29 juin 2000)

La Commission nationale consultative des droits de l’homme s’est saisie du phénomène habituellement désigné par les termes de « harcèlement moral » tel qu’il se développe dans les relations de travail, tant dans les entreprises du secteur privé, quelle que soit leur taille, que dans le secteur public. Elle a auditionné diverses personnalités parmi lesquelles des représentants syndicaux.

Elle a également pris connaissance du Rapport du BIT traitant, entre autres violences au travail, de cette question («Violence at work » – BIT 1998 ISBN 92-2 – 110335-8, en anglais seulement).

Elle rappelle que :

L’article 26 de la Charte sociale européenne (révisée), Conseil de l’Europe 3 mai 1996, ratifiée par la France, stipule :

 « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit de tous les travailleurs à la protection de leur dignité au travail, les parties s’engagent en consultation avec les organisations d’employeurs et de travailleurs : (…)
Al. 2 : à promouvoir la sensibilisation, l’information et la prévention en matière d’actes condamnables ou explicitement hostiles et offensifs dirigés de façon répétée contre tout salarié sur le lieu de travail ou en relation avec le travail, et à prendre toute mesure appropriée pour protéger les travailleurs contre de tels comportements ».

EXPOSé DES MOTIFS

En premier lieu, le harcèlement est une des formes de violences sur le lieu de travail qui se généralise dans le monde, tous contextes économiques et toutes catégories professionnelles confondus. Il remet en cause les principes contenus dans les textes fondateurs des Droits de l’Homme. Il constitue une atteinte à la dignité du salarié, à l’intégrité de sa personne et à son droit au travail. Il met en danger, non seulement l’équilibre personnel, mais également la santé de l’individu et de sa famille.

Son action se développe de manière spécifique, indépendamment des maladies professionnelles et des accidents du travail qu’il peut, par ailleurs, contribuer à provoquer ou à aggraver.

En second lieu, la naissance et le développement de ces pratiques sont particulièrement favorisés par l’organisation des sociétés industrielles technologiquement avancées, notamment parce que la mondialisation de l’économie pousse à une plus grande compétitivité des entreprises et, de ce fait, encourage de nouvelles formes de management de plus en plus exigeantes.

En outre, la crainte du licenciement et la multiplication des statuts sur un même lieu de travail facilitent la mise en concurrence des salariés et conduisent à un recul des solidarités.

Pour la Commission il existe plusieurs formes de harcèlement, notamment :

– Un harcèlement institutionnel qui participe d’une stratégie de gestion de l’ensemble du personnel,
– Un harcèlement professionnel organisé à l’encontre d’un ou plusieurs salariés, précisément désignés, destiné à contourner les procédures légales de licenciement,
– Un harcèlement individuel, pratiqué dans un but purement gratuit de destruction d’autrui et de valorisation de son propre pouvoir.

Le phénomène est complexe. Il s’agit de vexations, de mises à l’écart, de menaces, de contraintes, de pressions de toute nature, systématiques et répétées, de mesures d’organisation du travail portant atteinte ou provoquant une dégradation des conditions de travail.

Il n’existe pas aujourd’hui de texte spécifique réprimant ces agissements. Mais si une législation est indispensable, elle ne serait efficace qu’accompagnée d’autres mesures.

PROPOSITIONS

La Commission nationale consultative des droits de l’homme demande

I – Une intervention du législateur

1 – pour définir le harcèlement moral.

2 – pour compléter l’article 6 du Titre 1 du Statut Général de la Fonction Publique.

3 – pour prévoir des sanctions pénales à l’instar de celles qui ont été instaurées dans plusieurs pays européens.

4 – pour préciser dans quelles conditions les préjudices matériels et moraux subis par la victime doivent être réparés.

5 – pour mettre en place des mesures de protection des témoins à l’instar de ce qui existe pour le harcèlement sexuel, notamment l’interdiction de tout licenciement qui pourrait avoir pour cause le contenu du témoignage.

6 – pour donner compétence en matière d’enquête, en ce domaine, à l’inspection du travail, et en envisageant un aménagement du régime de la preuve au civil.

II – Un accroissement du rôle des instances sociales et une plus grande vigilance du chef d’entreprise, ce qui implique :

7 – que la mission traditionnelle du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) soit étendue pour qu’il puisse proposer des actions de prévention du harcèlement et qu’il en suive les effets.

8 – que le médecin du travail, dans le cadre de son rôle de prévention, soit nécessairement impliqué dans les actions du CHSCT en matière de harcèlement et puisse notamment préconiser des mesures pour y mettre fin.

9 – que le champ d’intervention des délégués du personnel soit étendu aux questions de harcèlement, celui-ci étant une atteinte aux droits des personnes et aux libertés individuelles dans l’entreprise.

10 – qu’un chapitre spécifique soit ouvert dans le bilan social, énumérant les actions entreprises et les résultats obtenus.

11 – que l’avis du comité d’entreprise porte également sur ce chapitre.

12 – que l’employeur qui exerce le pouvoir de direction mette en œuvre les prérogatives dont il dispose pour assurer la sécurité des travailleurs « dans tous les aspects liés au travail » et donc contre toutes formes de harcèlement.

III – La mise en place de dispositifs ou d’actions complémentaires, ce qui implique :

13 – que les entreprises répondant à un appel d’offres de l’administration ou d’une collectivité publique joignent à leur dossier le bilan social le plus récent accompagné de l’avis du Comité d’Entreprise où figureront les actions évoquées précédemment.

14 – qu’une sensibilisation à cette question de l’encadrement des secteurs public et privé soit conduite en introduisant dans les programmes une formation à l’éthique professionnelle. Celle-ci, comme les autres matières obligatoires, devrait être prise en compte pour l’obtention du diplôme.

15 – qu’ultérieurement, au sein de l’entreprise et de l’administration, la formation continue sur ces thèmes prenne le relais.

16 – que la conduite de campagne, à l’instigation des Pouvoirs Publics et des partenaires sociaux, sensibilise l’opinion à la gravité de ces comportements contraires à la loi.

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