2000 – RAPPORT ANNUEL – Charte européenne des droits fondamentaux

La présidence française de l’Union européenne a en charge l’adoption de la Charte des droits fondamentaux : pour la première fois, et bien après sa dimension économique et monétaire, l’Europe tente de donner un visage à des principes que ses membres déclarent communs mais qui n’avaient jamais trouvé place dans les traités européens.

Les hasards du calendrier font que c’est au pays où, avec une heureuse prétention, ont été proclamés, non les droits applicables aux seuls citoyens français mais les « Droits naturels, inaliénables et sacrés » de tous les hommes, qu’il revient de porter une nouvelle déclaration regroupant les droits que les hommes et les femmes d’Europe ont conquis de haute lutte.

L’enjeu est exaltant : il ne s’agit pas, en effet, d’une directive désincarnée, rédigée en termes abscons. Ce projet devait regrouper les principes qui gouvernent notre vie quotidienne. Bien sûr, les évidences anciennes : ne pas être torturé, le fonctionnement démocratique de la société, etc. Mais aussi la traduction concrète des principes affirmés dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme : la protection sociale, s’éduquer, avoir un travail… L’indivisibilité des droits de l’Homme, en somme, qu’ils concernent les droits civils et politiques ou les droits économiques et sociaux et, en même temps, leur effectivité.

Gageons que si ce projet avait répondu à ces aspirations, les citoyens européens auraient regardé avec intérêt des dispositions qui donnaient à l’Europe un autre contenu que la monnaie ou la production industrielle.

Le résultat est attristant. Alors que l’opacité du fonctionnement des institutions européennes attise le rejet de l’Europe, cette Charte n’aura été discutée en définitive que par 60 députés et experts qui auront entendu les associations pendant cinq minutes chacune!

Si le projet de Charte se borne à recopier sous bien des aspects la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, ce qui constitue assurément une garantie minimum en matière de protection des droits civils et politiques, il est en retrait sur le droit social français mais aussi sur l’ensemble des droits nationaux des Quinze et même sur le droit international (y compris au regard de la Charte sociale européenne ou des conventions de l’O.I.T.).

Sait-on que ce projet n’évoque que sous le vocable de « solidarité » les droits économiques et sociaux et que si le droit de grève vient, in extremis, d’y être reconnu; le droit à des actions collectives des employeurs ou des travailleurs est mis sur le même plan : le lock-out devient, ainsi, l’égal du droit de grève alors que le premier est interdit dans notre droit.

Cette Charte étant déjà peu soucieuse de garantir les droits des citoyens de l’Europe des Quinze, il n’y a rien de surprenant à ce que sa portée soit réduite si un étranger non européen vient à s’en réclamer. Comment parler ensuite d’intégration à ceux à qui l’on refuse l’égalité des droits ? Comment lutter contre le racisme et la xénophobie si le texte qui est censé affirmer le socle de droits intangibles inhérents à une société démocratique ne bénéficie pas, dans sa totalité, aux dizaines de millions « d’étrangers » qui contribuent chaque jour à la vie et à la richesse de l’Europe ?

Ce projet montre, jusqu’à la caricature, ce que sont les craintes des Etats et leur refus d’une réelle citoyenneté européenne. Il y a là quelque chose de confondant tant le fossé entre les discours et les actes devient profond. En quoi est-il utile d’évoquer une Europe sociale, si le minimum en ce domaine n’est pas respecté ? Peut-on parler de citoyens d’Europe lorsque ceux-ci sont considérés comme des sujets à qui l’on octroie quelques miettes de droits enrobées dans une terminologie ronflante ?

Les autorités politiques françaises ne font pas exception à cette démarche alors que pèse sur elles la responsabilité de faire avancer les choses. Elles ne sauraient se réfugier derrière l’attitude du Royaume-Uni ou d’autres pays pour excuser leur inertie.

Tout donne à penser que les pouvoirs publics ne souhaitent pas, en fait, qu’un réel débat démocratique ait lieu : plus de 60 organisations se sont réunies autour de la LDH et ont demandé les moyens nécessaires pour faire vivre ce débat qui concerne chacun de nous. Bien que des crédits européens aient été délégués à cette fin aux autorités françaises, aucun financement n’est possible pour que la société civile dispose des moyens nécessaires pour débattre…

De quoi le Président et le gouvernement de la République ont-ils peur ?

Nous sommes des associations venant d’horizons très divers, nous pouvons avoir des conceptions différentes à propos de l’Europe, mais nous nous retrouvons autour de deux principes simples.

Le premier d’entre eux est que cette Charte ne peut être conçue par des experts, aussi bien intentionnés soient-ils, et adoptée par des gouvernements sans que les parlements nationaux et le parlement européen n’aient été entendus. La société civile ne peut se contenter de cinq minutes d’audition et elle doit disposer des moyens nécessaires à son expression.

Le débat ne peut donc s’arrêter au prochain sommet de Biarritz ou au sommet de Nice, il doit se poursuivre et s’élargir. Les droits fondamentaux des Européens sont l’affaire des Européens eux-mêmes et la citoyenneté consiste d’abord à pouvoir s’exprimer et être entendu par les gouvernements.

La Charte, elle-même, doit être profondément modifiée afin de garantir effectivement tous les droits, civils et politiques, économiques et sociaux, et les droits de tous, y compris ceux des résidents étrangers en Europe.

Rejeter ces revendications, ce serait, à nouveau, enfermer l’Europe dans une raison économique qui tend à être le complément quotidien de la raison d’État.

C’est pourquoi nous les porterons en sachant que d’autres dans d’autres pays élèvent la voix dans le même sens.

Paris, le 12 octobre

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