La conférence des présidents du Sénat a refusé, le 22 février 2000, d’inscrire à l’ordre du jour de cette assemblée la proposition de loi, déjà votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 29 mai 1998, et reconnaissant officiellement le génocide commis par les autorités turques à l’encontre de ses ressortissants d’origine arménienne en 1915.
La présidence du Sénat prétend justifier ce refus par des considérations d’ordre constitutionnel et s’appuie, selon elle, sur la volonté du Président de la République et du Premier ministre de ne pas voir examiner cette proposition de loi qui risque de contrarier le processus de réconciliation en œuvre dans les États du Caucase du Sud.
La décision du Sénat a pour seule raison, en fait, des considérations d’ordre économique et ne contribuera en rien à la réconciliation des peuples de cette région du monde.
Aucune réconciliation ne peut se fonder sur la négation d’un crime : la suspicion persistera entre l’Arménie et la Turquie tant que celle-ci n’aura pas affronté de son plein gré son propre passé et reconnu formellement ce qu’elle a reconnu à demi-mot lors du procès qu’elle a intenté, en 1919, à certains des auteurs de ce génocide.
Cette négation de l’Histoire ne fait que renforcer les extrémismes, et c’est une erreur de croire qu’une normalisation politique, économique et commerciale sera possible tant que cette hypothèque ne sera pas levée.
En réalité, seule la crainte que les intérêts économiques français et que les relations politiques avec la Turquie soient perturbés justifie l’abstention du Sénat et le silence du Président de la République comme du Premier ministre.
Rien d’autre n’explique une attitude qui ne favorise pas les progrès de la démocratie en Turquie en laissant croire au gouvernement de ce pays qu’il peut échapper, en ce domaine comme en d’autres, à la réprobation internationale.
Il appartient aux plus hautes autorités de la République française, comme au Sénat, de ne pas céder au chantage des autorités turques : ce serait le plus grand service qui pourrait être rendu aux peuples de cette région.
Nous demandons que le Sénat, après l’Assemblée nationale, reconnaisse, enfin, solennellement, le génocide commis par le gouvernement turc en 1915 à l’encontre de ses ressortissants arméniens.
Paris, le 29 février 2000