1999 – RAPPORT ANNUEL – Mars 1999

EDITO

Tous les malades du sida sont des victimes et vouloir distinguer, comme cela fut parfois le cas, celles qui seraient innocentes de celles qui ne le seraient pas, est indigne. Mais il est juste que ceux auxquels on a inoculé le virus en raison de fautes commises dans le fonctionnement du service public réclament des comptes. Il est nécessaire de rechercher les responsabilités, de nommer les responsables, et si certains, quelles que soient leurs fonctions, ont commis des infractions pénales, de les juger.

Mais on se heurte alors au dramatique archaïsme de notre institution judiciaire qui a pour fonction de dire qui est coupable et de punir. On s’est toujours méfié en France du gouvernement des juges. La République, se souvenant de la partialité des Parlements sous l’ancien régime ainsi que de leur résistance aux rois, a voulu maintenir le pouvoir judiciaire en état de faiblesse. Tout en affirmant son indépendance, elle lui a interdit de juger les actes de l’administration et les ministres et a inséré en son sein le Parquet qui, sous les ordres du ministre de la Justice, conduisait l’accusation et maîtrisait les procédures. La récente émancipation des juges, menée avec l’appui des médias, pose bien des problèmes institutionnels et le législateur patauge à trouver des solutions. La Cour de justice de la République, juridiction d’exception chargée de juger les ministres accusés d’avoir commis des infractions pénales dans l’exercice de leurs fonctions, est le dernier avatar malheureux de ces hésitations.

Il est difficile de juger pénalement des actes de gouvernement. Le risque est en effet grand de confondre ce qui est de l’ordre de la responsabilité politique d’un ministre, engagée par les défaillances de son administration, et ce qui relève de sa responsabilité pénale. Celle-ci ne peut résulter, comme pour toute personne, que d’une faute personnelle établie avec certitude et constituant une infraction prévue par la loi. Il n’appartient pas plus aux juges de s’immiscer dans le politique qu’aux politiques de déclarer coupable et de punir. On a cru qu’il suffirait de rassembler politiques et juges, de les revêtir de la même robe noire, et de chasser la parole des victimes du prétoire, pour résoudre le problème. Il est manifeste qu’on s’est trompé.

C’est toute l’organisation de l’institution judiciaire qui est à revoir si on veut qu’elle réponde aux exigences de justice de la société d’aujourd’hui. Après s’être débarrassée du soupçon de servilité à l’égard du pouvoir politique, il lui faut faire aussi la preuve de son impartialité. Cela ne concerne pas que les victimes et les accusés. C’est l’affaire de tous les citoyens.

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